L'édition électronique en mathématiques :
Pierre BARTHELEMY
Laboratoire de mathématiques discrètes
LMD - UPR
9016 CNRS
Campus de Luminy - Case 930
13288 MARSEILLE Cedex 9 -
FRANCE
Tél. : 91 82 70 19 - Fax : 91 82 70 15
E-mail :
barth@lmd.univ-mrs.fr
Remerciements : Jean-Paul ALLOUCHE (LMD - Marseille), Pierre BERARD (Institut Fourier - Grenoble), Jean BETREMA (LABRI - Bordeaux). - Paris, 1995
![]() |
La diffusion de l'information scientifique sur l'Internet, et
singulièrement la question des journaux électroniques, est un
domaine en pleine effervescence. Le fort développement des serveurs WWW, très utilisés maintenant pour la diffusion de journaux électroniques, contribue à cet engouement. Mais bien que le développement actuel des serveurs WWW à des fins de diffusion de journaux électroniques ait récemment mis en avant ce concept, la notion de journaux électroniques elle-même n'est nullement nouvelle et leur diffusion par messagerie électronique était déjà courante. La communauté mathématique, maintenant largement familiarisée avec l'Internet, constitue un champ favorable pour l'expérimentation de moyens électroniques de diffusion de l'information scientifique. |
Rappelons qu'on appelle pre-print, ou pré-tirage, ou pré-publication, un article soumis pour publication à une revue scientifique. Ce texte est donc susceptible d'être modifié ultérieurement en fonction des remarques éventuelles du comité de lecture. Compte tenu des délais importants qui peuvent s'écouler entre la soumission d'un article et son acceptation, puis sa publication effective, il est d'usage courant d'en diffuser la version provisoire (pre-print) à un certain nombre de collègues, voire aux bibliothèques des laboratoires concernés. Cette diffusion se fait beaucoup par messagerie électronique et surtout par des serveurs FTP au niveau des laboratoires.
L'automatisation de cette pratique a conduit à la notion de serveurs de pre-prints. En s'appuyant sur le mécanisme des listes de diffusion (mailing lists) par messagerie électronique (logiciels de la famille ListServ, ou serveurs de listes), il est possible à un chercheur de s'abonner à un serveur de pre-print de son domaine d'intérêt et de recevoir régulièrement les résumés des derniers pre-prints disponibles (ce qui rejoint la notion de profil bien connue des documentalistes). Les fichiers correspondants peuvent ensuite être visualisés ou obtenus à partir d'un serveur WWW ou FTP. Du point de vue de l'évolution de l'Internet, on peut noter que, dans le processus que nous venons de décrire, des services récents comme WWW sont utilisés conjointement avec des services plus anciens comme la messagerie électronique ou le transfert de fichiers.
La messagerie électronique est en fait utilisée pour la diffusion de journaux électroniques (diffusant à intervalles plus ou moins réguliers vers une population identifiée) et pour réaliser des serveurs de pre-prints (diffusant à la demande). Ces deux notions sont hélas souvent confondues.
Sans aller jusqu'à la notion de journaux électroniques, l'emploi de l'Internet dans le contexte de la publication scientifique permet d'accélérer les procédures habituelles : collecte des contributions à un colloque, envoi des textes au secrétariat de rédaction, échanges entre les auteurs, les secrétariats de rédaction et les membres des comités de lecture.
Outre la messagerie électronique, les serveurs "FTP anonyme" (FTP - File Transfert Protocol) sont un moyen simple et ancien pour diffuser des textes électroniques. Ils restent très employés, même s'ils sont souvent vus à travers Gopher ou WWW.
De très nombreux laboratoires de recherche en mathématique, informatique et physique théorique en France utilisent depuis longtemps le service FTP anonyme pour diffuser divers documents : rapports, thèses, articles, ... etc. On peut citer l'INRIA, le CPT, l'ENS, le CIRM, le LMD, ...
En ce qui concerne plus particulièrement les articles, il est d'usage d'envoyer après publication des tirés à part (reprints) aux collègues qui en font la demande. Sous réserve des questions de copyright vis-à-vis de l'éditeur, les fichiers correspondants peuvent être diffusés par des serveurs FTP, dont les chercheurs sont de ce fait devenus familiers.
Les zones FTP en question sont de plus en plus souvent présentées, avec d'autres informations, à travers des serveurs WWW et beaucoup de serveurs WWW qui se mettent en place référencent des espaces FTP préexistants.
