Le catalogue de l'histoire de France de la Bibliothèque nationale, "boîte à outils" du chercheur : contribution à une Histoire des instruments de recherche de l'information

Christian Almavi


Montpellier, Université Paul Valéry.


Le Catalogue de l'Histoire de France est une sorte de tiroir bibliographique, contemporain du développement de la science positiviste sous le Second Empire, qui engrange, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, à la fois les sources imprimées du passé national les plus variées - brochures et pamphlets politiques, affiches et tracts électoraux, publications administratives à caractère historique, statistiques - et les ouvrages rétrospectifs sur l'histoire de France dans sa globalité publiés en France et à l'étranger depuis le XVe siècle. Cette documentation - qui représente environ un dixième des ouvrages conservés au département des imprimés et un quart des livres consultés par les chercheurs - est classée, en grandes rubriques thématiques : l'histoire politique, religieuse, administrative, régionale et locale, sociale, biographique, etc. Elle constitue non seulement toute la mémoire de la France, mais aussi une grande partie de la mémoire de la Francophonie.





          
Manuels de littérature, encyclopédies, anthologies de textes historiques répètent, depuis un bon siècle, la même antienne : le XIXe siècle, qui fut celui de Guizot, de Thiers, d'Augustin Thierry, de Michelet, de Fustel de Coulanges, serait par excellence le siècle de l'Histoire. Cependant le vif intérêt manifesté pour l'écriture romantique a malheureusement fini par reléguer au second plan l'existence des instruments de recherche et de conservation des traces imprimées du passé, sans lesquels l'érudit ne peut Faire de l'histoire. Or, si le XIXe siècle est bien le siècle de la résurrection et de la connaissance, mythologique et savante, du passé, ce n'est pas seulement parce qu'il est dominé par l'oeuvre flamboyante de Michelet et l'écriture de cristal de Tocqueville. C'est aussi parce qu'il nous a légué une formidable "boîte à outils", le Catalogue de l'Histoire de France de la Bibliothèque nationale, dont l'utilisation a conditionné, du moins jusqu'à l'ouverture, en 1995, de la Bibliothèque nationale de France à Tolbiac, la recherche historique. Publié de 1855 à 1879, sous la forme de onze fort volumes - accompagnés de 1880 à 1895 de suppléments imprimés, puis, de 1895 à 1987, de suppléments sur fiches, manuscrites d'abord, puis dactylographiées, et, enfin, informatisées - il offre la particularité de fournir de précieuses références bibliographiques accompagnées de leurs cotes à la Bibliothèque nationale, toujours introduites par la lettre L, qui symbolise l'unité du répertoire.

Quelques chiffres donnent la mesure de l'immense domaine documentaire que recense cet exceptionnel instrument de recherche :

Dans ces conditions, à la veille du déménagement des collections de livres de la vieille Bibliothèque nationale sur le site de Tolbiac, il n'est sans doute pas inutile de rappeler l'histoire de cet exceptionnel catalogue, sa logique interne - y compris les parti-pris idéologiques contestables qu'elle révèle - enfin son évolution récente pour l'adapter aux exigences de la Nouvelle Histoire.




Une histoire singulière

Créé, sous le Second Empire, par Taschereau, le catalogue est à la fois l'aboutissement de l'organisation générale du département des imprimés amorcé à la fin du XVIIe siècle et une réalisation originale, qui exprime bien les exigences et les illusions de l'histoire positiviste qui, sur les décombres de l'historiographie romantique, s'impose dans la seconde moitié du XIXe siècle. En effet, le classement adopté par Nicolas Clément, garde de la bibliothèque royale sous Louis XIV, n'est pas neutre, mais illustre clairement une certaine conception du temps, qui reflète les idéaux de la Contre-Réforme catholique et de l'absolutisme des Bourbons :

xxxx Division des fonds des imprimés de la BN inventée par Nicolas Clément, à la fin du XVIIe siècle et conservée jusqu'en 1995 :

