Travail en réseau et intelligence économique
Alassane Cissé, Souleymane Ndiaye, Jo
Link-Pezet
L.I.H. S, Université Toulouse I, Place Anatole France, 31042 Toulouse
CEDEX, France
Tél: 05 61 63 37 41 - Fax: 05 61 63 37 98,
cisse@cict.fr, pezet@cict.fr
Rémy Martin
Groupe CRP, Toulouse Technoest, 17 avenue Saint-martin de Boville, Balma,
France
Tél: 05 61 24 61 61 - Fax: 05 61 24 53 22
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Résumé
L'avènement des autoroutes de l'information peut permettre l'apparition de nouvelles pratiques intellectuelles et de nouvelles organisations du travail tel le télétravail, illustré ici dans la perspective de l'intelligence économique. L'intelligence économique peut être définie comme l'ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution en vue de son exploitation, de l'information utile aux acteurs économiques. Une approche coopérative de la veille met en contact des entreprises et des organismes spécialisés dans des domaines sensibles pour la stratégie. Cette approche permet l'accès à des informations évolutives sur l'environnement à des acteurs se reconnaissant des intérêts communs et prêts à coopérer. L'expérimentation présentée ici montre, à l'issue de 2 mois, l'utilité et l'intérêt de ce type de veille mettant en réseau des acteurs coopérant de manière distribuée.
Abstract
Society of information encourages innovative work practices such as distance work that we will illustrate in a business intelligence context. Business intelligence or economic intelligence can be defined as a set of coordinated actions for collecting, managing, distributing information to the various economic actors. A cooperative approach connecting entreprises and specialised organisms in the critical fields of strategy can be useful in giving access to dynamic information about the economic environment to local actors sharing the similar interests and accepting the norms of collective work. We present an experience showing the usefulness and interest of a technological watch in a working organization based on the networked efforts of cooperating actors in a distributed network.
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Surveiller son environnement technico-économique est indispensable pour
la définition de la stratégie et sa mise en oeuvre dans
l'organisation [Ndiaye 1995]. Cette fonction de la veille stratégique est
bien installée dans les pays industrialisés, avec des
méthodes de recueil et de traitement des informations, des
professionnels et des organismes dédiés à cette
activité mais qui laisse apparaître certains problèmes
[Cissé 1995c]. Nous examinons ici en quoi une approche coopérative
de la veille, qui met en contact des entreprises et des organismes
spécialisés dans des domaines sensibles pour la stratégie,
peut être un moyen pour répondre au manque d'inscription des
démarches stratégiques dans l'environnement
géo-économique et permettre à des entreprises, parfois
petites ou de faibles moyens, d'accéder à l'intelligence
économique [Martre 1994].
Pour cela, nous soulignons les différents biais observés dans
l'activité de veille telle qu'elle est répandue actuellement,
notamment dans un contexte africain avant de décrire la notion de veille
en réseau et sa relation à l'intelligence économique. La
veille en réseau étant une activité essentiellement
coopérative, nous décrivons les fondements et mécanismes
de la coopération qui sont indispensables notamment pour la
précision des rôles des acteurs du réseau, avant de
présenter l'expérience à échelle réduite qui
a été menée avec le réseau de veille
CRP-CONTACT sur la pratique de la veille
technico-économique pour de petites entreprises.
L'action s'est déroulée du mois de décembre 1994 au mois
de février 1995 inclus. Elle a impliqué 3 consultants du CRP, 3
experts partenaires et 11 entreprises avec pour objectif principal de tester le
pratique de réseau coopératif dans la veille
technico-économique pour des entreprises de secteurs professionnels
différents.
La veille stratégique est l'observation et l'analyse de l'environnement
suivie de la diffusion bien ciblée des informations
sélectionnées et traitées, utiles à la prise de
décision stratégique. Ces informations peuvent être de
nature scientifiques, techniques, réglementaires, concurrentielles ou
commerciales.
Nous allons situer la veille stratégique suivant les aspects
problématiques qui se dégagent des pratiques de veille actuelles
concernant les sources d'information, les catégories d'entreprises qui
sont concernées et le rapport compétition/coopération dans
ce contexte.
Les sources d'informations sont soit égalitaires, i.e. accessibles au
plus grand nombre (publications, banques de données...) soit plus
inégalitaires et informelles car d'accès plus restreint
(colloques, réunions, renseignements, séminaires, etc.). Les
démarches de veille, de manière dominante, concernent le
référencement et l'interrogation élaborée de ces
banques de données.
