Histoire des données iconiques relatives à l'espace architectural et urbain

Pascal SANSON


Université de la Sorbonne Nouvelle Paris-III - DESTEC
psanson@univ-paris3.fr


Le statut de l'image dans les recherches et publications relatives à l'espace architectural et urbain

1. L'information ainsi que les données relatives à l'espace habité sont dans une forte proportion figurées.

Aménager et construire, d'une part, étudier production architecturale et fait urbain d'autre part, conduit en effet à de nombreux types de représentations graphiques qui se sont nourries aux développements de la géométrie projective :

  • planes (ou à 2 dimensions); plans, élévations frontales, latérales, coupes ...,

  • en perspective parallèle (ou à 3 dimensions); appelée aussi perspective isométrique ou axonométrique,

  • en perspective bifocale, à deux points de fuite et point de vision,

  • photographiques (du réel, de simulation et de maquettes réduites ou en vraie grandeur).

  • photogrammétriques; la restitution du relief est obtenue par combinaison de couples d'enregistrements photographiques permettant de reconstituer les deux faisceaux perspectifs.

  • numériques ou infographiques; durant longtemps simples transpositions informatiques par digitalisation, les images numériques, qu'elles soient modélisées point par point (mode bit-map) ou par système de coordonnées cartésiennes (mode dit vectoriel), sont maintenant des réalités incontournables.


    Les images dans les recherches et publications relatives à l'espace habité

    Nous préciserons le statut de ces images qui sont presque toujours des données iconiques au sens de PEIRCE, c'est à dire représentant un espace réel ou projeté. Après avoir mis en lumière les différents modes d'utilisations de ces données iconiques, nous évoquerons nos travaux qui ont tenté de répondre à un certain nombre de questions qui sont devenues de très vastes problématiques :

    Comment appréhender de vastes ensembles de données iconiques constitués en corpus représentatifs d'objets architecturaux et urbains, réels ou projetés, afin de dépasser leur statut habituel et réducteur d'illustration pour mettre au jour leur contenu d'information et de signification. ?

    Comment organiser ces données iconiques et les formaliser en systèmes d'information exhaustifs et qui tiennent compte du caractère multiple, polysémique, de leur contenu informatif sans en figer une fois pour toutes un niveau d'explicitation. ?





  •           

    1. Introduction : Représentation et figuration de l'espace

    Depuis des temps immémoriaux l'aménagement des territoires a donné lieu à une figuration, une représentation de l'espace qu'il soit réel ou projeté. Dans la problématique de la production des édifices, une étude historique de la représentation de l'espace se mêle donc à celle des arts de la figuration. Elle est l'objet de nombreux travaux et nous ne pouvons prétendre dans le cadre de cette contribution à une quelconque exhaustivité. Nous nous limiterons donc à l'explicitation de quelques jalons qui nous permettront de montrer comment l'on est passé, entre le Moyen-Âge et la Renaissance, de l'image illustration à la donnée iconique au statut d'IST (information scientifique et technique).

    La préface de Gaspard MONGE à l'édition de son ouvrage majeur Géométrie descriptive (1811) destiné aux élèves de l'École Normale, illustre l'objet de sa démarche que nous présenterons rapidement au paragraphe 5.1. Elle constitue aussi une bonne introduction à notre propos :

    " Cet art (la géométrie descriptive) a deux objets principaux. Le premier est de représenter avec exactitude sur des dessins qui n'ont que deux dimensions, les objets qui en ont trois et qui sont susceptibles de définition rigoureuse. Sous ce point de vue, c'est une langue nécessaire à l'homme de génie qui conçoit un projet, à ceux qui doivent en diriger l'exécution et, enfin, aux artistes qui doivent en exécuter les différentes parties. Le second objet de la géométrie descriptive est de déduire de la description exacte des corps tout ce qui suit nécessairement de leurs formes et de leurs positions respectives. Dans ce sens, c'est un moyen de rechercher la vérité, elle offre des exemples perpétuels du passage du connu à l'inconnu; ..."