  1. Bible.
  2. Interprètes de la Bible.
  3. Pères de l'Eglise.
  4. Théologiens.
  5. Conciles. Droit canonique. Liturgie.
  6. Droit civil et politique.
  7. Géographie. Chronologie et histoire générale.
  8. Histoire ecclésiastique.
  9. Histoire grecque et byzantines. Histoire romaine et Antiquité.
  10. Histoire d'Italie.
  11. Histoire de France.
  12. Histoire d'Allemagne, de Suisse, de Hongrie, de Pologne, de Russie, des Etats du Nord et de la Belgique.
  13. Histoire d'Angleterre.
  14. Histoire de l'Espagne, du Portugal et des pays situés en dehors de l'Europe. Voyages.
  15. Mélanges historiques. Biographie.
  16. Bibliographie
  17. Philosophie. Sciences morales et politiques.
  18. Histoire naturelle. Agriculture.
  19. Médecine. Chimie.
  20. Mathématiques. Astronomie. Architecture. Art militaire. Art nautique. Mécanique. Beaux-arts. Arts mécaniques.
  21. Grammaire.
  22. Poésie et romans.
  23. Philologie et polygraphie. Mythologie...

Le très catholique et très classique XVIIe siècle français sacralise ici sans complexe, dans une perspective providentielle proche de celle du Bossuet du Discours sur l'histoire universelle (1681), le temps divin, celui de la Bible et de ses interprètes les plus orthodoxes - les Pères de l'Église - et l'histoire de l'Antiquité gréco-romaine, considérée encore pour longtemps comme un modèle culturel "indépassable". Cette hiérarchisation du savoir, qui rejette en "queue de peloton" les sciences et la littérature, ne tient vraiment compte ni des prodigieuses découvertes scientifiques d'un siècle qui - avec les expériences de Galilée, de Descartes, de Pascal, entre autres - proclame que l'univers est écrit en langage mathématique -, ni, à l'heure de la querelle des Anciens et des Modernes, de l'éclat artistique et littéraire du Siècle de Louis XIV !

Toutefois la place réservée, dans cette hiérarchie de la connaissance, à l'histoire nationale - symbolisée par la lettre L, qui renvoie au Roi-Soleil en personne ! - est loin d'être négligeable, dans la mesure où elle est volontairement située à la charnière d'un passé sacré et d'un passé profane, à la jointure d'une ère classique, brillante mais révolue, et d'une histoire moderne à venir, pleine de promesses. Comment mieux signifier que la Providence a conféré à la France, "Fille aînée de l'Eglise" - placée ici délibérément devant toutes les autres entités européennes, l'Empire, l'Angleterre, l'Espagne, éternelles rivales de la France - la mission insigne d'assumer et d'illustrer le double héritage, artistique, culturel et religieux de l'Antiquité ?

Cependant si l'Âge classique a inventé une rubrique, estampillée "L", pour rassembler tous les ouvrages relatifs à l'histoire du royaume des Francs, c'est seulement le Second Empire qui va en organiser, de manière rigide, l'aménagement interne selon une classification méthodique, qui aboutit à une série de quinze sections, elles-mêmes découpées en une suite de chapitres complémentaires :

L. Préliminaires et généralités.

Précisons d'emblée que ce classement n' est pas seulement intellectuel et abstrait, mais topographique et matériel : dans les magasins de la rue de Richelieu, les livres relatifs à l'histoire nationale sont placés dans des travées spéciales, qui reproduisent fidèlement les subdivisions internes de la lettre L, de La à Ln. Une telle vision globale du savoir - qui, à l'intérieur même de la Bibliothèque prend la forme d'une sorte de "labyrinthe" qui aurait probablement enchanté Borges - témoigne naturellement des ambitions "positivistes" des érudits chartistes qui, comme Léopold Delisle, successeur de Taschereau à la tête de la Bibliothèque nationale en 1874, entendent bien stocker toute la mémoire historique de la France, ou, plus précisément conserver tous ses supports, toutes ses traces écrites, toutes ses sources narratives et administratives imprimées (voir en annexe des exemples concrets des sources imprimées ainsi répertoriées).

