Nouvelles technologies et organisations de travail coopératif : quelques repères
Ghislaine CHARTRON
Maître de Conférences, URFIST de Paris.
![]() |
Cette communication vise à donner quelques repères des recherches
concernant l'impact des NTIC sur l'organisation du travail coopératif. L'objectif est de cerner les principaux axes de travail et de rendre compte de certains travaux réalisés. Nous adopterons une approche volontairement pragmatique pour aborder ce thème. |
La grande question étant de savoir les apports des NTIC dans ces processus de travail de groupe et la finalité étant d'arriver à l'adéquation optimale d'un système technologique aux besoins d'une organisation.
Dans les recherches poursuivies, coexistent deux dimensions fondamentales :
Comme toute recherche pluridisciplinaire, les différences de méthodologie, de vocabulaire et de centres d'intérêt ne rendent justement pas immédiat la collaboration des partenaires [1].
Greenberg [3] insiste sur le fait que Groupware a une étiquette technologique alors que CSCW couvre la notion de discipline scientifique.
Le Workflow (qui n'a pas encore une traduction française affirmée) peut se définir par un ensemble de dispositifs techniques permettant la définition, l'administration, le pilotage et l'exécution d'un flux d'informations au sein d'un groupe de travail.
Le Workflow intègre une phase de modélisation/représentation du flux et une phase de pilotage du flux entre les différents acteurs. Les premières réalisations sont observables dans des organisations gérant de nombreux documents administratifs type les groupes d'assurances [4].
Comme le dit Turner : "L'activité professionnelle se caractérise de plus en plus par un travail de coopération entre hommes et machines grâce à la mise en place de systèmes informatiques distribués. Cette coopération comporte des dimensions politiques, organisationnelles et éducatives... Ces différentes dimensions compliquent considérablement notre compréhension de la relation qui existe entre la circulation accélérée des informations que permettent les nouvelles technologies et l'efficacité du fonctionnement organisationnel..." [5]
En Europe, les recherches sont développées très tôt dans les pays scandinaves avec une orientation au contraire très sociale. Les travaux menés par ces équipes sont beaucoup moins centrés sur l'avance technologique que sur l'étude du problème social. Dans les travaux de King, l'accent est mis sur un travail de fond entre usagers et professionnels afin de spécifier les futurs systèmes technologiques. Ainsi, dans le projet UTOPIA concernant l'industrie graphique, il est défini toutes les phases nécessaires à la conception et à l'introduction de ces systèmes: phase d'analyse où usagers et informaticiens doivent adopter un vocabulaire commun, phase de maquettage... [7]. Ces recherches sont souvent subventionnées par l'état.
Les principales manifestations européennes du domaine sont les suivantes :
Ces deux dispositifs s'inscrivent dans des contextes bien différents : le premier dans un contexte éducatif, et le second plutôt dans un contexte d'entreprise.
Intermedia est un système Hypermedia en réseau, développé en 85 à l'IRIS (Institute of Research in Information and Scholarship) à Brown University.
Le système est voué à la production collective de support de cours. Il a été utilisé dans différentes disciplines : cursus en anglais, en biologie, anthropologie, sciences politiques, et avec des élèves de différents niveaux (premières années d'université, séminaires de doctorat). Les types d'accès au corpus peuvent être modulés en conséquence.
Figure 1 -- Victorianism. Source : (3)
Chaque étudiant et professeur participant à la création d'un corpus avec Intermedia, a la possibilité d'ajouter des documents texte, image, son, de créer des liens référentiels entre ces données. La convergence des analyses de différents acteurs par ce media en font l'une des richesses les plus intéressantes en terme de capitalisation des savoirs et confrontation des idées. Le système permet de protéger certains accès et d'organiser le travail directivement si nécessaire.
L'exemple suivant est extrait d'un cours élaboré par des étudiants en littérature anglaise. Cet extrait concerne la période Victorienne : un ensemble de thèmes ont été identifiés, développés par un ou plusieurs étudiants (introduction de textes, d'images, de liens avec d'autres documents appartenant à d'autres thèmes). (cf. figure 1).
