Vers une nouvelle économie du savoir
Des Arbres de Connaissances à la Programmation comme un des Beaux-Arts en passant par l'Idéographie Dynamique

Pierre Lévy


L'oeuvre de P. Lévy occupe une place particulièrement intéressante dans le paysage actuel des débats concernant les technologies intellectuelles émergentes. Dans ses quatre derniers ouvrages, il explore les transformations majeures des dispositifs socio-cognitifs sous les conditions du développement des réseaux technétroniques et de la numérisation du signe.

Son approche aboutit à proposer la mise en place de nouveaux modes d'expression, de représentations dynamiques non-transcendants des savoirs répartis au sein des multiples collectivités, à plaider pour la mise en place de nouveaux dispositifs, de nouveaux agencements techno-politiques de formation, d'apprentissage, d'évaluation des savoirs et des compétences.

Enfin elle prône la prise en compte radicale des potentialités offertes par "la plasticité numérique", elle invite à une exploration ouverte, démocratique des interfaces, des modes d'écritures émergents.

Quant au texte ici présenté, il est la retranscription d'une conférence organisée dans le cadre du séminaire du GIRSIC. Nous avons souhaité, en accord avec l'intervenant, conserver les ruptures dans le fil du discours qui expriment les interrogations posées à l'orateur.





   

I. Les Arbres de Connaissances

Permettez-moi d'entrer directement dans la description d'un "dispositif" que nous proposons, mon ami Michel Authier et moi, dispositif dont nous avons exprimé les principales dimensions dans notre livre Les Arbres de Connaissances [1].

Je vous ferai donc grâce de tous les attendus. Vous découvrirez peu à peu ce dispositif et ce à quoi il peut servir.

Commençons par considérer une collectivité, ou "communauté de savoir". Cette collectivité peut être constituée par les membres d'une entreprise, par les étudiants et les professeurs d'une université, par les habitants d'une commune, etc. Cette collectivité entretient un lien fort avec le savoir et l'apprentissage en général.

Supposons maintenant que chaque membre de cette collectivité établisse pour son propre compte le curriculum de ses apprentissages.

Comment procéder ?

Chaque personne fait la liste de ses compétences élémentaires (savoir écrire, conduire, savoir faire un thésaurus -- s'il s'agit de spécialistes en documentation -- etc...). Chaque compétence élémentaire est représentée par un signe, ou plus exactement par une icône. On obtient alors pour chaque personne une liste d'icônes organisées par ordre chronologique. Ce sont les curriculums (les curricula pour les latinistes) des personnes. Selon la taille de la communauté, nous pouvons avoir des milliers ou même des millions de curriculums.

Michel Authier et moi-même avons développé un logiciel qui permet de dresser la carte des compétences d'une collectivité. Sur cette carte, chaque compétence élémentaire n'est citée qu'une seule fois, quand bien même il existe plusieurs individus qui ont la même compétence. Par exemple, si on fait la carte des compétences des personnes présentes, nous allons avoir un certain nombre de compétences dans le domaine de la documentation.

Les signes ou les icônes de compétences nous les appelons des BREVETS.

Ainsi, supposons qu'il existe le brevet de "catalogage". S'il y a quinze personnes qui ont ce brevet ici, il ne sera représenté qu'une seule fois dans la carte des compétences. Cette carte, ou ce diagramme, a la forme d'un arbre.


Comment lit-on cet arbre ?

En premier lieu, il ressemble à une mosaïque, ou à un arbre peint par Cézanne. Le tronc, les branches sont faits de petits carrés, de petits rectangles de couleurs. Chaque petit carré est un brevet, un signe de compétence. Si on clique dans un de ces petits carrés, on fait apparaître dans un coin de l'écran une icône du brevet.

Dans le bas de l'arbre, on trouvera les compétences que les gens ont acquises en premier ou, plus exactement, les compétences qui ont la plus grande capacité d'engendrement d'autres compétences, celles dont l'apprentissage mène à d'autres apprentissages. C'est le tronc.

Dans le haut de l'arbre, on trouve les signes de compétences qui ont été acquis après de longues années d'études ou une longue expérience. Dit autrement, ce sont les brevets qui, dans les curriculums, ont beaucoup de brevets en dessous.

Vous allez rencontrer dans les mêmes branches les brevets qui sont souvent associés dans les curriculums... Ici, dans cette assemblée, nous allons avoir un nombre relativement important de brevets de documentation et pas mal de brevets de pédagogie. Or ce sont là des pratiques, des disciplines différentes. On peut en effet être documentaliste sans être pédagogue et inversement. Il se trouve que dans cette communauté là, les deux compétences sont souvent associées... et nous allons les trouver dans la même branche. Les branches ne sont donc pas des disciplines. Ce sont des savoirs associés dans la vie réelle des membres d'une collectivité. Ceci est très important.

Nous n'avons pas affaire à une description ou conception du savoir a priori. Ce n'est pas une analyse épistémologique qui guide la classification, c'est une analyse empirique. La carte est construite à partir d'un relevé du terrain.

Et comme cette analyse, ou ce relevé du terrain, est refaite en temps réel à chaque modification, vous obtenez une classification évolutive. C'est, comme le rappelait J.M. Noyer au début, une conception immanentiste de la connaissance. Il n'y a pas de grande figure transcendante, que ce soit une division en disciplines, ou que ce soit une théorie du savoir, qui va orienter ou organiser l'arbre. C'est vraiment une expression des savoirs présents dans une collectivité donnée. Et chaque collectivité va avoir une expression différente.

Continuons la description de l'arbre. Venons-en aux feuilles. Il s'agit toujours d'un brevet. C'est une compétence dont l'acquisition n'est pas nécessaire à l'acquisition d'une autre compétence. Mais ce qui est "bout de cursus" à un moment donné peut être "voie de passage" à un autre. Par exemple, imaginons un domaine de connaissance en pleine expansion, comme les nanotechnologies. Déposons le brevet "fraisage de molécule". Ce brevet sera une "feuille" parce qu'il ne mène à rien, c'est "tout nouveau". Puis d'autres inventent et déposent le brevet de "fraisage de macro-molécules", puis le brevet de "fraisage de micro-molécules", puis de micro-molécules organiques, etc. Et ce qui n'était au départ qu'une feuille va devenir une brindille qui mène à d'autres feuilles.


Cette carte de compétence est donc re-calculée à chaque transformation. Quelles sont ces transformations ?

Une personne qui entre ou une personne qui sort de la collectivité, quelqu'un qui apprend quelque chose ou modifie son curriculum, une nouvelle compétence qui apparaît ou se transforme... tout cela fait que l'arbre est recalculé en temps réel.

Bien sûr, les changements peuvent être enregistrés à l'instant t, puis t + 1... Ce que nous obtenons est en fait le film des événements, c'est-à-dire de l'évolution des compétences, des connaissances d'une collectivité donnée. Tout cela suppose évidemment que les gens jouent le jeu, et modifient leurs curriculums chaque fois qu'ils apprennent quelque chose de nouveau.

Je tiens à préciser qu'il y a derrière ce dispositif une invention de type mathématique qui est la "topologie récursive", (inventée par Michel Authier) c'est-à-dire une nouvelle discipline mathématique dont l'objet est la construction d'espaces topologiques à partir d'une configuration informationnelle qui peut être très complexe. Et cette construction peut se faire de manière calculable par un ordinateur. C'est très différent de ce qui se fait traditionnellement dans l'analyse des données "à la Benzecri". Il ne s'agit pas d'analyse des correspondances, ni d'analyse statistique mais de TOPOLOGIE.

Dans la plupart des approches contemporaines du même problème, on a une collection d'objets (ici, les personnes), pour chacun des objets, des attributs qui décrivent cet objet (ici ce sont des signes de compétences) ; et généralement ce dont on dispose aujourd'hui, ce sont des moyens de construire un espace représentant la collection d'objets, cet espace ayant autant de dimensions que d'attributs. Or avec les "cinécartes", dont les arbres de connaissances ne sont qu'un exemple, nous obtenons un espace à trois dimensions, et trois seulement, même s'il y a dix mille attributs différents. Comme tout cela apparaît sur un écran, c'est projeté sur deux dimensions. Le pouvoir de synthèse visuelle est très grand et la perte d'information pertinente est très faible. Je souligne de nouveau que la cinécarte (l'arbre) n'est pas un espace à autant de dimensions que d'attributs.


Continuons. Plus précisément que peut-on faire avec ce logiciel ?

Quand vous projetez votre C.V. sur l'arbre, vous voyez apparaître en blanc sur l'arbre, les brevets qui vous appartiennent. La projection d'un curriculum sur l'arbre forme une image que nous appelons le "BLASON". Cette image est en quelque sorte le "vous êtes ici" sur la carte des compétences.