En vertu de cette noble ambition d'exhaustivité documentaire, toute pièce imprimée ayant trait au passé national a sa place dans une des "alvéoles" de cette "ruche" bibliographique. A ses cités figurent tout aussi naturellement les ouvrages à caractère rétrospectif, publiés depuis la seconde moitié du XVe siècle. Aucune hiérarchie arbitraire d'ordre bibliophilique, littéraire ou scientifique n'établit de distinction entre les différents volumes. Les Mazarinades, les brochures révolutionnaires, les livrets de colportage à la gloire du Petit Caporal héritiers de la Bibliothèque bleue de Troyes, les affiches de la Commune de Paris, les tracts de la Résistance et ceux de Mai Soixante-huit (pour cette dernière période, les collections de la BNF en comptent plus de quinze mille), sont ici logés à la même enseigne que les monuments de la propagande monarchiste rédigés par des historiographes officiels et habillés de superbes reliures de maroquin rouge.

Ce rassemblement global des sources de toute nature relatives à un sujet précis, mises à la disposition des chercheurs en un répertoire unique, fut particulièrement apprécié de Tocqueville lorsque, après la parution de l'Ancien Régime et la Révolution (1856), il commença à travailler sur la Révolution elle-même : "On m'a donné, écrit-il à son ami Beaumont, le ler février 1857, un exemplaire du catalogue imprimé [de l'histoire de France] où se trouvent tous les ouvrages qui se rapportent à la Révolution. J'indique sur ce livre tous les ouvrages dont j'ai besoin et on me les envoie. Beaucoup sont des brochures ou des pièces détachées." (André Jardin, Alexis de Tocqueville :1805-1859, Paris : Hachette, 1984, p. 487)

Toutefois, si le catalogue conserve bien sans a priori toute la mémoire nationale (à l'exception des oeuvres de fiction), la manière dont il organise le classement interne des sections et des chapitres n'est pas totalement désintéressée, mais reflète assez bien les conceptions idéologiques des élites au pouvoir sous l'Empire autoritaire...




La Logique interne du système

Le tableau général des différentes sections - depuis L. jusqu'à Ln - révèle une subtile hiérarchie entre elles, qui se manifeste sous quatre angles complémentaires. A travers les sections La et Lb, délibérément placées en tête de toutes les autres séries et habilement mises en scène dans une enfilade vertigineuse de dynasties, de règnes et de régimes, le catalogue semble sacraliser en premier lieu l'histoire politique la plus conventionnelle. - Il valorise ensuite l'Etat (royal, de préférence) et l'administration publique - Lf - dont les sources documentaires précèdent largement celles qui concernent la vie privée et la vie sociale des Franáais, répertoriées dans le Li et le Ll. - Il privilégie également Paris, "noyau dur", autour duquel s'organise de manière quasi providentielle la centralisation française depuis l'époque des grands Capétiens, au détriment de la périphérie. L'Histoire de la France rassemblée autour de la capitale grâce aux efforts conjoints de l'Ancien Régime et de la Révolution, sur le plan politique (La et Lb), diplomatique (Lg), et bien sûr militaire (Lh), devance largement ici l'histoire locale et régionale, regroupée dans la section Lk (dont le poids bibliographique est cependant loin d'être négligeable). - Enfin, de manière plus générale, il donne la priorité à la collectivité sur l'individu isolé, qui n'apparaît vraiment en tant que tel que dans l'utime chapitre de la dernière section : Ln27, réceptacle des biographies et des autobiographies des Franáaises et des Franáais appartenant à toutes les conditions sociales : les Confessions de Jean-Jacques Rousseau et Les Mots de Sartre y cìtoient en effet sans protocole culturel les souvenirs d'humbles ronds-de-cuir, de bergers ou d'institutrices soucieux de faire partager leur expérience au grand public.