Les banques de données en lignes sont le reflet de la science
déjà validée ou contiennent des données dont la
durée d'utilité doit être longue pour que leur stockage et
leur accès soient rentables. L'apport stratégique dans ce
contexte risque d'être bien moindre que d'autres types d'activité
de veille scientifique comme l'assistance à des colloques et autres
salons, au moment où la science se fait, ou d'autres sources
d'information informelles et locales, propres à un secteur
économique ou géographique.
Les banques de données internationales contiennent en outre peu de
données sur les pays africains ou destinées à ces pays qui
ne représentent pas un marché important. Ces sources
d'informations sont souvent peu accessibles pour les entreprises africaines et
les informations technologiques ou commerciales qu'elles contiennent ne sont
pas forcément pertinentes dans le contexte africain. De plus, ce type
d'approche est surtout développé dans les pays
industrialisés. Son coût peut empêcher sa diffusion en
Afrique.
Ce type de veille centrée sur les banques de données et les
brevets est souvent peu accessible à des entreprises de petite taille
dont le domaine concurrentiel n'est pas mondial et dont le savoir-faire n'est
pas forcément de nature technologique mais plutôt commerciale,
inscrit dans une "économie de
proximité". En outre, ces petites entreprises sont parfois
dirigées par des "patrons omniscients",
faisant peu appel à des sources extérieures de traitement et
d'analyse de l'information.
La reconnaissance de la nature stratégique de l'information et la
maîtrise des techniques de recueil et de traitements de l'information
restent souvent l'apanage de spécialistes réunis dans des
entités nationales ou régionales qui ont parfois du mal à
jouer leur rôle de moteur pour la diffusion de l'information
stratégique.
La tradition de la veille stratégique aborde peu les questions de
coopération entre organisations. On peut le comprendre car
l'élément essentiel des mécanismes de marché est la
compétition. La surveillance de l'environnement se fait donc du point de
vue de l'organisation. Pourtant il existe des phénomènes de
coopération entre entreprises comme les groupes, les holdings, les
joint-ventures, les stratégies d'alliances, les partenariats ponctuels
(recherches conjointes, opérations publicitaires en coopération
etc..), les ententes tacites, des entités par nature
inter-organisationnelles comme les syndicats, les coopératives, les
groupes de pression, les comités de normalisation, les kereitsus
japonaises. Comme le dit K Schmidt, ce qui est dans ou
au-delà d'une organisation est contingent et
négociable [Schmidt 1994], la véritable nature de
l'économie de marché étant en fait un mélange entre
les deux notions [Benford 1991]. Ceci nous pousse à dire qu'une entreprise
s'inscrit souvent dans un réseau d'intérêts qui peut la
conduire à certains moments à considérer la
coopération comme plus profitable pour elle que la compétition.
La Veille en réseau que nous présentons dans la suite est une
réponse aux différents biais dont nous venons de parler.
La veille en réseau est entendue au sens réseau d'entreprises
et d'organismes divers (spécialistes de l'information, experts...)
coopérant de manière distribuée, comme un ensemble
d'acteurs semi-autonomes, adaptant leur comportement aux circonstances et
planifiant leurs propres stratégies, dans un processus d'échange
d'informations animé par des médiateurs actifs et des experts de
différents domaines sensibles, qui communiquent à travers un
dispositif technique (le réseau de veille).
L'objectif principal est de permettre la diffusion d'informations
scientifiques, techniques, réglementaires, concurrentielles ou
commerciales qui relèvent d'un tissu géo-économique
particulier.
Notre démarche est proche de la notion d'Intelligence
économique qui insiste sur les pratiques collectives de gestion de
l'information stratégique, la collectivité se situant au niveau
du secteur, de la région ou de la nation:
L'intelligence économique peut être définie
comme l'ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et
de distribution en vue de son exploitation, de l'information utile aux acteurs
économiques.
(...)La notion d'intelligence économique implique le dépassement
des actions partielles désignées par les vocables de
documentation, de veille (scientifique et technologique, concurrentielle,
financière, juridique et réglementaire).
(...)Les défis ne sont jamais présentés sous l'angle de
la compétition mais traitent de la manière de passer d'une
individualisation de la gestion de l'information à un processus
d'actions collectives [Martre 1994].