    Ce discours très didactique ne doit pas nous faire oublier le génie de Gaspard MONGE qui collecta et codifia les éléments d'expression graphique en usage chez les praticiens de son temps et les constitua en un véritable langage.

    Et pourtant on conçoit bien que la coordination requise par la construction de vastes édifices et la répartition des tâches entre les différents corps de métiers allait rendre nécessaire une communication par l'image et par le texte qui allait instaurer la création et la diffusion d'un véritable langage graphique. Coordonnateur autant que concepteur, l'architecte va essentiellement communiquer ses projets au moyen de ce langage.

    Ceci était déjà vrai pour la stéréotomie, l'art de la taille et de la coupe de la pierre, surtout quand le constructeur voulait que les pierres fussent pré-taillées à la carrière. Avec l'industrialisation des matériaux de construction, ce sont de nombreux langages graphiques qui se sont développés grâce aux grands principes de la représentation du monde volumique.




    2. L'héritage méthodologique des bâtisseurs antiques

    De ces bâtisseurs d'empires, de l'antiquité classique, nous n'avons conservé qu'un seul traité dont l'unicité a bien évidemment renforcé la notoriété : Les dix livres d'Architecture de VITRUVE. Et pourtant, si le texte latin nous est parvenu complet, l'appareil graphique fut perdu dans les bouleversements de la fin de l'empire romain.

    Nous évoquerons deux traductions intéressantes par l'importance du programme de restitution de cet appareil graphique, celle en italien, publiée à Milan en 1521, est due à Cesare CESARIANO. On sait que la célébrité de la traduction française la plus connue est due à la commande royale effectuée par l'intermédiaire de COLBERT (vers 1665, première édition en 1673) à Claude PERRAULT.

    Dès le chapitre premier du livre I, dans une présentation des qualités que doit posséder un architecte, il insiste :

    " il doit savoir écrire et dessiner, être instruit dans la géométrie et n'être pas ignorant de l'optique, ... ; la raison est que; pour ne rien oublier de ce qu'il a à faire, il doit en dresser de bons mémoires, et pour cet effet savoir bien écrire; : il doit savoir dessiner afin qu'il puisse avec plus de faciliter, sur les dessins qu'il aura tracés, exécuter tous les ouvrages qu'il projette; ..." (VITRUVE, 1673-1979 : 24)

    Dans le deuxième chapitre de ce même livre, intitulé "En quoi consiste l'architecture", l'auteur aborde cette ambitieuse interrogation par une référence à la tradition grecque :

    L'architecture est constituée par : l'ordonnance, que les Grecs appellent taxis; la proportion, qu'ils nomment diathésis; l'eurythmie; la proportion; la convenance, et la distribution, qui en grec est appelé oeconomia. ...

    La disposition est l'arrangement convenable de toutes les parties, de manière qu'elles soient placées selon la qualité de chacune; les représentations ou, pour parler comme les Grecs, les idées de la disposition se font de trois manières, savoir: par l'ichnographie, l'orthographie et la scénographie. L'ichnographie est le tracé à la règle et au compas du plan d'un édifice, dans un petit espace, comme si c'était sur le terrain. L'orthographie représente, aussi dans un petit espace, l'élévation d'une de ses faces ... ; la scénographie fait voir l'élévation non seulement d'une de ses faces et des côtés, mais encore des parties enfoncées, et cela par le concours de toutes les lignes à un point central. (VITRUVE, 1673-1979 : 30)

    S'il y a controverse quant à l'interprétation de ce point central interprété comme l'analogue soit du point de fuite, soit du point de vision [1] , il est certain que les anciens, en bonne filiation avec la géométrie euclidienne, avaient imaginés les projections coniques d'un objet sur un plan. Il est probable que les auteurs des scénographies urbaines de la Renaissance évoquées ci-après (Cf. infra 4 et la figure 2) avaient lu VITRUVE.