La personne peut donc se situer elle-même dans l'espace des compétences et du savoir de la collectivité à laquelle elle appartient. Elle peut mesurer des "distances" entre là où elle est et là où elle veut aller, ce qu'elle a envie d'apprendre etc... Elle peut aussi mettre au point des parcours individualisés. Vous vous rendez compte que, ce faisant, nous passons d'un paradigme du "CURSUS" dans le domaine de la formation à un paradigme de la "NAVIGATION".


Comment se sert-on de ce dispositif ?

Tout d'abord il y a une banque des BLASONS qui contient l'ensemble des blasons de tous les membres de la collectivité. Je précise que pour des raisons de confidentialité, de respect de la vie privée, cette banque des blasons est NON-NOMINATIVE et que les blasons ne sont visibles que par leurs seuls propriétaires.

Bien évidemment, la maîtrise des conditions de visibilité est essentielle.

Il convient toutefois de pas développer de paranoïa à ce sujet. Dans la plupart des entreprises, les systèmes de gestion des compétences informatisés sont NOMINATIFS, sans que cela ait soulevé pour le moment de graves problèmes quant aux atteintes à la vie privée. De ce point de vue, le reproche parfois fait à notre dispositif nous semble injuste et infondé. Car nous proposons justement une autre manière de faire. Le logiciel des arbres de compétences est construit en dur (dans le noyau même du système) pour être non-nominatif. Seul le propriétaire présent devant le terminal est en mesure d'observer son blason.

La question est donc bien celle-ci : comment peut-on se servir de ce logiciel sans que les individus soient transparents ? Il y a en effet un projet politique derrière ce dispositif qui précisément veut permettre à l'individu de se réapproprier le rapport au savoir, tout en faisant fonctionner une régulation collective, que ce soit celle de l'entreprise, de l'établissement d'enseignement ou d'une collectivité territoriale.

On se sert donc de ce dispositif par l'intermédiaire d'une messagerie qui est adressée par le savoir, par les compétences, et non par le nom des personnes, pas plus que par leur fonction, leur sexe ou leur âge. Ainsi, pour entrer en communication avec quelqu'un vous dites : "j'aimerais rencontrer une personne qui ait telle ou telle compétence". Alors vous dessinez un blason idéal, à partir des brevets qui sont sur l'arbre. Vous savez que dans la collectivité en question les compétences existent et vous demandez au système : "dis-moi quelles sont les cinq personnes les plus proches du profil que je recherche". Plus exactement ce n'est pas "dis-moi" mais "envoie mon message" aux propriétaires des cinq blasons qui sont les plus proches du "profil" que je viens de dessiner. Les propriétaires des blasons ouvrent leur boîte aux lettres et lisent les messages. Et à ce moment là, ils répondent ou non, à leur convenance.

Si la messagerie est à l'intérieur de la banque des blasons, c'est en fait pour les échanges réciproques de savoirs, c'est-à-dire: "votre compétence m'intéresse, voulez-vous me faire une formation libre d'individu à individu", ou bien "vos compétences m'intéressent, est-ce que vous pouvez me rendre un service qui corresponde à ces compétences ?". Voilà comment les choses se passent. Cela fonctionne un peu comme un annuaire téléphonique structuré par les compétences des gens ; mais un annuaire où tout le monde est sur la liste rouge. Vous ne savez pas à qui vous avez affaire. Quoi qu'il en soit, une charte éthique va de pair avec le logiciel.

Mais il faut bien comprendre, et vous ne devez pas commettre de contre-sens sur ce point, que nous essayons de mettre au point un système qui ne soit pas un instrument de contrôle sur l'individu, mais bien un instrument qui serve à l'individu pour se repérer dans une situation complexe.

Revenons à la description du dispositif.


Après la banque des BLASONS, il y a une autre banque : la banque des PROFILS.

Imaginons que nous sommes dans une collectivité territoriale, dans un département par exemple. Les employeurs vont inscrire des profils dans la banque des PROFILS. Ils vont dire : "nous avons besoin de tel ou tel profil pour occuper tant de postes". Dans la messagerie de la banque des profils, ce qui compte donc ce n'est plus la sociabilité au sein de la collectivité (comme dans la messagerie de la banque des blasons), mais les compétences qui sont stratégiques pour la collectivité en question, celles qui sont les plus importantes selon un critère économique.

Puis, il y a une autre banque de données qui est la banque des brevets. Ces brevets, ils sont représentés par des images, et nous avons imaginé un système tel que des illettrés puissent se servir du système. En principe, on peut se servir du système de façon utile sans savoir lire. On rentre dans l'arbre et on voit les icônes.

Si on veut aller plus loin dans l'examen de l'arbre, on clique sur l'icône afin d'avoir une définition -- écrite, cette fois-ci -- de la compétence. Par définition, on entend "trois lignes de texte". En aucune manière, il ne s'agit d'une formalisation des connaissances, d'une ingénierie de la connaissance à la façon des systèmes experts. Simplement, un brevet désigne une compétence. Un signe mis sur une compétence n'est pas l'explicitation d'un savoir. Le brevet n'est pas une description, c'est un descripteur.

On trouve aussi derrière l'icône du brevet la référence de l'épreuve qui permet ou a permis d'obtenir le brevet. A chaque brevet correspond une épreuve qui peut être de type "questions à choix multiples", un mémoire, un entretien avec un jury.... Cela peut être une épreuve informelle du type expérience professionnelle ou sociale. Bref, toutes les épreuves (formelles et informelles) et tous les tests imaginables peuvent garantir les brevets. Dans ce domaine, l'imagination est largement ouverte. Ce qui importe, c'est qu'un brevet soit toujours obtenu par une personne à la suite d'une épreuve. En fait, un brevet est le signe du passage d'une épreuve. Ce qui est désigné par le brevet, ce n'est pas le savoir en lui-même, c'est seulement l'épreuve qui, encore une fois, peut être une expérience de vie ou une pratique professionnelle.

Et puis derrière le brevet, viennent les ressources de formations, les ressources d'apprentissages qui permettent éventuellement d'obtenir le brevet. Cela peut concerner des modules de formations, mais aussi des livres, des cassettes, du multimedia-interactif, des systèmes à base de connaissances, etc...

On a donc là une manière d'indexer les ressources d'apprentissages par les compétences. Si vous imaginez que derrière chaque brevet de l'arbre se trouvent ces ressources pour l'apprentissage, alors vous pouvez constater que nous avons aussi une organisation documentaire et pas seulement une organisation des compétences. Simplement on a indexé les documents par les compétences auxquelles elles mènent.

Cela nous conduit à aborder une dimension supplémentaire.

Ce que nous décrivons, c'est une réalité virtuelle. Pour l'instant, on a décrit l'espace de cette réalité, la topologie de ce monde virtuel.

Il y a un espace de base qui est l'arbre, l'espace des compétences, un espace cartographique. Les personnes sont situées, immergées dans cet espace (et c'est en cela qu'il s'agit d'une réalité virtuelle). Il a des moyens de communication entre les personnes. Si ces communications, ces orientations donnent lieu à des apprentissages alors l'espace se transforme : voici la deuxième dimension de notre monde virtuel, le temps. Nous allons faire apparaître maintenant une troisième dimension, la dimension axiologique, celle qui concerne la valeur.

En effet, l'arbre des connaissances est un espace organisé aussi par des saillances, des zones plus intenses que d'autres, plus ou moins attirantes, des champs de forces. Et ces champs de forces sont exprimés par des couleurs. Les couleurs visualisent la valeur des brevets.


D'où vient la valeur des brevets ?

Là encore, ce n'est pas une transcendance qui organise le système.

La valeur vient de l'usage que les membres de la collectivité font du dispositif. Elle exprime le fonctionnement même de la collectivité. Il y a en tout huit critères de valeur différents.

Je me contenterai ici d'en énoncer quatre.

Parmi ces quatre critères d'évaluation, l'un est lié à la hauteur dans l'arbre. Plus un brevet est haut dans l'arbre, plus il a de valeur. C'est le critère de l'expertise. La hauteur dans l'arbre renvoie à de longues études ou à une longue expérience. Ce qui est ainsi exprimé, c'est le niveau de cette expertise à un moment donné dans cette collectivité-là. La valeur est toujours relative à une collectivité. Les compétences n'ont pas de valeur en soi.

Un second critère exprime la valeur pédagogique. Si vous avez un brevet qui est à la base d'un embranchement très riche, très "feuillu" et que, de plus, à cet endroit là, il n'y a qu'un seul brevet, on va dire que c'est un point de passage privilégié pour l'apprentissage, dans cette collectivité. Si, en revanche, à cet endroit-là, il y avait dix brevets au lieu d'un, aucun d'eux ne serait un point de passage privilégié.