La notion de réseau apparaît souvent dans la littérature
sur la veille mais organise la veille intra-organisationnelle
[Laîné 1991], [Jakobiak 1991], [Martinet 1989], [Turner 1994]. Les
réseaux dans ce contexte sont propres à une organisation ou
guidés par les objectifs d'une seule organisation. De tels
réseaux ne peuvent égaler en rentabilité un maillage
informationnel entre partenaires (entreprises, administrations,
collectivités).
Il faut donc examiner comment les informations et les méthodes de
traitement qui sont disponibles en îlots peuvent être
intégrées dans un processus d'échange qui sera en
équilibre entre la coopération et la concurrence mais qui permet
aux acteurs d'en tirer une satisfaction individuelle et collective. L'ensemble
des acteurs acquièrent ainsi une vision de l'environnement concurrentiel
où il s'inscrit et accède à des informations moins
structurées, plus rares car propres au réseau et plus
fécondes pour leurs stratégies respectives. Les acteurs doivent
être choisis sur des critères précis de confiance et de
complémentarité. La concurrence est ainsi reportée
à un niveau de granularité supérieur ou sur d'autres
aspects que ceux qui motivent la coopération.
Il peut permettre l'éveil de petites ou très petites entreprises
à la veille en réduisant les coûts d'accès à
l'information, diffusant des expériences profitables ou des
études à caractère général tout en leur
ouvrant des perspectives de partenariat avec des entités donneurs
d'ordre ou des experts dans des domaines divers. On peut espérer une
augmentation des informations disponibles sur l'environnement
technico-économique et géo-économique, une
différenciation et une combinaison de points de vue sur des
problèmes stratégiques, une inscription dans un réseau
d'intérêts, une connaissance plus précise de
l'environnement local, une prise en compte d'informations informelles.
Un certain nombre de critères permettent de caractériser un
réseau comme nous le montrons dans le tableau suivant s'appuyant sur
[Michel 93].
CARACTERISTIQUES |
EXEMPLES |
Identité du réseau
C'est un ensemble de critères plus ou moins manifestes permettant d'apprécier l'appartenance à une même entité |
Métiers des entreprises (méthodes et outils communs, fournisseurs/produits, client)
Environnement économique, législatif, géographique
Préexistence ou non d'un réseau informel ou institutionnel
Volonté stratégique d'un des acteurs |
Vecteurs d'échanges
Ce sont les structures ou protocoles collectifs identifiables |
Interpersonnel
Partenariats ponctuels (actions, échange de produits...)
Groupe de travail thématique, réunions professionnelles
Structure fédératrice (Chambre consulaire, syndicat professionnel, association)
Outils et organes de communication (revues, bulletins de liaison)
Outils d'échanges informations (messageries, outils téléinformatiques) |
La gestion du réseau |
Voir §4.4 |
Production du réseau considéré comme entité
|
Vitrine interne, présentation des acteurs du réseau (cartes de visites, annuaire,...)
Image commune, Vitrine externe
Création de nouveaux produits
Constitution d'un centre de ressources (masse d'information gérée)
Outil de veille (sur les acteurs et l'environnement ciblé)
Développement de partenariats commerciaux et/ou techniques |
Production et apport pour chaque acteur
|
Accès à de nouvelles expertises sélectionnées pour le réseau
Consultation de ces experts, échanges de documents informatiques (documents comptables, lettres commerciales, tableaux de bord) avec Experts et/ou entreprises du réseau
Echanges de questions/informations (messagerie)
Appui/formation/conseil sur un problème courant
Accès à des bases de données professionnelles
Accès à de nouveaux moyens commerciaux (accès à des banques de données d'appels d'offres, Communication de l'entreprise avec photos de produits)
Développement du réseau professionnel de l'entreprise |
Tableau 1. Caractérisation d'un réseau
Il convient cependant de bien identifier les mécanismes de
coopération susceptibles d'émerger d'un tel dispositif et les
modalités d'interaction entre les acteurs du réseau.
Un processus de veille géo-économique en réseau est
avant tout une démarche coopérative de partage de connaissances.
Nous allons définir les différents concepts qui nous semblent
déterminant pour un tel modèle de veille.