    C'est à propos de la réédition italienne que Roland RECHT examine le problème des illustrations en constatant que le responsable de cette entreprise, Cesare CESARIANO, présente 117 gravures qui renouent avec le statut scientifique qu'elles devaient avoir dans le texte antique :

    "Le dessin tend à visualiser un développement textuel. Les livres de Vitruve décrivent des formes artistiques (architecturales ou plastiques) et l'image apparaît par conséquent comme la 'réalisation' du texte. Cela a pour conséquence que l'image peut très facilement remplacer le texte, se substituer à lui dans la mémoire du lecteur et que c'est bien l'illustration qui produit du sens." [2] (RECHT, 1988 : 62)

    L'auteur analyse effectivement quelques planches et remarque par exemple la perfection figurative de certains chapiteaux, véritables dessins d'exécution pour un tailleur de pierre. Il conclut en affirmant :

    "l'illustration de l'édition Cesariano marque un moment essentiel dans l'histoire de l'architecture occidentale: une théorie architecturale, vieille de quinze siècles, reçoit brusquement des formes visibles." (RECHT, 1988 : 63)




    3. Le monde médiéval

    Les témoignages issus du monde médiéval sont évidemment assez rares puisque nous nous situons avant l'ère de l'imprimerie. Néanmoins le Carnet de VILLARD de HONNECOURT qui nous est parvenu hélas amputé de plusieurs dessins, est très éclairant pour l'objet qui nous occupe.


    Figure 1 : Dessin extrait du Carnet de Villard de Honnecourt [ERLANDE-BRANDEBURG, BECHMANN & al. 1986].



    La figure1 est l'un des dessins du célèbre Carnet de VILLARD qui représente trois éléments figuratifs, un nu inspiré d'un bronze antique, un socle avec draperie et un roi sur un trône surmonté d'un baldaquin. Ces trois éléments sont comme juxtaposés et illustrent clairement cette notion de compartimentage de l'espace du dessin même si les visées didactiques du Carnet peuvent aussi expliquer cette juxtaposition; seul le socle, indépendamment des deux personnages et même de la draperie qu'il supporte, s'essaye à une maladroite restitution des volumes par une sorte de mise en perspective au moyen d'une projection conique à partir d'un point de vue, origine des génératrices.

    "En l'absence de règles et de conventions reconnues, telles que celles qui de nos jours régissent la géométrie descriptive, le dessin géométral, la perspective et qui permettent de retrouver les vraies grandeurs et les différentes faces des divers éléments figurés, le dessinateur du XIIIe siècle devait inventer des façons de représenter correspondant à sa logique propre. Ainsi, sur certains dessins, VILLARD a figuré l'objet qu'il cherchait à représenter comme s'il était "déplié" autour d'un axe. ... Sur plusieurs de ses dessins, pour figurer une roue et en même temps son arbre, VILLARD se place en biais. ... Sur un autre dessin, il a représenté une tour selon une espèce de perspective cavalière qui rend compte à la fois de deux faces et du dessus de l'édifice. " (BECHMANN 1986 : 43)

    Souvent ces dessins présentent un caractère d'esquisses ayant permis la notation d'une idée constructive ou technique. Il faut se rappeler que le papier n'existait pas et que le parchemin était cher; non seulement les brouillons mais aussi les épures définitives étaient figurées sur le sol ou les faces planes des blocs de pierre destinées à disparaître dans les scellements. Le caractère oral et initiatique du compagnonnage d'alors était donc aussi justifié par la rareté des supports et le coût de toute duplication, uniquement manuelle.

    Fréquemment des profils métalliques étaient découpés pour faciliter la taille des nombreuses moulures de l'architecture gothique; cette méthode est encore utilisée de nos jours (gabarits en tôle de zinc).

    Ces productions graphiques n'avaient certes pas encore un statut scientifique, leur précarité traduisait en fait un usage accessoire dans la genèse et la production des édifices. Sans nul doute très nombreuses, elles ont disparu, parfois, comme nous l'avons rappelé, au sein même de la construction. On y trouve néanmoins ces prémisses de la géométrie descriptive que MONGE --de 1780 à 1811, date de la publication d'une nouvelle édition de son ouvrage Géométrie descriptive-- va codifier à partir, notamment, des épures effectives des tailleurs de pierre et des charpentiers.