Il y a aussi des critères liés à l'usage des messageries. Plus un brevet est cité dans la banque des profils, plus il va avoir de valeur stratégique ou une valeur de demande économique. S'il s'agit de l'arbre d'une collectivité territoriale, on va supposer que les individus ont tendance à rapprocher leur blason des zones qui ont la valeur économique la plus forte. En gros, vers les zones où il n'y a pas de chômage. Ou bien, si on est dans une entreprise, les personnes vont avoir à faire évoluer leurs blasons vers les compétences stratégiques de l'entreprise.

Un autre critère exprime la valeur sociale des compétences. Ce qui est pris en compte, dans ce cas, c'est le nombre de fois qu'un brevet est cité dans la banque des blasons, la fréquence d'acquisition d'un brevet dans une population. L'idée sous-entendue est qu'il est mauvais d'ignorer ce que savent les gens de la communauté à laquelle on appartient.

D'autres critères sont liés aux formations, aux ressources etc...


Tous ces critères ont ceci de commun qu'ils sont uniquement fondés sur l'usage. Ils sont donc immanents.

Abordons à présent la troisième dimension, temporelle, de cette réalité virtuelle.

Nous sommes dans un espace où la valeur des personnes, des choses, des informations vient des actions qu'accomplissent les gens dans cet espace. Ce sont eux qui, collectivement, donnent de la valeur aux choses. Chaque fois qu'ils font quelque chose, cela transforme à la fois l'espace et la distribution de la valeur à l'intérieur de la réalité virtuelle.

Il y a comme un temps propre au système. Imaginons que l'on dit : "pour éviter que la cartographie des compétences soit encombrée de savoirs qui n'ont pas d'intérêt pour la collectivité en question" (vous allez voir pourquoi ce cas peut se poser), nous allons dire que "si tel brevet reste en dessous de tel seuil, de telle valeur, et ce pendant tel laps de temps, alors il va disparaître de l'arbre". Il y a donc une sorte de sélection "naturelle" des brevets. Pourquoi cette sélection est-elle nécessaire ? Parce que tout le monde peut déposer des brevets. Il n'y a aucun barrage a priori à l'institution du savoir au sein de la collectivité (si cette dernière institue son savoir par l'intermédiaire de ce système). Comme la liberté de dépôt de brevet est totale, alors, il doit y avoir un système d'évaluation multicritère en temps réel. Inversement : puisque nous disposons d'un système d'évaluation multicritère en temps réel par l'usage, alors nous pouvons permettre à tout le monde de participer sans entrave, sans barrière a priori, à l'institution du savoir.

Le système est entièrement auto-organisé. On peut y distinguer trois pôles principaux.

(Voir schéma...)

Chaque pôle a une image. L'image de l'individu, c'est le blason ; l'image de la communauté, c'est l'arbre ; l'image du savoir, c'est le brevet. Les individus structurent l'image de la communauté (puisqu'à partir des curriculums l'arbre est constitué) ; et en retour, la communauté structure l'image de l'individu (puisque le curriculum est réorganisé, situé par l'arbre).

Les brevets constituent l'arbre, puisqu'ils sont les éléments de la mosaïque, et c'est l'image de la collectivité qui évalue les brevets.


Le rapport entre l'individu et le savoir.

A chaque brevet est liée une épreuve. Tous les gens qui ont le même brevet ont passé la même épreuve. Certaines épreuves peuvent être informelles, comme par exemple : "expérience professionnelle". Chaque fois que vous apprenez quelque chose, vous pouvez passer l'épreuve et obtenir le brevet correspondant. Vous enrichissez ainsi votre blason. Inversement, chaque fois que l'individu invente ou repère une nouvelle compétence, il peut déposer un brevet. Que fait-il ? Il prend ce qui lui convient dans la banque d'icônes et construit l'icône du brevet. Puis il déclare : "obtiendront ce brevet, les gens qui ont passé telle épreuve".

Il a intérêt à imaginer une bonne épreuve, parce que son brevet va être évalué par la collectivité.

L'aspect le plus intéressant, à mon sens le plus révolutionnaire, le plus politique, est celui-ci : n'importe quel membre de la communauté peut inventer des "examens", des "diplômes". Bien sûr, ce sont micro-diplômes, ou des diplômes moléculaires, comme aurait dit Félix Guattari, mais l'important est que ce pouvoir d'initiation d'une reconnaissance de savoir revienne à tout le monde.

De plus, tous les "diplômes moléculaires" sont en concurrence les uns avec les autres. Le mot diplôme est ici trompeur, voire inexact. En effet, pour qu'il y ait "diplôme", il faut des commissions universitaires, des dispositifs transcendants... Là au contraire, c'est le temps réel qui prime. Il y a une compétence qui intéresse (ou non) la communauté, un point c'est tout.

Vous allez m'objecter : "il va y avoir n'importe quoi !".

Non.

Car les gens savent que les brevets vont être évalués, et donc il y a une auto-censure qui joue comme régulateur. Sinon, l'évaluation qui se fait par la collectivité aura tôt fait de sanctionner le brevet "de cocotte en papier" comme ayant une valeur d'expertise faible, une valeur économique faible, etc...

Si donc le brevet X est en dessous d'un certain seuil, on le supprime de l'arbre. Cela ne signifie pas qu'on le supprime des curriculums, puisqu'un brevet qui n'a pas de valeur quelque part et à un instant donné peut en avoir ailleurs, dans un autre arbre.

Si on craint que le dépôt de brevet ne mène à un foisonnement excessif, alors on peut utiliser cette méthode de l'élimination automatique des brevets. On peut aussi tenir le raisonnement inverse. Au lieu de dire : "on ne souhaite pas que l'arbre soit débordé par un trop grand nombre de brevets", on peut dire : "il existe chez nous des compétences qui ne sont pas bien connues, mal utilisées... Certaines semblent importantes et il serait préférable qu'elles ne disparaissent pas." Dans ce cas, on peut se servir de la même procédure technique pour que certains brevets "lancent des signaux de détresse". S'ils ont une valeur trop faible pendant un temps donné alors ils doivent pouvoir se manifester: "Je suis en train de disparaître, attention !".

Nous sommes donc en présence d'un système auto-organisé, auto-organisateur. Il s'agit d'un univers virtuel qui exprime les relations qu'une collectivité entretient avec le savoir, et ce d'une manière immanente. C'est encore un espace de communication et de négociation entre tous les acteurs qui de près ou de loin ont un rapport au savoir, à l'apprentissage, à la formation. Enfin, notons que ce principe de fonctionnement peut être transposé dans de nombreux autres domaines.

Ceci étant dit, notre logiciel peut fonctionner sur dix millions de personnes, avec dix mille attributs (compétences) différents. Et je réaffirme ce que j'ai déjà exprimé tout à l'heure : "il y a bien avec ce logiciel une percée mathématique et pas seulement un nouvel algorithme". Il y a bien une nouvelle approche et une nouvelle démonstration sur le problème de la distance qui est évidemment fondamental en la matière. Pourquoi ? Parce que cela veut dire qu'on peut imaginer une NAVIGATION par PROXIMITÉ.

Dit d'une autre manière, on détermine le barycentre des blasons et on calcule les distances entre eux. C'est très simple : vous cherchez quelque chose, et le système calcule ce qui est le plus proche de ce que vous cherchez. Puis ce qui est un peu plus loin etc... Vous déterminez un profil (à la limite un profil d'interrogateur) ; et la base de données est réorganisée en fonction de votre propre profil. Tous les objets de la base viennent se ranger par ordre de proximité avec le profil que vous avez déterminé !


Une transformation topologique est effectuée sur l'espace, et l'interrogateur est placé au centre.

On ne se trouve plus dans un espace discontinu. Dans un hypertexte, en effet, la navigation est discontinue puisqu'un hypertexte ce sont des noeuds raccordés par des liens. Avec notre dispositif, nous sommes dans un espace continu. L'arbre est un espace continu. Mais de quel type d'espace s'agit-il ? L'idée principale consiste à représenter des situations et pas seulement des espaces physiques.

Supposons que nos objets de base ne soient plus des personnes mais des événements. Qu'est-ce qui compose un événement ? C'est un certain nombre d'acteurs. L'ordre de rangement des attributs (qui ne sont donc plus des compétences mais des acteurs) va être une espèce de pondération entre l'ordre d'importance des acteurs et leur entrée dans le champ. A partir de la définition des événements et des acteurs, notre logiciel peut construire une image dynamique, évoluant en temps réel, de l'ensemble de la situation.