Les différentes définitions de la coopération qui
existent sont toujours attachées à des notions comme
"processus", "produits" ou
"objectif" [Cissé 1995a][Cissé 1995b]. Ceci
résulte du fait que la coopération est souvent abordée en
terme intra-organisationnel. Nous utiliserons la hiérarchie
inspirée de Schill [Lubich 1994], pour définir les concepts de la
coopération, qui est le terme générique recouvrant en fait
des niveaux différents de "rapport à
l'autre", car comme le dit Schrage [Schrage 1990] le
véritable médium, c'est l'autre.
Niveaux hiérarchiques |
Définition |
Coopération |
La coopération apparaît quand des actions individuelles contribuent aux actions des autres et vice-versa. |
Collaboration |
La collaboration est le fait de travailler ensemble dans l'exécution d'une certaine action, générant une compréhension commune et une connaissance partagée. Le résultat est ainsi imputable au groupe tout entier. |
Co-décision |
La co-décision concerne les décisions de groupe ou inspirées par le groupe, les acteurs étant soit indifférenciés soit dotés de statut particulier. La crédibilité et la création de connaissances partagées et de reconnaissance mutuelle sont aussi importants que pour la collaboration. |
Tableau 2. Les niveaux de coopération
Nous avons défini les mécanismes généraux de
coopération susceptibles d'émerger d'un tel dispositif,
classés selon ce triptyque
coopération/collaboration/co-décision. La reconnaissance mutuelle
et la création de connaissances partagées sont les concepts
centraux d'un tel modèle. Ces deux aspects étant le gage de la
participation effective des acteurs et la base des communications
ultérieures entre acteurs.
Krauss et Fussell ont étudié les mécanismes de
construction de connaissances partagées ou de reconnaissance mutuelle
[Krauss 1990]. Ils définissent trois notions basiques
corrélées d'établissement et de maintien d'un état
de reconnaissance mutuelle pour que la communication soit efficiente:
- La connaissance directe, i.e. celle déduite des
énoncés d'un acteur, qui indiquent ce qu'il sait,
- La catégorie de l'acteur, qui permet de supputer ses connaissances
dans un domaine donné,
- La dynamique de l'interaction enfin, qui permet une construction
progressive de connaissances partagée au fur et à mesure des
interactions.
L'organisation de la veille en réseau doit permettre
à des acteurs ayant des liens d'intérêts précis de
partager des connaissances et de communiquer à travers un réseau
de veille qui permet de catégoriser les acteurs et d'animer leurs
interactions. Ce réseau doit avoir de fortes contraintes de
sécurité, de qualité de l'information et définir
un mécanisme de choix des acteurs en fonction des objectifs du
réseau et de la coïncidence des intérêts de l'acteur
et de ses compétences utiles au plus grand nombre.
Trois types d'acteurs au moins sont indispensables:
- L'acteur médiateur qui anime le réseau en lançant des
discussions d'intérêt général, en informant sur des
sources d'information formelles ou informelles, en aiguillant les liens
bilatéraux entre acteurs et en suggérant de nouvelles formes
d'échanges (colloques, séminaires, rencontres...).
L'utilité d'un tel acteur s'explique d'abord par les fonctions qu'il est
amené à remplir mais aussi par le besoin de donner du liant
à un tel dispositif et diminuer les "absences"
de certains acteurs.
- L'acteur expert : qui dispose d'une expertise spécifique dans un
domaine technico-économique (scientifique, technique, technologique,
juridique ou financier etc.). Ce type d'acteur permet la co-décision, le
conseil ou la mise en place de formations ou des séminaires. Les
chambres de commerces ou autres spécialistes de l'information
stratégiques sont les premiers acteurs experts à associer. On
peut étendre le concept d'acteur expert à des outils, des bases
de données spécifiques comme celles de la CEDEAO.
- L'acteur réseau : qui n'a pas de statut spécifique mais doit
être impliqué par rapport aux objectifs du réseau,
respecter la clause d'échanges mutuels et surtout partager toute
information non confidentielle.
Le réseau de veille doit apporter les outils de diffusion et de
stockage de l'information ainsi que des outils de communication entre les
acteurs. L'existence d'un tel réseau demande qu'un certain nombre de
fonctions de gestion du réseau soit remplies (Tableau 3) concernant le
pilotage stratégique du réseau, son animation, son
évaluation et la formation des acteurs.