Il convient de rappeler tout d'abord que le vocable de "journal électronique" recouvre des réalités techniques et éditoriales diverses et que le débat, parfois vif, s'en trouve obscurci.
Les textes électroniques, matériaux de base d'un journal électronique, peuvent être diffusés par différents services de l'Internet : messagerie électronique, transfert de fichiers, puis plus récemment serveurs WWW.
La possibilité de diffuser électroniquement des écrits scientifiques pose deux questions principales :
Certains voudraient faire croire que les textes scientifiques diffusés sur l'Internet seraient d'une qualité (valeur scientifique) moindre, car n'étant pas passés par un comité de lecture, et donc n'ayant pas été soumis à la validation par les pairs. Il s'agit selon nous d'un faux débat, car le recours ou non au mécanisme des comités de lecture est indépendant du mode de diffusion ultérieur de l'information. Il est donc fallacieux de distinguer de ce point de vue entre "textes électroniques" et "textes papiers".
Si cette question donne parfois lieu à de vifs débats, il ne faut voir là que le premier argument --pour ne pas dire l'argument primaire-- des tenants de l'édition scientifique traditionnelle.
Cependant il faut tout d'abord distinguer entre diffusion de pré-publications (preprints, littérature grise) et diffusion de véritables journaux électroniques, c'est-à-dire de textes finalisés.
Par contre, on peut imaginer à la limite un nouveau mode de validation où la diffusion électronique large et systématique des pré-publications, aboutissant à une sorte d'affichage électronique immédiat et permanent, dans lequel la notion de comité de lecture se trouverait élargie à l'ensemble d'une communauté scientifique, conduirait à terme à un autre mode d'évaluation de la recherche.
Comme tout secteur de l'économie soumis à des mutations technologiques importantes, le secteur de l'édition scientifique se doit de réagir en temps utile.
Il faut toutefois considérer que, pour de multiples raisons, la disparition de l'édition scientifique "papier" n'est pas à craindre dans un avenir proche. Cependant les marges importantes réalisées par certains éditeurs scientifiques vont se trouver amoindries.
Dans les domaines qui nous intéressent, SPRINGER a récemment annoncé (Online'94) la diffusion sur l'Internet des journaux électroniques suivants :
La stratégie des éditeurs scientifiques est évidemment de faire en sorte que la diffusion électronique, devenue inévitable, soit tributaire de standards de fait qu'ils auraient eux-mêmes imposés, comme par exemple des formats de fichiers spécifiques requérant des logiciels clients tout aussi spécifiques pour leur exploitation (visualisation et impression). L'interface Guidon, promue par l'OCLC pour plusieurs journaux électroniques (Immunology Today, Applied Physics Letter Online, Current Biology, Current Science, Online Journal of Current Clinical Trials, ...) et permettant la restitution de graphiques, en est un exemple significatif.
Un séminaire de théorie des nombres existe à Bordeaux depuis 1968, avec publication d'actes.
La proportion dans ces actes d'articles originaux n'ayant pas été présentés sous forme de communication orale au séminaire, ayant augmenté au fil des ans, ces actes sont progressivement devenus vers 1989 un véritable journal scientifique paraissant deux fois l'an (de 250 pages environ), qui prend en 1990 l'appellation de Journal de Théorie des Nombres de Bordeaux.
Avec l'apparition des serveurs WWW, une version électronique expérimentale apparaît en 1994. La procédure de parution ne s'en trouve nullement modifiée, et le JTNB reste une revue scientifique à comité de lecture. L'édition sur papier se poursuit normalement, avec une diffusion d'environ 200 abonnements, et il n'est nullement question de l'abandonner.
On retrouve toutefois le problème de la gratuité de la version électronique (supposée concurrentielle avec une édition papier payante), gratuité qui n'est pas souhaitée par les éditeurs.
Diverses solutions techniques visant à contrôler (ou du moins identifier) la population de lecteurs électroniques seront évaluées.
Les contributions sont rédigées en AMSTeX, un format de TeX, et seules sont diffusées électroniquement les versions DVI et PostScript, à l'exception des sources TeX. Le serveur est actuellement hébergé à la bibliothèque de mathématiques de Bordeaux et devrait basculer à l'INRIA Sophia dans le cadre d'un projet plus global décrit ci-après (cf. 3.3).