Où, alors, on peut inverser et dire que les objets de base vont être les acteurs et les attributs, les événements, qui seront, dans ce cas-là, rangés par ordre chronologique pour chaque acteur. Qu'est ce qu'un acteur ? C'est ce qui a participé à un certain nombre d'événements. A partir de là, je vais pouvoir situer mes acteurs dans un espace global qui est celui des événements, comme j'avais situé des personnes dans un espace des compétences. Ensuite, on peut évidemment faire fonctionner l'évaluation à partir des ressources qui sont liées aux acteurs et aux événements, et on a une image de la situation. Comme tout se calcule en temps réel, chaque modification de la situation est visible.

Je reviens sur la question de la navigation : vous dites : " je cherche quelqu'un qui a telle ou telle compétence". Or personne n'a le profil que vous avez demandé. Ce que le dispositif peut indiquer, cependant c'est que la personne à qui on vous adresse, est une personne qui -- à la limite -- n'a aucune des compétences que vous avez demandé mais qui -- sur l'arbre (donc dans la communauté) -- est la plus proche du profil que vous cherchez.

Et si on considère d'autres types de dispositifs fondés par exemple sur le modèle connexionniste, l'examen direct des configurations des états du réseau ne vous dit pas grand chose.

Tandis que, si on regarde la carte, l'arbre, cela vous parle tout de suite, c'est tout le temps "sémiotisé". La situation est là, lisible ; les objets sont là, ce sont des images ; les attributs sont là, ce sont des icônes.

Bien sûr, notre logiciel a quelques limites. Nous avons fait une étude sur près de dix millions de personnes, et ça marche encore. Au-delà de la prise en compte de dix mille attributs, "ça" patine! Il faut de gros ordinateurs pour que toutes les transformations puissent être recalculées en temps réel. Nous voulons que l'arbre se re-calcule en temps réel, à la seconde. C'est la raison pour laquelle on commence à avoir des problèmes quand on avoisine dix mille attributs. En fait, la seule limite tient à la puissance de calcul des ordinateurs.

Aujourd'hui, des arbres de connaissances avec 1000 personnes et 1000 compétences (ordre de grandeur) tournent sur des PC.


Quel que soit le domaine ou le champ pris en compte, l'organisation est émergente et le "Thésaurus" évolue en temps réel.

Au passage, on peut remarquer qu'il est possible de faire la même chose sur un texte. Si on dit par exemple que les objets sont des messages élémentaires, que les caractères sont des mots... le thésaurus du corpus va se réorganiser en temps réel :

On peut découvrir immédiatement quel message est le plus proche, sémantiquement, d'un autre ; ou bien quels sont les messages qui circulent dans le système d'information textuel qui sont les plus proches de "mes" propres centres d'intérêts. Notre dispositif permet d'obtenir cela automatiquement. De même, on peut "évaluer" les textes, les auteurs, en prenant en compte le nombre de fois où les mots ou mots-clés sont demandés, consultés... ; la complexité ou la rareté d'un mot peut également être un critère de valeur.

Un message est situé sur l'arbre sémantique de votre corpus, il est évalué ; mais le même message dans un autre arbre sémantique va avoir une autre position et une autre valeur. En bas, les mots qui sont cités le plus fréquemment. La notion de contexte est ici visualisée, quantifiée.

Nous cherchons à sortir des visions et pratiques traditionnelles de formation, d'apprentissage, d'éducation à distance qui, de manière générale, consistent à considérer les gens qui fabriquent des documents, des ressources dans de petites cases, puis des gens qui apprennent dans d'autres cases, puis des canaux qui les relient. Les fournisseurs de savoirs et les apprenants. Mais comme nous sommes dans un milieu où règne la vulgate cybernétique, systémique, on distribue de-ci de-là des boucles de rétroactions. Ce sont là des approches bien évidemment très réductrices, pour tout dire "technicistes" des processus d'apprentissage.

Notre but est différent. Il ne s'agit nullement de décrire des processus physiques de transport de messages mais de prendre en compte des processus sociaux et de créer un dispositif qui met en synergie les processus sociaux liés à l'apprentissage. Parmi ces processus quatre d'entre eux nous semblent mériter une attention particulière.

  1. La qualification
  2. la gestion des compétences
  3. Indexation des ressources, navigation dans les ressources
  4. La socialisation
                  
  1. La qualification

    Tous les dispositifs d'apprentissage devraient pouvoir donner lieu à qualification. Or aujourd'hui ce n'est pas le cas. Des tas de gens qui savent des choses n'ont pas de diplômes, et sont donc censés ne rien savoir !

    Avec notre idée du blason, n'importe quel type de compétence peut donner lieu à reconnaissance par une collectivité... Tout le monde a la possibilité de s'inscrire dans l'espace du savoir commun. De nos jours, c'est loin d'être le cas.

    De plus, vous le savez, l'apprentissage continue longtemps en tous lieux ; et il faut donc se donner les moyens d'avoir une image évolutive des compétences réelles et de les reconnaître. Le diplôme (ou du moins son incarnation présente) est très insuffisant de ce point de vue là.

    Mais à partir du moment où une bonne image des compétences est disponible dans une collectivité, et si les individus sont en mesure d'avoir une image de leur propre compétence, alors...

                      
  2. la gestion des compétences

    Au sein des entreprises, des collectivités, des bassins d'emplois, la gestion des compétences peut alors se mener de manière plus pertinente. Nous retrouvons là tout le jeu entre les employeurs, les individus et les formateurs ; ces derniers étant ceux qui transforment les compétences des individus pour les rapprocher des compétences demandées par les employeurs.

    Une nouvelle façon de gérer l'offre, la demande, leurs rapports et la prévision est alors possible.

                      
  3. Indexation des ressources, navigation dans les ressources

    De plus les ressources pour l'apprentissage peuvent être indexées par les compétences. Elles sont alors évaluées, situées en temps réel par notre dispositif. Dans une approche classique, les ressources pour l'apprentissage sont définies par des cursus de formation standards, institutionnels, fixes qui mènent à tel ou tel diplôme. On a là une modélisation molaire des ressources pour l'apprentissage.

    Notre approche est plus "moléculaire" : elle permet de prendre en compte les modules de formation comme éléments au sein de systèmes de ressources plus vastes, plus hétérogènes, plus complexes, plus ouverts. Grâce à la réorganisation en temps réel, se crée un espace lisse dans lequel on peut naviguer de façon personnalisée.

    Il n'y a plus de séparation a priori, par exemple, entre les littéraires d'un côté, les scientifiques de l'autre...

    Donc, quand bien même il y a, avec notre dispositif, fragmentation, voire hyper-fragmentation des signes du savoir, celle-ci n'est qu'apparente. Ou plutôt cette fragmentation est nécessaire afin de pouvoir recomposer un espace lisse, dépourvu de ces séparations a priori qui sont si préjudiciables à l'apprentissage vivant. Il faut saisir et apprendre à "habiter" le caractère essentiellement processuel, hétérogène voire hétéroclite des ressources et pratiques d'apprentissage.

                      
  4. La socialisation

    Enfin le quatrième aspect, qui est toujours en jeu dès qu'il y a apprentissage, c'est la socialisation ? On n'apprend pas seul !

    On ne peut dissocier apprentissage et socialisation. Peut-être même devrions-nous envisager dans le futur l'apprentissage comme vecteur fondamental de la socialisation. Et ces messageries adressées par le savoir qui permettent de mettre en jeu des relations humaines devraient être amenées à jouer un rôle de plus en plus important.

    Dans cette perspective, vous savez peut-être qu'il existe aujourd'hui des expériences menées par Neurope Lab que l'on regroupe sous le nom de code "JUST IN TIME OPEN LEARNING" (JITOL). Dans ces expériences, on met sur un même réseau des apprenants, des tuteurs, des fournisseurs de matériaux pédagogiques, ce qui permet d'analyser les questions que les apprenants adressent aux tuteurs et les discussions que les apprenants ont entre eux. A partir de l'analyse de ces discussions et de ces questions, on procède à une réorganisation en temps réel de la base de données des ressources d'apprentissage.

    Il s'agit de faire en sorte que le savoir soit structuré par les questions que les gens se posent. Pour cela, il faut que le poste d'apprentissage et le poste de travail soient en synergie radicale. C'est pour cela qu'ils sont co-présents sur la même interface (le même écran). Si les gens apprennent en situation de travail, et qu'ils posent des questions en fonction de leur propre pratique, de leur propre expérimentation des concepts et des savoir-faire, alors le "cours" (la base de connaissance) peut être reformulé de façon pertinente.

    Il y a là une façon d'utiliser la socialisation, c'est-à-dire les questions informelles que les gens se posent entre eux, pour améliorer le contenu même de la formation. Et plus les gens apprennent et se qualifient, plus ils auront des chances d'être contactés par les messageries...