FONCTIONS |
ROLES |
Pilotage stratégique du réseau
|
Définition des finalités du réseau
Définition des indicateurs d'évaluation
Définition du positionnement et du rôle de l'initiateur dans le réseau
Choix des entreprises participantes
Choix des experts
Choix de partenaires (chambres consulaires, organismes de l'état)
Validation du guide de déontologie du réseau
Orientation permanente :
- par rapport aux objectifs
- par évaluation sur critères
- par rapport à l'environnement (quels réseaux complémentaires ? quels outils utiliser : bases de données, annuaire, journal ?) |
Animation
|
Stimulation des échanges, déclenchement d'événements (formations, rencontres,...) grâce à l'évaluation permanente des besoins
Alimentation du réseau en informations ciblées (journal-agenda)
Recherche d'informations à la demande
Aiguillage des échanges dans le réseau, relais éventuels d'animateurs dans les entreprises
Participation au travail d'orientation permanente : évaluation les écarts et propositions pour l'évolution potentielle du réseau |
Evaluation
|
Evaluation quantitative :
- Nombre de connectés actifs sur le réseau sur l'ensemble des participants
- Temps cumulés d'utilisation, Nombre total de connexions
- Moyenne de temps cumulé d'utilisation par membre
- Moyenne du nombre de connexions par membre du réseau
- Nombre de questions-réponses traitées sur l'outil informatique
Evaluation qualitative :
- Outils bibliométriques pour des analyses par période significative des flux d'information par thème, par acteur.
- Contrôle qualité des échanges :
a posteriori par échantillonnage et contrôle (double expertise)
au fur et à mesure par consultation quotidienne des forums
contrôle des délais de réponse
|
Formation des acteurs du réseau
|
Formation préalable :
- à la réalité du réseau (objectifs et fonctionnalités du réseau)
- aux outils de communication, aux protocoles de communication (forums thématiques, formulaires, déontologie)
Sensibilisation et appui permanent à l'utilisation optimale des outils de communication |
Tableau 3. Fonctions de gestion du réseau
Ce type de démarche est difficile à mettre en oeuvre car il
demande une réelle conscience réseau pour éviter un
excès de "panoptisme conscient" : F. Jakobiak
et H. Dou conseillent ainsi la méfiance envers des messageries ouvertes
de types EARN, Bitnet ou Internet et de se garder de divulguer par ses
questions ou réponses ses véritables sujets
d'intérêt [Jakobiak 1992]. La nature du réseau, par
l'identification des acteurs qui sont en relations et leur perception d'un
intérêt commun doit atténuer ce phénomène.
Pour tester la possibilité d'une telle approche de veille, une
expérimentation a été menée au CRP. Le Groupe CRP
est une société qui exerce une activité de conseil, de
formation et d'étude dans le domaine du développement et
d'accompagnement d'entreprises jeunes et innovantes (formation à la
création d'entreprises, développement collectif d'entreprises,
soutien aux organismes de développement économiques
régionaux).
Les objectifs étaient de tester la veille technico-économique
coopérative à travers des outils téléinformatiques,
sensibiliser les très petites entreprises à la veille et au
conseil, analyser les pratiques d'usage de l'outil sur une période
significative de deux mois.
-
Cette expérience était à échelle réduite
car le test était surtout destiné aux entreprises, leur
collaboration paraissant a priori moins naturelle que celles d'experts. Elles
ont été choisies de façon à harmoniser leurs
besoins dans la même région (Midi-Pyrénée) et avec
des effectifs comparables.
|
Activité de l'entreprise |
Effectif |
Localité |
1 |
Conseil et produits en acoustique |
3 |
Baziège (31) |
2 |
Fabrication de machines à botteler (légumes, fleurs) |
3 |
Lauzerte (82) |
3 |
Informatique industrielle |
2 |
Pamiers (09) |
4 |
Maintenance de portes automatiques |
4 |
Grenade (31) |
5 |
Outils informatiques pour laboratoires |
2 |
Toulouse (31) |
6 |
Produits cosmétiques |
5 |
Pamiers (09) |
7 |
Produits électroniques |
5 |
Toulouse (31) |
8 |
Produits informatiques appliqués à la pédagogie |
3 |
Blagnac (31) |
9 |
Réalisations de supports graphiques |
2 |
Tournefeuille (31) |
10 |
Routage-pliage-façonnage |
2 |
Grenade (31) |
11 |
Travaux de secrétariat |
4 |
Lanta (31) |
Tableau 4. Constitution du groupe d'entreprises
Chaque entreprise participe à l'expérience en accédant au
réseau informatique, en posant des questions dans les forums et en
communiquant des fichiers à des experts pour enrichissement des
informations.