    Après la présentation de ces quelques jalons historiques, nous laisserons à Pierre FRANCASTEL le soin de faire transition: On pourrait dire que le Moyen-Âge a eu une conception compartimentaire de l'espace, que la Renaissance en a eu une conception scénographique ... (1970 : 213).




    4. La Renaissance et l'invention de la perspective


    4.1. Les repères historiques

    Parmi les peintures ou dessins qui sont des manifestes de la perspective naissante, les scénographies urbaines et théâtrales de la Renaissance, à point central de convergence, évoquent certes VITRUVE. La Città ideale du panneau dit d'Urbino exprime parfaitement cette conception scénographique. (Cf. figure 2)

    "Ce fut à Florence, au début du XVe siècle, que fut créé, par la découverte de la perspective, un nouveau langage plastique. Pendant les cinq siècles qui suivirent, la perspective fut l'un des éléments constitutifs de l'histoire de l'art, le credo incontesté auquel toute représentation picturale dut se soumettre. ... La perspective n'a pas été la découverte d'un seul homme; elle a été l'expression d'une époque entière. Nous retrouverons ultérieurement une situation analogue quand nous en viendrons à parler du cubisme. Là aussi, à la conception nouvelle de l'espace, issue de notre époque, répondra tout un mouvement, et non une oeuvre isolée. Ce qui est significatif, dans les deux cas, c'est la démarche parallèle de l'art et de la science, mais ce fut dans l'élaboration de la perspective que leur collaboration fut la plus étroite." (GIEDION 1990 : 56)


    Figure 2 : "La Città ideale" du panneau dit d'Urbino, attribué par certains historiens d'Art à Giuliano da Sangallo. La composition exprime la conception scénographique de la représentation perspective.

    Figure extraite de Fables, formes, figures [CHASTEL 1978 : 321].



    Après avoir insisté sur le fait que ces figurations du réel s'inscrivent dans la mouvance de l'histoire des arts et de la représentation picturale, centrons-nous sur la grande révolution dans les techniques de représentation. Cette invention de la perspective bifocale qui se situe à la fin du Moyen Age, est appréhendée notamment par Pierre FRANCASTEL (1970) dans les chapitres "Naissance d'un espace : mythes et géométrie au Quattrocento" et "Destruction d'un espace plastique" :

    "Le nouvel espace n'est pas seulement géométrique mais aussi mental. Dans ce nouveau continu, qui insiste sur le problème des positions fixes des objets, ce qui change ce n'est pas uniquement la perspective. On passe assurément d'un système de représentation que, suivant les thèses de PIAGET, on peut considérer comme projectif - ou correspondant au second degré du développement de l'esprit enfantin - pour aborder un système perspectif, euclidien - ou du troisième degré selon PIAGET. ...

    Désormais, on insiste à chaque instant sur la distinction entre le contenant et le contenu, trait fondamental de l'abandon des représentations topologiques et de l'adoption d'une vision euclidienne. Il en résulte une opposition entre un contenant immobile et un contenu mobile." (FRANCASTEL 1970 : 177)

    Les recherches en matière de représentation perspective de la Renaissance portent en elles le renouvellement, certes des arts graphiques et picturaux, mais aussi de la création architecturale de cette période. Les plus grands acteurs de cette période vont souvent être à la fois ingénieur, architecte et artiste. ALBERTI, BRUNELLESCHI, DÜRER, PIERO DELLA FRANCESCA, MICHEL-ANGE, Jean PÉLERIN VIATOR et Léonard de VINCI, pour ne citer que les figures les plus emblématiques, produisent des oeuvres architecturales ou picturales qui sont influencées par leurs recherches en matière de figuration.