    Finalement, tous ces processus socio-cognitifs (qualification, gestion des compétences, navigation, socialisation) peuvent entrer en synergie et "s'augmenter" mutuellement grâce à un espace virtuel qui permet de décloisonner les procédures, les processus, les pratiques, les milieux qui sont traditionnellement séparés.

    Nous voulons offrir un espace de communication et de négociation qui soit commun à l'ensemble de ces actants, sans pour autant imposer de normalisation.


    Remarques sur la "monnaie du savoir".

    Dans quelle unité évalue-t-on les brevets ?

    Supposons que l'on donne à chaque individu qui rentre dans une communauté de savoir un CRÉDIT, un compte, la monnaie étant le "SOL" (Standart Open Learning Unit).

    Disons que l'on donne à chaque individu 10 000 SOLs.

    Le capital global d'une communauté de n personnes sera toujours égal à n fois 10 000 SOLs = K.

    Alors, la valeur de la somme des brevets détenus par les membres de la collectivité sera toujours égale à K.

    C'est une économie sans inflation. Comme les brevets sont évalués en SOL, chaque fois que l'on passe un brevet, on paye son prix en SOL. Donc votre compte en SOL diminue peu à peu au fur et à mesure que votre BLASON s'enrichit. Une fois que vous avez épuisé votre crédit SOL, la seule façon d'en obtenir de nouveau, la seule façon de pouvoir continuer à "acheter" des brevets, c'est de participer à des échanges réciproques de savoirs à l'intérieur de la collectivité. Echanges que l'on peut se faire payer en SOL.

    De cette façon, ceux qui sont riches en connaissances sont poussés à faire bénéficier les autres de leurs savoirs. Si vous êtes complètement démunis en SOL, c'est que vous avez acquis des brevets, que vous savez déjà beaucoup de choses, et si vous ne voulez rien retransmettre... c'est bien dommage !


    La notion de collectif pensant.

    Cela étant dit, ce qui se dessine là, c'est aussi une sorte de programme pour l'informatique. Il ne s'agit plus de créer des "machines pensantes", mais d'inventer des réseaux de communications, des systèmes d'informations qui fassent "penser ensemble", qui fassent entrer en synergie les cerveaux de l'espèce. Il convient, par ces systèmes, de surmonter l'intermittence et les limites des intelligences individuelles en créant un "intellectuel collectif".

    En l'état actuel des choses, nos perceptions sont fragmentaires, discontinues et nous sommes contraints de faire avec une "mémoire figée" des choses, alors qu'autour de nous tout est processus, évolution. On s'accommode, on construit des structures, on résiste autour, on s'organise, et puis lorsqu'il n'y a plus adéquation, lorsque la relation système-environnement devient problématique, on construit de nouvelles structures. Et l'on se trouve d'autant plus facilement dans ce cas de figure qu'on dispose de technologies de gestion des signes et des traces, d'écritures qui sont sur des supports statiques. Or, si l'on adopte un moyen de gérer des flux d'informations de manière continue, c'est-à-dire non pas en s'organisant autour d'une structure mais en s'organisant autour d'un processus de croissance et d'évolution perpétuelle (il n'y a pas de stases), on se rapproche d'une certaine manière de DIEU... mais on s'en approche en tant qu'intellectuel collectif.

    En faisant la cartographie de processus collectifs complexes hétérogènes, en rendant cette cartographie sensible à une grande communauté de personnes, et ce en temps réel, alors on surmonte tout ce qui fait que notre intellect n'est pas perpétuellement en acte. Il ne s'agit pas de dire "on devient superman", mais plutôt de prendre conscience qu'il est possible de constituer ensemble un intellectuel collectif à condition qu'on se donne la forme d'organisation adéquate et les techniques de communication appropriées.

    Je ne sépare jamais la dimension sémiotique de la dimension socio-organisationnelle ; et ce n'est pas un hasard : l'homme invente l'outil, le langage et l'organisation sociale en même temps. Toute évolution anthropologique met en jeu ces trois dimensions.

    Revenons à notre question théologique!

    DIEU, c'est ce qui est à la fois cause formelle, finale et efficiente de lui-même et du monde. Si on prend ce fauteuil, la cause finale c'est de s'asseoir dessus, la cause formelle c'est son design, la cause efficiente c'est l'usine qui l'a fabriquée et la cause matérielle c'est ... du bois. Or DIEU, répétons-le, contrôle tous les types de causalité en même temps et se les applique à lui-même et au monde.

    Je pose la question suivante : "peut-on faire se mettre dans une situation comparable à celle de Dieu, vis-à-vis de la causalité ?".

    Et à cette question je réponds : "l'intellectuel collectif peut le faire".

    Il faut pour cela que l'intellectuel collectif soit cause finale de lui-même. Quel est en effet le but de l'intellectuel collectif ? C'est essentiellement de continuer à exister en tant qu'intellectuel collectif, de se perpétuer dans son être. C'est un but en soi, il n'est pas asservi à autre chose. Dans toute cette discussion, nous faisons l'hypothèse qu'il est bon et beau pour les humains de communiquer, de penser ensemble, de diversifier les qualités de penser, d'être, de créer des singularités, de les relancer. L'intellectuel collectif n'a pas d'autre finalité que d'aller toujours plus loin ou de persister dans son être d'intellectuel collectif.

    Il faut aussi qu'il soit cause efficiente. Qui le fabrique ? Lui-même. Il faut qu'il soit, autant que possible, indépendant.

    Enfin et c'est le plus important, il faut qu'il soit cause formelle de soi. Qu'est-ce qui va donner sa figure à l'intellectuel collectif ? Qui va lui donner sa forme, qui va le représenter ? Pour le moment, on n'a pas trouvé beaucoup de moyens pour permettre à un collectif d'être cause formelle de lui-même. La plupart du temps, la cause formelle est transcendante par rapport au groupe social, à la collectivité. Il y a une séparation entre le groupe et sa forme, son expression ou sa figure. On propose ici que la cause formelle de l'intellectuel collectif soit une émergence de l'intellectuel collectif lui-même, et donc qu'elle se transforme en temps réel. C'est aller contre la transcendance de la cause formelle. Il n'y a pas de distinction matière / forme. En réalité, il n'y a pas de matière première ou de cause matérielle. Sauf à dire que la matière invente sa forme. Toute matière est informée et informante, toute matière est intelligente, a fortiori quand il s'agit d'une matière humaine.

    Comment faire en sorte que le collectif se donne sa propre unité, qu'il se transforme en temps réel, qu'il soit un processus de négociation permanent avec lui-même ? Comment développer une démocratie directe ? Enfin !

    Bien sûr, ce n'est pas un problème "technique". Ou plutôt, évitons les approches technicistes de ce problème. En réalité, le "technique" est simultanément sémiotique et social. Rappelons-nous que la DÉMOCRATIE MODERNE est impensable sans (c'est-à-dire conditionnée par) le medium du journal, de la presse. De même, le système politique actuel, qui est une espèce de monarchie élective spectaculaire, avec de vagues instances de représentation, est très lié à l'existence de la radio et de la télévision. Il y a, point n'est besoin de trop insister là dessus, un lien très fort entre mode de représentation et technique, entre communication et organisation sociale. Il est donc légitime d'imaginer que de nouvelles formes sociales s'appuieront sur les techniques qui les rendent possibles.

    Il convient alors de construire un espace anthropologique sur lequel pourraient circuler des "intellectuels collectifs". Bien évidemment cet espace est pluriel! Et il y a pluralité parce que l'unité qui émerge de l'intelligence collective n'est jamais totalisante, c'est une unité processuelle, ce sont des unités processuelles, des esprits qui naissent et qui meurent, se font et se défont. L'important est qu'il y ait un espace, une strate anthropologique où cela là puisse se faire. Aujourd'hui beaucoup de facteurs, y compris des intérêts économiques, poussent à la constitution d'un espace de ce type.

    Mon approche se situe plutôt dans une dialectique "unité / multiplicité". Elle est plus leibnizienne que Dualiste. Je ne construis pas de catégories transcendantes dans lesquelles les individus viennent se ranger. Mon approche renvoie à des unités qui émergent, à des processus qui se nouent, etc... Le but final étant, au bout du compte, de créer de la diversité subjective, de la diversité qualitative, une "augmentation de réalité".

    Les ARBRES de CONNAISSANCES ne sont cependant qu'un aspect de ce programme.


              

    II. Il nous faut aller à présent du côté des systèmes d'écritures.

    Jusqu'à présent, tous les systèmes d'écritures ont été conçus pour un support statique. Or, depuis une dizaine d'années, on dispose d'un support qui est à la fois cinétique et interactif avec en plus des capacités de mémoire et de traitement autonome.