Un service de sommaire de périodiques mathématiques existe depuis le début de 1995 à la bibliothèque de mathématiques de Bordeaux. Il s'agit d'un serveur WWW, pleinement opérationnel depuis mai 1995, dont l'URL est http://almira.math.u-bordeaux.fr.
Initialement, c'est-à-dire au début de 1994, un serveur WWW a été mis en place dans cette bibliothèque. Ce serveur WWW est interfacé avec une base Oracle qui, par le biais de procédures en langage C et en SQL, retourne des documents HTML.
Aux informations usuelles concernant un périodique donné (début de la collection, dernière livraison, ...) a pu être ajoutée la restitution à l'écran de sommaires obtenus par scannerisation. Le serveur propose actuellement (mai 1995) environ 800 images pour 150 revues. Certains sommaires sont obtenus en faisant appel à d'autres serveurs (par exemple pour les Annales de l'Institut Fourier), mais la plupart sont des images numérisées localement. Ce service propose en principe la plupart des périodiques importants et d'autres peuvent être ajoutés à la demande.
Devant les évolutions rapides en matière de journaux électroniques, le MESR, associé à la SMF et à la SMAI, a lancé la mise en place d'un serveur français de journaux électroniques en mathématiques.
Ce projet vise à étudier trois perspectives envisageables :
Ce projet est conduit sous l'égide de la SMF et de la SMAI, sociétés savantes bien connues des mathématiciens. Sa réalisation a été confié à l'INRIA de Sophia-Antipolis.
Les journaux présentement concernés sont, respectivement pour chacune des trois possibilités évoquées ci-dessus :
La conférence "Future of Mathematical Communication", à Berkeley fin 1994, a permis de faire un tour d'horizon mondial sur l'évolution de l'Internet vis-à-vis de la communication scientifique en général et sur les serveurs de pre-prints et les journaux électroniques en particulier (http://www.msri.org).
Nous présentons ci-après quelques exemples concrets de réalisation dans le domaine des mathématiques.
Nombreux sont les organismes de recherche en mathématiques qui diffusent des pre-prints sur l'Internet. Il s'agit en fait plus généralement de serveurs d'institutions sur lesquels vont se trouver des zones accessibles en FTP anonyme, des bases WAIS (comme à l'IRMA à Strasbourg ou au CIRM à Marseille pour l'interrogation de bases bibliographiques), des espaces Gopher, le tout généralement frontalisé par un serveur WWW :
Et en matière de journaux électroniques proprement dits :
En matière de diffusion électronique de documents, la question des formats de fichiers et de leur standardisation est évidemment cruciale.
Dans la communauté mathématique, les textes scientifiques sont presque toujours saisis ou diffusés suivant les formats :
Bien que l'idée d'édition électronique soit bien antérieure aux concepts de WWW, le service WWW a apporté des enrichissements notables.
Appliqués aux journaux électroniques en mathématiques, les apports de WWW peuvent se décliner ainsi :
C'est pourquoi les serveurs WWW ont connu un très fort développement en France depuis 1994. La plupart des nouveaux serveurs d'information qui sont mis en place le sont avec des serveurs WWW (et non plus Gopher), le plus souvent à des fins de communication institutionnelle.
WWW s'est très rapidement popularisé dans la communauté mathématique : d'une part avec la mise en place d'un nombre croissant de serveurs, d'autre part avec la mise à disposition de logiciels clients performants et particulièrement simples d'emploi, comme Mosaic ou NetScape, disponibles sur de nombreuses plates-formes.
La communauté mathématique est assurément un terrain particulièrement favorable pour le développement des journaux électroniques : banalisation de l'outil informatique en général, forte pénétration de l'Internet, standardisation des traitements de textes (TeX). La convergence de ces facteurs essentiels est sans doute spécifique à la communauté mathématique.
Mais la question des journaux électroniques s'insère en fait dans un contexte plus large de pratique de l'Internet perçu comme un outil de diffusion de l'information scientifique : communication institutionnelle rénovée par les serveurs WWW, dialogue entre chercheurs facilité par la messagerie électronique, échange de pré-publications accéléré par les serveurs FTP, localisation d'ouvrages facilitée par les serveurs WAIS, le développement de l'Internet en France a d'ores et déjà considérablement modifié le mode de diffusion de l'information scientifique et plus généralement le mode de travail quotidien des chercheurs.
© "Solaris", nº 3, Juin 1996.