Beaucoup plus graves sont probablement les conséquences perverses d'un principe de base a priori irréprochable sur le plan scientifique. Partant de l'idée, fort utile aux chercheurs, que tout lieu devenu français, à un moment historique donné, était de ce fait français de toute éternité, les auteurs du catalogue ont décrété - sans probablement se rendre compte de la véritable portée de leur décision - que ses habitants seraient donc rétrospectivement naturalisés français, parfois bien malgré eux et en contradiction flagrante avec leurs sentiments profonds, leur culture, ou leur comportement historique. Ainsi, les Granvelle, père et fils, sont-ils ici déclarés bons Français, parce que natifs de Franche-Comté, bien qu'ils aient été, au XVIe siècle, en tant que conseillers influents de l'empereur Charles-Quint et de Philippe II d'Espagne, de redoutables adversaires de la monarchie française...

Le rattachement de l'Alsace au royaume de France, en 1648, en vertu du traité de Westphalie, a eu pour conséquence de transformer le bourgeois de Colmar Martin Schongauer (1445-1491), le plus grand peintre germanique avant Dürer, en artiste français. Autre transformation cocasse, et heureusement éphémère, celle qui a fait de Garibaldi, né à Nice en 1807, un citoyen français! Cette obsession rétrospective, qui, peut, à la rigueur, se justifier pour des territoires relevant directement de l'hexagone et pour des personnalités de culture française comme les Granvelle, a sombré dans le ridicule lorsqu'elle fut (provisoirement) appliquée à saint Augustin, sous prétexte que l'évêque d'Hippone est né et mort dans deux villes situées dans une future colonie française, l'Algérie !...

Cette manie rétrospective possède une variante, la volonté de créer, contre toute réalité historique et pour des raisons purement idéologiques, une histoire imaginaire, dont les meilleurs exemples sont les chapitres consacrés aux règnes de "Louis XVII" ( Lb39) et de "Napoléon II" (Lb47). Le catalogue de l'histoire de France, que ses promoteurs présentent volontiers comme une référence scientifique, est ici pris en flagrant délit de "réécriture" de l'histoire pour des motifs partisans...

Heureusement les dérives les plus aberrantes du catalogue, conséquence de ses origines "impériales" et des effets pervers de principes justes, ont été corrigées dans les suppléments rédigés sous la Troisième République, et, sous la Cinquième République, le catalogue a réussi un aggiornamento qui a eu les conséquences les plus positives pour la recherche scientifique...




Le Ravalement du catalogue

L'intérêt de plus en plus marqué, dans les années cinquante, Parmi les historiens, pour l'histoire économique et sociale, puis la naissance et l'affirmation de l'histoire des mentalités, au cours des années soixante, ont entraîné deux conséquences majeures pour notre catalogue : l'ouverture de nouveaux tiroirs, susceptibles d'y accueillir les "nouveaux territoires de l'historien" ; la métamorphose, plus ou moins radicale, de certains chapitres qui, sans changer de titre, ont cependant profondément modifié leur contenu.

Nouveaux tiroirs, ou plutôt nouveau tiroir : au début des années soixante, le catalogue s'ouvre à l'histoire économique avec l'ouverture d'une seizième section, qui prend la suite du domaine biographique (Ln), et est symbolisée par le sigle Lo. Son organisation interne est rigoureusement identique à celle des autres séries plus anciennes : on y procède toujours du général au particulier, depuis le Lo1, généralités, jusqu'au Lo8, économie par régions.

Les Métamorphoses internes affectent en priorité, sans bouleversement apparent, la vie culturelle et sociale. La section Lj, traditionnellement consacrée à l'archéologie préhistorique, gallo-romaine et médiévale, accueille libéralement, à partir des années 1980, les références bibliographiques à l'archéologie industrielle. D'autre part, le gonflement spectaculaire du chapitre Ll1 -Généralités de l'histoire sociale - témoigne de l'intérêt relativement récent des chercheurs pour les mouvements et les problèmes sociaux : tous les marginaux, les déviants, jadis superbement oubliés, font désormais une entrée fracassante dans le catalogue. A présent les jeunes et les femmes - autrefois relégués dans les chapitres Ln17 et Ln18 - les homosexuels, les alcooliques, les drogués, les vagabonds, les criminels, les prostituées bénéficient progressivement, dans le Ll1, de rubriques propres. Ce même chapitre rassemble également toutes les références relatives aux problèmes posés par la société de consommation : le logement, les loisirs, la sociologie de la lecture, etc.