De nombreux aspects positifs ont été relevés dans les expériences menées avec Intermedia :
Les productions intellectuelles que permet ce type de dispositif amènent l'ensemble de la communauté scientifique à s'interroger sur la diversification des modes de production fondés sur la technologie du livre (surtout en Sciences humaines).
Comme McLuhan l'a souligné, la conception que nous avons de la propriété et de la reconnaissance intellectuelle est aujourd'hui très liée à l'organisation et au financement de la production du livre.
Or, ce nouveau type de technologie ouvre de nouvelles voies pour la production et l'apprentissage des savoirs, et pose nécessairement la question d'une reconnaissance sociale pour ce type de production.
Nous allons rendre compte d'un autre dispositif où les interactions entre individus sont plus nombreuses car au coeur du système.
L'objectif est ici d'utiliser les NTIC pour assister les réunions de groupe en améliorant les points suivants :
Cet objectif est fondé sur l'identification d'un certain nombre de dysfonctionnements des réunions de groupe dont :
Le dispositif développé à l'Université d'Arizona en 87 est voué à assister une réunion de personnes localisées dans une même pièce. La pièce est organisée en deux cercles concentriques où sont disposés les postes de travail visant à assister la réunion. Au centre, un écran central (la mémoire du groupe) et des supports audiovisuels classiques type tableau. La salle contient 24 postes de travail installés en réseau. Chaque participant utilise un poste où sont accessibles différents "logiciels" que nous allons décrire.
Figure 2 -- Sample electronic brainstorming (EBS) screen.
Un ensemble de questions est envoyé aléatoirement sur les postes de travail. La question figure en haut de l'écran. Chaque participant peut voir les réponses des prédécesseurs (partie médiane de l'écran) et peut à son tour entrer sa propre réponse (partie basse de l'écran). La réponse est ensuite envoyée au serveur central qui renvoie cette question sur un autre poste.
Figure 3 -- Sample topic commenter (TC) screen.
Le Topic Commenter fonctionne comme un ensemble de fiches répertoriant chacune un thème particulier. Chaque utilisateur a l'ensemble de ces fiches accessibles à l'écran et ajoute ses propres commentaires sur les thèmes qui l'intéressent. Il peut voir à tout moment les commentaires déjà formulés par les autres utilisateurs. Dans cet outil, il n'y a pas d'envoi aléatoire comme dans l'outil précédent.
Figure 4 -- Sample idea organizer (10) screen.
Après une phase de génération d'idée, chaque participant travaille séparément pour essayer de regrouper l'ensemble de commentaires sous des catégories d'idées. Au fur et à mesure que le nombre de catégories grossit, il revient au coordinateur d'essayer de les regrouper.
Le dispositif peut être utilisé selon 3 modes différents :
Les logiciels disponibles sur chaque station et assistant la réunion ont les fonctionnalités suivantes :
Un autre facteur étudié est la taille du groupe : le nombre de commentaires différents seraient plus important dans de grands groupes ainsi que plus critiques.
D'autres évaluations qualitatives notent que :
"Before using the Groupsystems for a strategic planning session, I was unsure of its suitability for subjective rather than specific problem-solving purposes. But I found that we accomplished 100% of our objectives. People usually reluctant to express themselves felt free to take part, and we were surprised by the number of new ideas expressed. We also reached conclusions far more rapidly. Unabridged input from a variety of sources helped us to reshape our mental models of the organization and our perceptions of ourselves as a group."Pour conclure sur ces exemples, je soulignerai l'importance de pouvoir disposer de laboratoires d'expérimentations tel que celui de l'université d'Arizona pour développer un discours sur les nouvelles technologies et les organisations de travail coopératif à partir d'un véritable champ d'observations.
Le travail est avant tout social et non technologique ; donc c'est une vue un peu utopiste de croire que l'introduction de systèmes technologiques peut facilement modifier les modes de travail dans n'importe quelle organisation.
L'expérience montre que de nombreux projets ont échoué par une vue technologique réductrice face au problème soulevé. Les facteurs à prendre en considération sont souvent propres à chaque environnement.
On peut déjà en relever certains qui reviennent très souvent :
© "Pour une nouvelle économie du savoir". In Solaris, nº 1, Presses Universitaires de Rennes, 1994