    4.2. Naissance de la donnée iconique au statut d'IST

    Qu'il s'agisse d'une naissance ou d'une renaissance, si l'on considère que l'antiquité classique n'a pu si bien bâtir sans un système de représentation de type projectif, il est certain que c'est à la Renaissance qu'il revient d'avoir instaurer l'image figurative en tant que donnée iconique au statut d'IST.

    "Pour la première fois, en effet, dans l'histoire de la connaissance, la perspective institue une correspondance métrique rigoureuse entre les objets dans l'espace et leur représentation ; elle fournit un système logique de symboles visuels de la réalité, permettant ainsi de la décrire et de la reproduire sous des formes d'une intelligibilité universelle ; elle crée, ce faisant, les conditions d'un développement de la recherche scientifique, soutenue en cela par les nouvelles techniques de reproduction mécanique des images, et elle rend possible, entre autres, la publication des premiers traités illustrés de botanique et d'anatomie (Vesale).

    Responsable de l'utilisation du nouveau procédé graphique pour l'investigation de la nature, Léonard de Vinci, vers la fin du Quattrocento, reporte sur l' "espace des phénomènes naturels" l'intérêt qu'avaient accordé jusqu'à présent les artistes, pendant tout le siècle, à "l'espace de l'homme". Mais, à partir de ce dernier espace et dans la nécessité où l'on était d'en faire le décor rationnel du héros humaniste, les recherches pour l'élaboration de la perspective avaient commencé à se développer ; il n'y a donc pas à s'étonner de voir que l'inventeur en fut un architecte sculpteur comme Filippo Brunelleschi et le premier théoricien un architecte lettré comme Leon Battista Alberti, avec son traité De pictura (1435, livre I), tandis qu'il devait revenir aux peintres d'en assurer ensuite l'emploi sur une large échelle, transformant ainsi progressivement les habitudes visuelles de leurs contemporains . (DALAI EMILIANI, 1989 : 933)

    Le développement de l'imprimerie à caractères mobiles (1450) qui succéda à l'impression par planches gravées (Tabellaire ou xylographique) née au début du XVe siècle, va offrir aux artistes les possibilités de mieux médiatiser leurs oeuvres, et aux architectes, théoriciens (on conçoit un édifice par la pensée) et constructeurs, les moyens graphiques de communiquer leurs projets.




    5. Les données iconiques de l'architecture et de l'urbanisme

    L'information ainsi que les données relatives à l'espace sont, dans une forte proportion, figurées. Aménager et construire d'une part, étudier production architecturale et fait urbain d'autre part, conduit en effet à de nombreux types de représentations graphiques. Celles-ci vont toutes posséder ce statut de donnée iconique et d'IST; elles se sont nourries aux développements de la géométrie projective :


    5.1. Représentations planes (à 2 dimensions) ou géométrales.

    (Cf. figure 3)

    Elles consistent en des projections cylindriques orthogonales sur des plans horizontaux (dessins en plan classique situés à l'altitude de chaque niveau d'un édifice) ou verticaux (élévations frontales, latérales, coupes ...).


    Figure 3 :Un projet de LEDOUX ("Maison des bûcherons", 1804) est représenté en géométral : élé frontale, en haut, et, en bas, projection cylindrique orthogonale sur un plan horizontal (dessin en plan classique). Cette représentation graphique constitue une application élémentaire de la géométrie descriptive [MONGE 1800] puisqu'elle combine deux plans orthogonaux de projection : un plan vertical, ou plan frontal, et un plan horizontal, appelé rabattement.

    Figure extraite du Cours de dessin d'architecture à partir de la géométrie descriptive [AUBERT 1980 : 7].



    La géométrie descriptive (MONGE, 1800-1811) combine deux plans orthogonaux de projection : le plus souvent un plan vertical ou plan frontal, et un plan horizontal, appelé rabattement.

    Ces représentations planes, réalisées à l'échelle, conservent les grandeurs mais elles ne permettent pas l'appréhension des volumes.