    La première question est : "comment va-t-on exploiter les possibilités d'un tel support ?". La seconde concerne le statut de l'idéographie.

    Qu'est ce que l'écriture ? Est-ce seulement une notation phonétique de la parole, ou bien est-ce un mode d'expression en soi qui n'a rien à voir, dans son essence, avec une notation phonétique de la parole ? Le fait que l'on soit tellement habitués à l'écriture alphabétique biaise, à mon avis, la conception que l'on a de l'écriture. On peut imaginer, en effet, que les hommes de la préhistoire ont inventé d'emblée quatre ou cinq formes de langages différents, et ce simultanément (un langage de gestes, un langage d'images dessinées, un langage phonétique, un langage du rite faisant intervenir le vêtement, le masque, la musique, la danse, le tatouage, etc.) Il y a eu, à un moment donné, prise de pouvoir d'un type d'expression sur les autres. Cette prise de pouvoir a installé le logocentrisme, à quoi l'écriture alphabétique est évidemment très liée. Le contre-exemple classique est celui de l'écriture chinoise qui n'est pas, ou pas seulement, une notation phonétique de la parole, puisque la même page de caractères chinois peut être lue en des langues très différentes (le mandarin, le cantonnais, le japonais, etc.).


    La question donc qui se pose est celle-ci : pourquoi ne pas inventer une idéographie, c'est-à-dire une écriture d'images, mais une idéographie dynamique, afin d'exploiter toutes les potentialités du nouveau support ?

    J'ai donc examiné ce qui pouvait se rapprocher le plus de cette écriture sur le plan de la programmation, et il m'est apparu que c'était la programmation par objet.

    Dans l'idéographie dynamique, chaque objet est exprimé par un idéogramme. Toutes les transformations de l'objet (du concept) se manifestant par une ou des transformations de l'idéogramme. Les interactions des concepts se visualisent -- par des champs de forces -- dans un espace continu, topologique. Ce n'est plus seulement l'ordonnance linéaire des symboles qui fait sens, mais leur position respective dans l'espace, le "champ de forces" qui est créé par l'ensemble des symboles.

    Revenons au problème de la communication. Qu'exprime-t-on, que veut-on exprimer lorsqu'on parle, lorsqu'on dessine : une certaine structure, un certain modèle mental ? C'est ce modèle mental que l'idéographie dynamique doit servir à exprimer, car le modèle mental est quelque chose de complexe, de multidimensionnel et d'interactif... Si donc je fournis à une communauté quelconque ou à un interlocuteur un analogue de mon modèle mental, je lui permets d'explorer ce modèle et éventuellement de le modifier. Le modèle est essentiellement un dictionnaire d'idéogrammes ayant chacun ses caractéristiques, sa façon d'interagir avec les autres.

    L'idéographie dynamique peut être un instrument de communication extrêmement puissant parce qu'il ne se contente pas de schémas statiques. On peut explorer les interactions entre les différents idéogrammes, et donc entre les concepts qu'ils expriment.

    Ce type d'instrument pourrait permettre la construction et l'évolution de modèles mentaux partagés par des collectivités, ou bien encore de multiplier les versions alternatives de ces modèles mentaux.

    J'ai donc montré dans mon livre, L'idéographie dynamique, qu'une écriture d'images animées avait au moins autant de pouvoir d'expression qu'un langage classique, verbal. A savoir que la négation, la condition, la référence, la croyance, la citation, etc., peuvent être ainsi traduits. Bien que le but de l'idéographie dynamique ne soit évidemment pas de traduire le langage verbal, mais d'ouvrir un nouveau champ au langage. Le but est de développer un mode d'écriture, d'expression autonome.

    Et cependant, on pourrait traduire des phrases, les mots étant représentés par des idéogrammes, les verbes par des rapports ou des mouvements entre idéogrammes... J'entends indiquer par là que des systèmes d'analogies sont possibles...

    La question "radicale" est donc celle-ci : peut-il exister un langage d'images ? Vous allez me dire : "tout dépend de ce que l'on entend par langage !". Pour ma part, j'ai pris les définitions classiques de la linguistique, et c'est là dessus que je tente de fonder mes démonstrations dans mon livre sur l'idéographie dynamique.

    Toutefois, je ne crois pas à la distinction Syntaxe / Sémantique / Pragmatique. Pour moi il n' y a que de la Pragmatique, et différentes instanciations de cette pragmatique. La syntaxe de ce point de vue, c'est de la micro-réthorique, c'est de la réthorique ou de la pragmatique moléculaire. En vérité tout cela relève plus de l'échelle à laquelle on considère les choses que de différences de natures. Le but est bien de produire un effet, que ce soit au niveau des discours qui s'échangent, qui s'opposent dans une situation de communication, que ce soit au niveau des mots ou des configurations sémantiques à l'intérieur d'un discours, que ce soit au niveau de la proposition, de l'agencement syntaxique de la proposition. Dans un champ d'immanence, sans distinctions ontologiques entre les personnes, les signes et les choses, ce sont toujours des effets à des niveaux différents, à des échelles différentes. Nous réinterprétons la fameuse coupure syntaxe / sémantique / pragmatique simplement en disant : "c'est une question d'échelle".

    A mon sens, la communication ne se réduit pas à l'échange de messages, à l'envoi d'un modèle idéographique à quelqu'un. C'est plutôt : "je t'envoie mon modèle, tu m'envoies le tien...". Et la communication, c'est ce qui émerge de cette circulation des messages, des modèles et pas le modèle ou le message lui-même. Nous rapprochons là de l'idée de monde virtuel. Communiquer, c'est construire ensemble un monde virtuel de significations partagées (ou en débat).

    Cela est différent de la télévision, car la possibilité même d'habiter cette circulation et de s'immerger dans les modèles contribue à l'élaboration même du ou des modèles. Il ne s'agit pas seulement d'explorer, mais en explorant de pouvoir modifier le modèle ! Et l'idéographie dynamique est partie prenante de cette évolution profonde de la notion de communication autour de l'idée de réalité virtuelle. Comme, de plus, les mondes virtuels sont censés représenter, modéliser des univers conceptuels aussi bien que matériels, on se trouve plongé dans un processus qui, sur le plan cognitif, peut être très formateur. Utiliser l'idéographie dynamique, ce n'est pas apprendre une langue, c'est explorer un domaine de connaissance par l'intermédiaire d'un monde virtuel. Je ne suis pas obligé d'apprendre "tout" le langage de l'idéographie dynamique, j'apprends seulement les idéogrammes qui majoritairement ont cours dans ce domaine-là (celui que j'explore en ce moment), et -- éventuellement -- je contribue à leur transformation.

    Bien évidemment tout cela, aussi bien les arbres de connaissances que l'idéographie dynamique, suppose une vaste mutation des mentalités. Et cela de façon relativement rapide car, vous en êtes certainement conscient comme moi, nous sommes engagés dans une mutation anthropologique, et rien ne garantit que les transformations en cours ne puissent déboucher sur des choses terrifiantes...

    C'est pour cela que j'ai pris le parti de m'inscrire "dedans" et de tenter de prendre de vitesse les processus qui pourraient être négatifs, dangereux. Car si la prétendue civilisation de l'image, c'est seulement les jeux vidéo et la TV... alors, oui, c'est terrifiant.

    De là, l'idée de réfléchir aux conditions d'émergence de dispositifs socio-techniques et socio-cognitifs permettant de sortir de "l'univers mass-médiatique".

    A propos de la dimension cognitive, j'insiste beaucoup dans L'idéographie dynamique sur le fait que l'apprentissage, le raisonnement, ne passe pas nécessairement par un processus logique formel. La logique formelle est en fait une technologie intellectuelle parmi d'autres et pas un processus "naturel" de la pensée. C'est une technologie intellectuelle qui est liée à un certain support, à un certain système de signes (l'écriture alphabétique) qui est très puissant, très intéressant pour certaines choses, mais qui n'exprime en aucun cas la pensée, le processus de pensée dans toute sa complexité. Et il me semble que le fait de construire des images de modèles mentaux, d'explorer, de mettre en rapport ces images dynamiques, tout cela embraye plus profondément sur le fonctionnement de la pensée...

    Je ne parle pas de pensée naturelle, car la pensée a toujours été en voie d'artificialisation, par les systèmes de signes et les technologies intellectuelles. Dans ce contexte, ce qui est intéressant avec l'informatique, ce n'est pas l'algèbre de Boole, c'est le fait qu'elle nous permet d'accéder (et cela peut apparaître paradoxal à certains) à un mode de raisonnement non-logique, analogique et graphique (simulation, visualisation de modèles interactifs).