-
Un expert en brevets, droits d'auteur
Un expert en droit social et juridique
Un expert en assurance et risques encourus
Un expert en informatique
Un expert en communication d'entreprise
Un expert-comptable |
Chaque expert participe à l'expérience en accédant au
réseau informatique, en délivrant des informations sur le
réseau, en répondant aux questions, en faisant
bénéficier les autres entreprises des réponses au sein des
forums télématiques et en travaillant à distance sur des
documents des entreprises.
-
Son rôle est de s'assurer que les questions des entreprises trouvent
rapidement des réponses ainsi que d'alimenter le réseau en
informations technico-économiques locales ("Journal-Agenda du
réseau"), d'éviter les phénomènes de redondances,
etc.
L'opération a consisté en la connexion de la douzaine
d'entreprises, des cinq experts et de l'animateur à un réseau,
CRP-CONTACT, qui comprenait :
- le téléphone et la télécopie (leur usage
était fortement conseillé dans le cadre de l'action de
façon à ne pas "bloquer" les entreprises sur un type
d'interaction unique par ordinateur) ;
- des rendez-vous physiques de conseil et d'échanges entre acteurs ;
- un outil de messagerie avancée et de transfert de fichiers
réservé uniquement aux besoins de l'opération
(réseau fermé). Cet outil est un progiciel du marché,
First Class (produit SoftArc, société
canadienne) qui est constitué:
- du logiciel serveur tournant sur un Macintosh équipé
de plusieurs modems lui permettant de se connecter au Réseau
Téléphonique Commuté. Ce logiciel serveur gère tous
les messages ainsi que les connections, les utilisateurs et les fichiers
transférés
- du logiciel client que l'on retrouve sur chaque poste
(Macintosh ou PC avec Windows
équipé d'un modem) connecté au réseau.
Ce
logiciel offre à la fois une interface très conviviale et des
fonctionnalités de messagerie très avancées (notamment
dues au fait qu'il s'agit d'un réseau ou toutes les personnes
connectées sont inscrites dans un annuaire dynamique).
La configuration du logiciel consiste en la création des forums
spécifiques à l'opération ainsi qu'en la définition
de formulaires de message, qui sont ainsi semi-structurés.
Les forums définis sont les suivants :
Protection-Normes
Commercial-Veille de marchés
Juridique
|
Assurance
Financier
Communication
Informatique
|
Figure 1. Configuration générale du réseau de veille
-
En termes quantitatifs sur une période significative de deux mois et
pour les onze entreprises ayant participé à l'opération:
Nombre de connectés actifs sur le réseau sur l'ensemble des participants |
17 |
Temps cumulés d'utilisation |
41 hr |
Nombre total de connexions |
428 |
Moyenne de temps cumulé d'utilisation par membre |
2 hr 20 mn |
Moyenne du nombre de connexion par membre du réseau |
25 |
Nombre de questions-réponses traitées sur l'outil informatique |
55 |
Ces chiffres montrent un bon taux d'utilisation du système compte tenu
de la courte durée de l'expérience. Bien évidemment,
certaines entreprises ont beaucoup plus sollicité le réseau que
d'autres : la curiosité et la pratique informatique de l'acteur en sont
les principales raisons.
-
En terme d'aide à la décision pour les entreprises, nous avons
pu déterminer 4 types d'informations circulant sur le réseau qui
correspondent à des niveaux d'exigence différents du point de vue
de la coopération et de l'échange d'informations:
- Les informations apportées spontanément sur le réseau
par l'animateur et les experts (ex. chiffres de l'économie en
Haute-Garonne, renseignements économiques branche par branche...) qui
peuvent intéresser les chefs d'entreprise et qui alimentent sensiblement
leur réflexion stratégique (Coopération).
- Les réponses directes apportées à des questions (ex.
bail à construction, horaires salariés, coût étude
de marché...) qui aident immédiatement le responsable
d'entreprise à prendre une décision d'ordre opérationnel
ce qui, dans une petite entreprise, a souvent des conséquences sur la
stratégie (Co-décision).