    5.2. Représentations en perspective parallèle (ou à 3 dimensions),

    appelée aussi axonométrie ou perspective isométrique. (Cf. figure 4)

    Elles représentent les objets volumiques vus par un observateur supposé situé à l'infini. Projection cylindrique oblique, l'axonométrie est très utilisée en architecture; elle est l'héritière des perspectives cavalières. Les volumes apparaissent déformés mais les dimensions sont conservées. Afin de faciliter la compréhension de l'articulation de bâtiments complexes, on réalise souvent des axonométries spécifiques à chaque niveau (axonométries empilées).


    Figure 4 : La "Maison des bûcherons" de LEDOUX est représentée en perspective parallèle, appelée aussi axonométrie ou perspective isométrique.
    Ces axonométries représentent les objets volumiques vus par un observateur supposé situé à l'infini.

    Figure extraite du Cours de dessin d'architectures à partir de la géométrie descriptive [AUBERT 1980 : 7].



    Ces propriétés en font donc une méthode de représentation toujours utilisée par tous les métiers de la production de l'espace aménagé et/ou bâti.


    5.3. Représentations en perspective (ou à 3 dimensions)

    (perspective bifocale ou perspective vraie)


    Figure 5 : La même "Maison des bûcherons" est restituée en perspective vraie ou bifocale. Cf. figure 7 pour le détail de la construction.

    Figure extraite du Cours de dessin d'architectures à partir de la géométrie descriptive [AUBERT 1980 : 7].



    Nous avons évoqué dans l'introduction l'importance de la découverte de la perspective par les architectes/artistes ALBERTI et BRUNELLESCHI. D'autres acteurs importants ont contribué à la codification de la perspective à deux points de fuite (perspective bifocale) : Jean PÉLERIN VIATOR, Léonard de VINCI, MICHEL-ANGE et DÜRER qui a gravé le principe d'une machine, ancêtre des perspectographes (Cf. figure 6) : le portillon simule l'intersection des rayons lumineux issus d'un objet - un luth - et convergeant en un point avec le plan de projection. Ce que l'on appelle simplement perspective est alors une projection conique à partir d'un point de vision sur un plan de projection.


    Figure 6 : Le "Portillon" de DÛRER est l'anc^tre des perspectographe ; la machine dont il nous a gravé le principe simule l'intersection des rayons lumineux issus d'un objet --un luth-- et convergeant en un point avec le plan de projection.

    Figure extraite de l'article "Perspective", in Encyclopaedia Universalis, Paris : 1975 & 1989..



    "Pour nous, la perspective, au sens prégnant du terme, est donc l'aptitude à représenter plusieurs objets avec la partie de l'espace dans laquelle ils se trouvent, de telle sorte que la notion de support matériel du tableau se trouve complètement chassée par la notion de plan transparent, qu'à ce que nous croyons, notre regard traverse pour plonger dans un espace extérieur imaginaire qui contiendrait tous ces objets en apparente enfilade et qui ne serait pas limité mais seulement découpé par les bords du tableau." (PANOFSKY 1975 : 39)


    5.4. La construction des représentations en perspective bifocale

    " Le système perspectif le plus répandu est la méthode bifocale avec points de distance aux bords du tableau, dont la théorie est assurée par Jean Pélerin Viator dans son traité De artificiali perspectiva (Toul, 1505). La construction perspective qui domine dans la peinture flamande relève aussi de la méthode bifocale; (DALAI EMILIANI, 1989 : 934)


    Figure 7 :Phases successives de la restitution en perspective bifocale de la "maison des bûcherons" [LEDOUX, 1804] :

    .



    Comme la figure 7 le montre, la perspective bifocale donne à l'observateur un rôle privilégié puisque sa position, le point de vue PV, contribue à déterminer les deux points de fuite F1 et F2 qui conditionnent la construction de l'ensemble de l'image, en liaison avec la ligne de terre LT et la ligne d'horizon LH.