Toujours dans la même section, le chapitre Ll5 - Histoire des classes populaires en France - fut promu réceptacle de l'histoire du travail dans son sens le plus large : s'y côtoient notamment l'histoire du syndicalisme, du socialisme, celle des problèmes de l'emploi, des accidents du travail, de la grève et du chômage, de la main d'oeuvre immigrée, etc. Quant au chapitre Ll8, jadis réservé aux domestiques, il renvoie aujourd'hui à l'histoire de l'assistance et aux problèmes relatifs aux affaires sociales : sécurité sociale, allocations familiales, problèmes de l'enfance, de la vieillesse, etc.

Cependant la métamorphose la plus radicale, la plus complète touche la section concernant les Moeurs et coutumes des Français (Li), devenue véritablement le noyau central de l'histoire des Mentalités et de l'Ethnographie française, à l'intérieur du catalogue. En effet là où, pendant environ un siècle, de 1860 à 1960, on répertoriait et classait les vieilles survivances folkloriques des provinces arriérées de l'ancienne France, on se penche aujourd'hui, affectueusement, voire avec nostalgie sur les Arts et traditions populaires. Comme pour le chapitre relatif à la vie sociale, les généralités qui introduisent la rubrique Li1 se sont largement étoffées et étendent leur champ d'investigation à la sorcellerie et surtout aux usages religieux - devenus un des thèmes de recherche les plus féconds de l'École des Annales - en proposant un large inventaire des pratiques de dévotion populaire, des fêtes religieuses, des processions, des pèlerinages, du culte des reliques, etc.

Précisons cependant que si ce répertoire a su enregistrer, non sans retard du reste, les nouvelles manières d'écrire l'histoire, il ne les a jamais en retour suscitées, ni même influencées. Cette attitude passive s'explique probablement par deux raisons majeures. En premier lieu, sa vocation première n'est pas d'ordre historiographique, méthodologique ou épistémologique, mais relève d'une perspective strictement bibliographique : il s'agit d'inventorier, de conserver et de mettre à la disposition des chercheurs, de la manière la plus efficace possible, les principaux supports - les sources imprimées et les ouvrages rétrospectifs - de la mémoire nationale. Pendant plus d'un siècle - grosso modo du Second Empire à la Cinquième République - il n'y avait pas de raison de bouleverser un système qui donnait entière satisfaction aux bibliothécaires. D'autre part et surtout, comme les chercheurs utilisaient le Catalogue comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, sans en avoir réellement conscience - encore aujourd'hui nombre de lecteurs de la Bibliothèque nationale de France, y compris des universitaires distingués, le confondent avec la Bibliographique annuelle de l'Histoire de France ! - ils ne risquaient guère d'être inspirés par ses chapitres pour renouveler l'écriture scientifique de l'Histoire...

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Grâce à ses transformations intérieures, le Catalogue de l'Histoire de France tend à ressembler de plus en plus, depuis environ vingt-cinq ans, à une belle demeure ancienne, dont on aurait ravalé la façade et rénové de fond en comble les appartements sans modifier toutefois le style de la maison, ni changer l'ordonnancement interne des étages. Paradoxalement; c'est au moment où le catalogue s'est mis au diapason de la Nouvelle Histoire et a fait la preuve de ses exceptionnelles capacités à engranger les sources imprimées de l'histoire vivante de demain - 175.000 tracts et documents électoraux sont entrés à la Bibliothèque nationale depuis 1974 - que son aventure s'achève, malheureusement : le déménagement des collections imprimées de la rue de Richelieu sur le site de Tolbiac pour permettre l'ouverture de la Bibliothèque nationale de France entraîne en effet la fermeture de la cote spécifique réservée jusque là aux ouvrages portant sur la vie nationale dans son sens le plus large et la transformation d'un ensemble vivant en un fonds mort. Désormais, dans cet établissement, qui se flatte, à juste titre, d'être la seule bibliothèque francophone de dimension universelle, les traces de la mémoire nationale et francophone vont se fondre dans la masse des volumes acquis à la Bibliothèque nationale de France par les voies du dépôt légal, des acquisitions et des dons.