    A propos de De la programmation considérée comme un des beaux-arts

    On me dit : vous donnez trop d'importance à l'informel dans la programmation.

    Certes, les règles qui ont été dégagées au cours de la conception du système expert par l'ingénierie de la connaissance sont des règles logiques (du type si... alors) ; et à partir de ces règles, on peut faire des déductions suivant les règles de la logique formelle. Pourtant, il est impératif, pour comprendre ce que je dis, de distinguer entre le programme qui est de type formel d'un côté, et le ou les processus qui conduisent à la fabrication du modèle formel d'un autre côté. Et ces processus-là ne sont pas formels!

    Cette distinction est essentielle pour qui veut explorer et comprendre la "plasticité numérique".

    On peut l'exprimer à nouveau de cette manière. D'une part, le savoir-faire de l'expert et, à mon avis, presque tous les savoirs informels, intuitifs, incarnés peuvent être (moyennant recréation) formalisés, sémiotisés. Il me semble en effet que la capacité de sémiotisation est indéfinie... Mais cela ne peut nous autoriser à aucune conclusion générale sur ce qui a été sémiotisé. Et surtout pas de conclusion abusive sur la nature "logique" ou "formelle" de ce qu'on est parvenu à sémiotiser formellement ou logiquement.

    Il y a le savoir-faire de l'expert, le sémiotisé, qui n'est pas formel.

    Il y a le processus d'ingénierie de la connaissance, le sémiotisant, qui n'est pas formel non plus.

    Et puis il y a le système-expert, le signe, ou l'appareillage sémiotique auquel on est parvenu. Ce à quoi on aboutit, le système expert en lui-même est effectivement logico-formel. Et quand bien même il n'est pas totalement cohérent selon les règles de la logique "mathématique", il l'est globalement. Donc d'un côté, les règles logiques ; de l'autre, les processus qui conduisent à l'émergence d'un dispositif formellement réglé, les mouvements constants d'altération-création.

    Et la programmation d'être un ART !

    Avec ses trucs, ses ficelles! C'est une activité créative.

    J'ai tenté de donner une valeur culturelle à la programmation, de montrer l'aventure (son caractère hétérogène, bricolé, ouvert) qu'elle représente. La logique est toujours un aboutissement, un output de la pensée, un mode de persuasion, parfois. L'effort pour développer et inscrire ce type d'argumentation, de technè intellectuelle n'est pas un "effort logique". La logique est une contrainte d'écriture avec pour effet la relance de la créativité sous d'autres conditions. Il ne faut pas confondre une contrainte d'écriture avec un processus d'écriture ou de sémiotisation. Il ne faut pas confondre le caractère du texte construit (le programme) avec celui du processus d'écriture (la programmation). Le programme est logique, la programmation ne l'est pas.

    Je crois vous avoir montré, en partant de la description de notre dispositif des "Arbres de Connaissances", quelques-unes des problématiques qui sont mises en jeu à l'occasion du processus de NUMERISATION du signe et qui participent toutes de l'émergence d'une nouvelle écologie cognitive.


       

    Bibliographie

    [1]
    Pierre Lévy, Michel Authier, Les arbres de connaissances, Paris : Editions La Découverte, 1992. 180 p.

    [2]
    Pierre Lévy, De la programmation considérée comme un des beaux-arts, Editions La Découverte, 1992. 245 p.

    [3]
    Pierre Lévy, (ouvrage collectif co-dirigé avec Pierre Chambat), Les nouveaux outils de la pensée. Paris : Editions Descartes, 1992. 275 p.

    [4]
    Pierre Lévy, L'idéographie dynamique. Vers une imagination artificielle ?. Paris : Editions La Découverte, 1991. 180 p.

    [5]
    Pierre Lévy, Les technologies de l'intelligence. L'avenir de la pensée à l'ère informatique. Paris : La Découverte, 1990. 234 p. Réédité en livre de poche dans la collection "Points-sciences" en 1993.

    Articles :

    [6]
    Pierre Lévy, "L'intellectuel collectif, nouvel enjeu économique et social". In Actes des 14èmes journées internationales de l'IDATE, Montpellier, 1992, pp. 123-137.

    [7]
    Pierre Lévy, "L'univers aleph : pour une cinécartographie de l'information". In Actes de la sixième école d'automne du campus Thomson, Sept. 1992, 44 p.

    [8]
    Pierre Lévy, Michel Authier, "La cosmopédie, une utopie hypervisuelle". In Culture Technique, avril 1992 consacré aux "Machines à communiquer", 1992, pp. 236-244.


       

    Annexes

    La philosophie des arbres de compétences

    • Chacun sait quelque chose
    • Personne ne sait tout
    • Le savoir est immanent aux collectifs humains
    • La valeur d'une compétence est hautement dépendante du contexte
    • Les cartes du savoir doivent être fondées sur un relevé effectif du terrain

    Un langage commun

    Les arbres de compétences proposent un langage et un espace de négociation commun aux individus (qui offrent des compétences), aux employeurs (qui demandent des compétences) et aux formateurs (qui transforment des compétences)

    Un outil de navigation dans l'espace du savoir

    • Des "cursus" à la navigation personnalisée
    • Des "pré-requis" à la possibilité de circuler dans un espace continu et sans barrière
    • Une autonomie accrue de l'individu face à l'espace du savoir

    Un instrument de lutte contre l'exclusion

    • Aucun pre-requis n'est exigé
    • Tous les types de compétences, y compris les savoirs non formalisés ou non scolaires peuvent être reconnus
    • Les arbres de compétences renvoient a chacun une image positive

    Un outil de régulation de la formation

    • Un instrument d'évaluation empirique des méthodes pédagogiques
    • Un tableau de bord permettant aux formateurs de répondre plus finement à la demande sociale

    Une méthode de gestion des compétences dans les entreprises

    • Facilitation et valorisation des "bilans de compétences" dorénavant inscrits dans la loi
    • Une gestion des compétences souple, non fondée sur des catégories figées
    • Une responsabilisation de chacun face à la formation et à l'acquisition d'expérience professionnelle en fonction des besoins de l'entreprise

    Les systèmes d'information pragmatiques

    DES "MONDES VIRTUELS" (MV)

    - Immersion

    • Les individus ou les groupes participants sont immergés dans le MV.
    • Individus ou groupes ont une image d'eux-mêmes et de leur situation dans le MV.
    • Chaque acte de l'individu ou du groupe modifie son image.
    • Chaque acte de l'individu ou du groupe modifie le MV (topologie de la cinécarte, distribution de la valeur).

    - Navigation

    • Le MV oriente les actes de l'individu ou du groupe.
    • En plus des instruments de recherche et d'adressage classiques, les repérages, recherches et communications se font par proximité dans un espace continu.
    • La portée exacte des recherches, repérages et communications est finement contrôlée par l'utilisateur
    • ==> Grande capacité de filtrage et de sélection

    Ce qu'il y a dans les systèmes d'information pragmatiques et qu'il n'y a pas dans les bases de données, conférences électroniques, hypermédias et collecticiels classiques

    Aucun collecticiel contemporain ne possède en même temps toutes ces caractéristiques :

    • Carte de l'espace sémantique de la communication dans le groupe se dessinant et se modifiant automatiquement en temps réel (visualisation du contexte).

    • Possibilité de repérage visuel immédiat des objets et des messages sur la cinécarte.

    • Possibilité d'auto-repérage visuel immédiat des individus et des sous-groupes sur la cinécarte.

    • Evaluation automatique en temps réel des objets, messages, utilisateurs, selon une multitude de critères.

    • Visualisation de la valeur par la couleur.

    • Navigation par proximité dans un espace sémantique continu avec modulation fine de la portée des recherches.

    • Appropriation complète du langage ouvert de description et d'interrogation par les utilisateurs.

    Cinécarte de l'espace sémantique

    Schéma fonctionnel des cinécartes

    Auto-description des sujets : La théorie des cinécartes ne considère pas de sujets mais des auto-descriptions de sujets. De la sorte, les personnes ne sont jamais réifiées, elles sont toujours conçues comme des sources de parole, des pôles vivants de création, d'exploration et d'auto-poièse, des noeuds de relations avec des objets et d'autres sujets. Les sujets se décrivent :
    1. par les objets qu'ils créent, transforment, désirent, utilisent, consomment, maintiennent, achètent, etc.
    2. par leur activité de description et d'interprétation d'objets réels ou idéaux,
    3. par leur contribution à l'enrichissement du langage de la communauté (création de descripteurs),
    4. par leurs explorations et recherches dans la cinécarte.