    Précisons les phases successives de la restitution en perspective bifocale de la maison des bûcherons (LEDOUX, 1804), objet volumique qui nous a déjà permis d'exemplifier le géométral et la représentation en perspective parallèle :




    6. La représentation photographique


    6.1. La photographie argentique ou numérique

    L'objectif photographique permet de réaliser rapidement une projection conique d'un objet sur le plan de la pellicule ou du capteur CCD (Charge Coupled Devices).

    La figure 8 montre comment l'objectif, placé à la place de l'oeil OE, projette l'image inversée de l'objet sur le plan de la pellicule. Perfectionnement du procédé de la camera obscura, bien connu des peintres de la Renaissance, c'est surtout par l'invention de la pellicule sensible à la lumière que la photographie s'est développée.


    Figure 8 :La perspective projective du procédé de la camera obscura et de l'objectif photographique.

    Figure extraite du Cours de dessin d'architectures à partir de la géométrie descriptive [AUBERT 1980 : 65].



    En fait, on produit ainsi une représentation à l'effet perspectif plus ou moins prononcé et ce en fonction de la focale de l'objectif; fort effet perspectif avec les courtes focales ou grands-angulaires, faible effet perspectif, proche d'une perspective parallèle, avec les longues focales ou télé-objectifs.

    Cette propriété de la représentation photographique en fait un auxiliaire irremplaçable pour tout abord de l'espace en vue de son aménagement.

    Trois des applications contemporaines les plus utilisées méritent d'être signalées :


    6.2. Le couple photogrammétrique

    Comme la photographie stéréoscopique qui connut un grand succès auprès du public, dès les premières réalisations industrielles de la photographie, la photogrammétrie s'inspire de la vision humaine pour la restitution du relief; elle constitue une variante professionnelle de la même problématique.

    Popularisée par les campagnes de l'Unesco pour la sauvegarde des édifices de l'ancienne Égypte, destinés à disparaître dans les eaux du lac de retenue du barrage d'Assouan, la photogrammétrie regroupe un ensemble de dispositifs qui rendent possible la restitution des volumes, avec possibilité de mesures précises, au moyen de deux prises de vue qui fournissent le couple photogrammétrique.

    La mise en oeuvre complexe des chambres métriques, pour la prise de vue, et des appareils de restitution du relief ont quelque peu freiné son développement en architecture et en urbanisme. Mais l'introduction de l'informatique et la généralisation du codage numérique des données iconiques devrait modifier cet état de fait.




    7. L'informatique graphique et l'image numérique


    7.1. Le dessin vectoriel

    Nous terminerons en évoquant l'incidence de la nouvelle techno-science qu'est l'informatique graphique. On peut réaliser en quelques jours des dessins vectoriels qui demandaient auparavant plusieurs mois d'efforts. Des perspectives multiples, et mêmes animées, autorisent une meilleure simulation de l'impact des projets d'architecture sur nos paysages naturels et urbains.

    Certes la C.A.O./D.A.O. (Conception et dessin assistés par ordinateurs) est en train de révolutionner la production graphique relative à l'espace bâti mais aussi à l'univers virtuel du multimedia. Il faut toutefois constater que les méthodes canoniques établies par les inventeurs de la géométrie descriptive et de la représentation perspective sont toujours en usage, même si de timides avancées du côté de nouvelles visualisations sont expérimentées.

    Néanmoins les possibilités de simulation de l'espace réel ou projeté constituent un véritable saut qualitatif dans la représentation de cet espace. C'est aussi par la mémorisation des multiples pièces écrites et autres fichiers descriptifs que les outils informatiques sont en train de révolutionner le travail des praticiens de l'espace.


    7.2. L'image numérique

    Il ne s'agit dans ce paragraphe, pas seulement des constructions de type "squelette" ou "fil de fer", mais d'image informatique au rendu réaliste, important dans l'évaluation par le public de tout projet d'aménagement.

    Si les informaticiens savent depuis plusieurs décennies créer des images de synthèse, cela requérait des configurations puissantes et donc très coûteuses. Ce n'est que depuis quelques années que ces tâches sont réalisables sur des stations graphiques plus abordables et même des configurations de type PC (Personal Computer). La plupart des systèmes proposent des palettes graphiques offrant certes des couleurs multiples mais aussi un grand nombre de figures types et de textures.