Certes "la réorganisation des départements des imprimés et des périodiques en quatre départements thématiques (Littérature et art ; Histoire, philosophie, sciences de l'homme et de la société ; Sciences politiques juridiques et économiques ; Sciences et techniques)" était indispensable pour sortir enfin du cadre de classement rigide de l'Âge classique (celui de Clément, à la fin du XVIIe siècle) et du positivisme triomphant (celui de Taschereau et Léopold Delisle au XIXe siècle) et rendre compte de manière féconde de l'élargissement, voire de l'éclatement du champ du savoir depuis plus de cinquante ans. Cependant en supprimant cette exception culturelle française vivante qu'était la cote "L" et en diluant la mémoire nationale dans une immense section Histoire du département Sciences humaines, ne risque-t-on pas de porter atteinte à la vocation première de la Bibliothèque nationale de France, qui est de conserver et de valoriser le patrimoine culturel français dans toutes ses dimensions (historiques, littéraires, artistiques, etc) saisi à travers ses multiples supports ? Sacrifier le Catalogue de l'Histoire de France pour des raisons techniques, n'est-ce pas, paradoxalement, sur le plan de la recherche historique, risquer d'entrer dans l'avenir à reculons ?...




ANNEXE

Exemples de Sources imprimées et d'ouvrages rétrospectifs répertoriés par le Catalogue de l'Histoire de France sous le Second Empire.


Chapitre sept : Histoire administrative de la France contemporaine : Lf.


Chapitre douze : Histoire locale : Lk




Bibliographie sommaire

  • ALMAVI, Christian. "Catalogues historiques et conceptions de l'histoire", Storia della Storiografia, 1982, nº 2, pp. 77-101.

  • ALMAVI, Christian. "La Périodisation du passé national dans la catalogue de l'Histoire de France du département des imprimés de la Bibliothèque nationale", dans Périodes : la construction du temps historique. Actes du Ve colloque d'Histoire au présent (déc. 1989), Paris : Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales et Histoire au présent, 1991, pp. 15-20.

  • FOUCAULT, Jean-François. La Bibliothèque royale sous la monarchie de Juillet. Paris : Comité des travaux historiques, 1969.

  • LEDOS, E.G.. Histoire des catalogues de livres imprimés de la Bibliothèque nationale, Paris : Bibliothèque nationale, 1936.

  • MORIN, Marie-Renée. "La Collecte des tracts de mai 1968 par le service de l'histoire de France", dans Études sur la Bibliothèque nationale et témoignages remis en hommage à Thérèse Kleindienst. Paris : Bibliothèque nationale, 1985, pp. 217-223.

  • SABATIER, Isabelle Sabatier. Guide de l'utilisateur du catalogue de l'histoire de France de la Bibliothèque nationale : 1855-1987. Paris : Chadwyck-Healey France, 1989.

  • VOUILLOT, Bernard. "La recherche historique à la Bibliothèque Nationale de France : état des lieux en 1996 et perspectives", dans Usages des bibliothèques : Lieux d'histoire et état des lieux, Sources - Travaux historiques, nº 41-42, 1995, pp. 157-168.

  • VOUILLOT, Bernard. "Traitement et collecte des sources de l'histoire de France à la Bibliothèque nationale", L'Imprimé à la Bibliothèque nationale : dossier de la Revue de la Bibliothèque nationale, nº 49, automne 1993, pp. 8-10.
    C'est à cet article bien informé, que j'emprunte les chiffres et statistiques citées dans mon texte.

  • Entendons-nous bien : on pourra toujours aisément retrouver, par des moyens électroniques, les ouvrages relatifs à la vie nationale conservés à la Bibliothèque nationale, en consultant soit les fichiers-auteurs, soit les catalogues matière. En revanche on ne pourra plus consulter cet ensemble cohérent et homogène, qui privilégiait la vie nationale en lui attribuant une cote spécifique, que rien désormais ne remplacera.

  • Actualités de la Bibliothèque nationale de France, nº 1, avril-mai-juin 1995, p. 5.


    © "Solaris", nº 4, Décembre 1997.