    Dans certains cas, les sujets peuvent se prendre eux-mêmes comme objets. Le système permet alors d'exprimer des créations, des modifications, des explorations des sujets par eux-mêmes ou entre eux. Il peut exister plusieurs auto-descriptions d'un même sujet. L'auto-description d'un sujet se présente comme une distribution de descripteurs sur une cinécarte.

    Objets : Les objets, y compris les messages que s'adressent les sujets, sont le "territoire" exprimé par la cinécarte. Un objet peut n'avoir qu'une description ou, à l'autre extrême, avoir autant de descriptions qu'il y a de sujets. La communauté se construit en négociant son rapport aux objets.

    Description des objets : Ce sont les descriptions ou indexations des objets, en totalité ou en partie selon les cas, qui structurent la cinécarte. Structurées en retour par la cinécarte, les descriptions d'objets se présentent comme des distributions de descripteurs sur la cinécarte.

    Descripteurs : Les descripteurs constituent le lexique du "langage cinécartographique" de la communauté. Ce lexique est librement créé et enrichi par les sujets, il sert à la description des objets et à l'auto-description des sujets, il compose la cinécarte qui l'évalue et l'organise en retour. La communauté se construit en négociant son langage.

    Cinécarte : La cinécarte est l'image dynamique du discours collectif de la communauté sur elle-même et ses objets. Elle visualise les relations du collectif sujets-objets-langage. Elle autorise une exploration et une communication par proximité dans un espace continu. Elle organise dynamiquement les objets en fonction des descriptions qu'en font les sujets. Elle évalue dynamiquement les éléments du "territoire" en fonction de leurs descriptions et des transactions dont ils font l'objet. Elle permet aux sujets de se situer et de s'orienter entre eux et par rapport aux objets. Elle ouvre entre les sujets un espace de communication et de négociation de leur "langage cinécartographique".

    Comment se fait un arbre de compétence

    La lecture de l'arbre

    Construction de l'arbre

    Le logiciel range les brevets par "couches" en fonction de leur "capacité d'engendrement" d'autres brevets dans les curriculums (dimension verticale de l'arbre) et par "branches" en fonction de leur connexité dans la collection des curriculums (dimension horizontale de la cinécarte).

    L'écorce, les feuilles

    Les carrés et rectangles qui couvrent l'écorce, ainsi que les feuilles de l'arbre sont tous des brevets.

    Un brevet est situé à un seul endroit de l'arbre.

    Les brevets occupent d'autant moins de surface qu'ils sont plus nombreux dans la même couche.

    La dimension verticale

    Plus les brevets sont "bas" dans l'arbre, et moins ils ont généralement demandé de compétences préalables avant d'avoir été acquis. Les compétences "de base" sont dans le tronc.

    Plus les brevets sont "hauts" dans l'arbre, et plus ils impliquent généralement d'expérience ou d'études préalables dans les curriculums de la collectivité. Les compétences les plus "expertes" sont signalées au sommet de l'arbre.

    Les feuilles sont des brevets dont l'acquisition n'est pas nécessaire à l'acquisition d'autres brevets. Les feuilles sont des "fins de parcours" provisoires.

    Les branches

    Les branches réunissent des brevets souvent associés dans les curriculums des individus.

    Le blason

    Un blason est la projection du curriculum d'un individu dans un arbre de compétences.

    Pour chaque personne, son blason est le "vous êtes ici" sur la carte des compétences de la collectivité.

    A partir de son blason, l'individu peut préparer des navigations libres et personalisées sur l'espace du savoir en fonction de ce qu'il est, de ses projets et des besoins de la collectivité (signalés par la couleur).

    Caractère dynamique de l'arbre

    L'arbre est automatiquement et intégralement recalculé en temps réel chaque fois ...
    • qu'une personne acquiert un nouveau brevet,
    • qu'une personne entre dans la collectivité ou en sort.

    Caractère contextuel de l'arbre

    L'organisation de l'arbre n'est décidée par aucune institution, commission ou théorie de la connaissance. Les branches ne sont pas des disciplines mais des compétences rapprochées par les parcours effectifs des membres de la collectivité. L'organisation et l'évaluation des compétences est différente dans chaque collectivité.

    LES TROIS MESSAGERIES DES ARBRES DE COMPÉTENCES

    1) La messagerie des échanges de savoir entre les individus

    Cette messagerie permet à chacun d'envoyer des messages aux membres de la collectivité dont les blasons sont les plus proches d'un profil de compétence recherché. Elle permet en retour aux récepteurs des messages intéressés par les demandes de se signaler aux envoyeurs et d'entrer en contact.

    2) La messagerie de l'emploi

    Cette messagerie permet aux employeurs d'envoyer des offres d'emploi aux membres de la collectivité dont les blasons sont les plus proches d'un profil de compétence recherché. Elle permet en retour aux récepteurs des messages intéressés d'entrer en contact avec les employeurs.

    Lorsqu'un individu interroge la "banque des profils", il accède à l'ensemble des offres d'emplois par ordre de proximité avec son propre blason.

    3) La messagerie des ressources d'apprentissage

    Cette messagerie permet à chaque organisme de formation ou centre de documentation d'indexer les formations ou les documents qu'ils proposent à la collectivité par les brevets que ces formations ou ces documents aident à obtenir.

    Grâce à cette messagerie, les individus peuvent s'inscrire aux formations disponibles ou exprimer leurs demandes de formation quand il n'y en a pas.

    Des messageries adressées par les compétences

    Les offres, les demandes, les réponses aux demandes qui circulent dans les messageries se font toujours à propos de blasons, de profils et de brevets. Les messageries sont "adressées par les compétences" et non par le nom, l'adresse ou le statut des personnes.

    Messageries et évaluation

    Les brevets sont notamment évalués par les citations dont ils font l'objet dans les messageries de la part de l'ensemble de la collectivité.

    Schéma fonctionnel du système des arbres de compétences

    Les brevets

    Icône
    du type
    d'épreuve
    Icônes
    du
    domaine
    Icône de
    l'objet de la
    compétence
    Icône
    du déposant
    du brevet

    • A chaque brevet correspond une "épreuve", ce qui peut être formelle ou non formelle (déclaration d'expérience pratique...).

    • Toutes les personnes qui ont le même brevet ont passé la même épreuve.

    • Si un membre de la collectivité estime posséder une compétence qui n'est pas présente dans l'arbre, il peut librement importer ou créer un nouveau brevet.

    • Pour créer ou "déposer" un brevet, il faut : assembler quatre icônes, trouver un nom, définir une épreuve (formelle ou non formelle).

    • Le dépôt de brevet n'est soumis à aucune barrière a priori parce que les brevets sont constamment évalués a posteriori par l'usage réel.

    • Chacun peut ainsi participer à l'institution du savoir de sa collectivité.

    Les brevets n'ont aucune signification ni aucune valeur indépendemment des contextes vivants et chaque fois différents des arbres et des blasons

    L'évaluation des brevets

    Les brevets sont évalués continûment et en temps réel par l'ensemble de la collectivité.

    Huit critères d'évaluation distincts sont mis en oeuvre.

    1. La "capacité d'engendrement" du brevet. Ce critère prend en compte la densité de la zone de l'arbre où se trouve le brevet (plus la zone est occupée et moins le brevet a de valeur) ainsi que le nombre de brevets auquel il mène dans une progression ascendante (plus il conduit de "sève" et plus il a de valeur). Selon ce critère "pédagogique", la valeur indique les "points de passage privilégiés" dans les parcours d'apprentissages. La valeur des feuilles est toujours nulle suivant ce critère.

    2. La hauteur du brevet dans l'arbre. Ce critère exprime la valeur d'expertise du brevet.

    3. La fréquence de citation du brevet dans la collection des blasons. Ce critère exprime la valeur sociale ou culturelle du brevet.

    4. La fréquence de citation du brevet dans la messagerie des échanges de savoirs. Ce critère exprime la valeur de "sociabilité" du brevet.

    5. La fréquence de citation du brevet dans les offres d'emplois indique la valeur économique du brevet.

    6. La fréquence de citation des brevets dans les réponses aux offres d'emplois exprime la sensibilité sociale à la demande économique.

    7. La fréquence de citation du brevet dans l'offre de ressources d'apprentissage exprime la disponibilité de formation.

    8. La fréquence de citation des brevets dans les demandes de formation exprime la demande de formation.


    Le logiciel des arbres de compétences permet de visualiser indépendamment les unes des autres les différentes composantes de la valeur des brevets.

    La valeur globale d'un brevet dépend d'une pondération entre les 8 critères qui est fixée par la collectivité. Cette pondération s'applique à tous les brevets sans exception. Il est impossible de fixer arbitrairement la valeur d'un brevet particulier.


    © "Pour une nouvelle économie du savoir". In Solaris, nº 1, Presses Universitaires de Rennes, 1994