    7.3. Les mémoires optiques : CD-Rom et DVD-Rom

    L'archivage d'une image numérisée, même compressée, nécessite plusieurs Mo (millions d'octets) et donc le recours à d'autres media que les mémoires magnétiques, les mémoires optiques. Les standards ont mis assez longtemps à s'imposer, c'est ce qui explique une certaine lenteur dans l'élaboration de banques d'images totalement informatisées. Depuis une dizaine d'années le CD-Rom (Compact Disc Read Only Memory) d'une capacité de 650 Mo s'est imposé. Si pour les bases de données textuelles, cette quantité est capable de rendre disponible sur un seul disque les vingt sept volumes d'une encyclopédie célèbre, elle ne permet pas d'accéder à l'iconographie. Le DVD (Digital Versatile Disc) d'une capacité de 4,7 Go peut aussi être pressé sur deux couches (capacité de 8,5 Go) et même sur les deux faces; sa capacité devient alors de 17 Go. C'est évidemment le support de stockage attendu par tous les promoteurs de banques d'images ou même de données encyclopédiques.




    8. Conclusion - Actualité et postérité de la perspective

    Dans l'abord historique du problème de la figuration de l'espace, nous avons choisi au cours de ces quelques pages de valoriser le moment de la découverte de la perspective projective bifocale qui se situe à la charnière du Moyen-Âge et de la Renaissance.

    C'est bien à cette époque que grâce à ce chantier de restitution de la vision humaine, l'image devient une donnée scientifique.

    Après étude de son incidence sur la création picturale et architecturale, tous les analystes s'accordent en effet pour identifier cette période de l'histoire de la représentation comme étant un saut qualitatif. Son aptitude à reproduire la vision humaine permit à la peinture et aux arts graphiques de pérenniser des scènes visuelles importantes pour la mémoire collective et donc l'histoire. Le courant des védutistes [5] du XVIIe et surtout du XVIIIe siècle s'inscrit en filiation directe avec les perspectivistes de la Renaissance.

    De plus, son projet de restitution plane du réel tri-dimensionnel, matière de base avec laquelle doivent composer tous les praticiens de l'espace, en a fait un des éléments obligés des rendus d'architecture et d'urbanisme, classiques ou informatisés, toujours d'actualité.




    Notes

    [1]
    Cf. (PANOFSKY, 1975 : 68-82) ainsi qu'une publication récente (DAMISCH, 1987 : 70-71).

    [2]
    C'est nous qui soulignons.

    [3]
    Citons par exemple, Eric JANTZEN qui utilise la photographie dans ces deux aspects : Traité pratique de perspective, Paris : Éditions de la Villette-UPA 6, 1983.

    [4]
    Cf. Annexe bibliographique : SANSON, Pascal, 1987. Prospective de systèmes d'information iconique structurés; 1992. Lecture et structuration des représentations de l'espace; 1996a. Approches sémio informatiques des données iconiques; 1996b. Représentation et lecture de l'espace; 1996c. La structuration multidimensionnelle de l'information iconique; 1997a. Information architecturale et urbaine; ...

    [5]
    Les vues urbaines célèbres des panneaux d'Urbino, de Baltimore ou de Berlin ont eu pour postérité les védutistes européens : CANALETTO, GUARDI, PANINI, ROBERT, Van WITTEL.




    Bibliographie

       
    
    
  • ALBERTI, Leone Battista. - De pictura. - Milan, 1436, ed. Luigi Mallé, Florence, 1950.

  • AUBERT, Jean. - Cours de dessin d'architecture à partir de la géométrie descriptive. - Paris: Editions de la Villette, 1980.

  • BECHMANN, Roland. - Les dessins techniques du Carnet de VILLARD de HONNECOURT. - Paris: Stock, 1986.

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    © "Solaris", nº 4, Décembre 1997.