- Les échanges entre entreprises et experts à travers une
série de travaux sur des documents des entreprises (ex. contrat
commercial, projet de publipostage d'annonce d'un nouveau produit, police
d'assurance d'un matériel de production...) ont permis aux responsables
d'entreprises de conforter une prise de décision et/ou de la mettre en
pratique (Collaboration).
- Les questions nécessitant une recherche et/ou un conseil individuel
appuyé (ex. recherches de nouvelles normes européennes en
matière de conformité des machines,
contrat d'embauche avec clauses de confidentialité d'un
apprenti-ingénieur en R&D...) vont bien plus loin que la veille ou
la réponse à une question puisqu'elles intègrent
directement un travail de recherche et d'adaptation de solutions aux besoins de
l'entreprise (Collaboration).
Ce réseau animé
appliqué à la veille se situe à la frontière du
conseil classique et de la veille par interrogation de bases de données.
Il s'agit bien là des informations qui sont déterminantes pour
l'activité des entreprises et pour lesquels le réseau constitue
un apport à moindre coût.
Il permet de répondre aux interrogations ne nécessitant pas un
conseil lourd et cher pour l'entreprise ainsi qu'à celles qui ne peuvent
être traduites en mots-clés pour recherche dans des bases de
données et qui en l'espèce sont éloignées des
préoccupations des chefs d'entreprise.
Nous avons signalé les insuffisances résultant de la veille
traditionnelle pratiquée dans les entreprises. Ce type de veille est peu
accessible aux pays en voie de développement et ne fournit pas toujours
les informations pertinentes pour l'activité des entreprises africaines.
Les informations qui ont une durée de vie assez longue pour que le
stockage soit rentable (comme les brevets, les information scientifiques, les
bibliographies) restent éloignées des préoccupations
géo-économiques de plus en plus importantes avec l'apparition de
convergences sous-régionales ou entre pays africains. L'approche
d'intelligence économique que contient la notion de veille en
réseau paraît intéressante comme moyen d'accès
à une information stratégique pour des entreprises africaines, en
fournissant les informations évolutives sur l'environnement à
des acteurs se reconnaissant des intérêts communs et prêts
à coopérer.
L'expérimentation menée à travers le réseau
CRP-CONTACT montre l'utilité et l'intérêt
de ce type de veille pour les entreprises, en l'espèce de petites
entreprises sans moyens importants. A l'issue des 2 mois réels
d'expérimentation, les principaux freins ont été
levés pour une majorité d'utilisateurs, ce qui a permis
d'observer le réseau en fonctionnement et d'approfondir son potentiel.
La connexion d'entreprises et d'experts à travers un réseau
animé par un spécialiste de la documentation permet de
résoudre :
- le problème de blocage qu'ont les chefs de micro-entreprises devant
les systèmes de veille stratégique et technico-économique
comme les bases de données ;
- des questions d'ordre stratégique et opérationnel qu'ont ces
chefs d'entreprise et de faciliter dans de nombreux cas un processus d'aide
à la décision ;
- Le problème du panoptisme, qui peut être réduit si le
modèle de veille prend en compte les phénomènes
d'élaboration de connaissances mutuelles, assure la
confidentialité et la sécurité et la qualité de
l'information.
Il serait souhaitable de mener de telles expériences
en Afrique à plus grande échelle et plus ciblées notamment
en incluant les différents acteurs qui disposent d'expertises
économiques, techniques ou juridiques comme les chambres de commerces ou
de métiers et les organismes sous-régionaux.
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cscw". - in Bowers J. & Benford [eds], Studies in computer Supported cooperative work, Theory Practice and
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coopératif en ingénierie simultanée", Colloque Afcet'95,
25-27 Octobre, Toulouse.
- Cissé A., Link-Pezet J. (1995b). - "Travail coopératif
assisté par ordinateur et partage d'informations: Vers une conception
orientée processus", Colloque Ile Rousse 95, 30 Mai-2 Juin 1995, Corse.
- Cissé A., Link-Pezet J. (1995c). - "Réseau de Veille, Veille en
réseau: une approche coopérative pour l'intelligence
économique", Colloque VSST'95, 25-27 Octobre, Toulouse.
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d'Organisation.
- Jakobiak F., Dou H. (1992). - "De l'information documentaire à
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© "Solaris", nº 5, janvier 1999.