L'adaptation des organisations par et pour l'information émergente

Gleizes Marie-Pierre
gleizes@irit.fr


Glize Pierre
Tél. 05 61 55 82 95 - glize@irit.fr


IRIT - Université P.Sabatier - 118 Route de Narbonne - 31062 Toulouse Cedex


Résumé

L'objet de cet article découle de trois observations convergentes qui ont été notées par de nombreux auteurs : l'aptitude nécessaire à l'adaptation d'un système lorsque son environnement est dynamique, le rôle essentiel de l'organisation existant entre les parties dans le comportement global d'un système et l'amélioration des performances survenant au niveau d'une société lorsqu'une coopération existe au niveau des agents qui la composent.

De ces trois observations, nous avons défini un processus d'adaptation pour les systèmes artificiels fondé sur l'auto-organisation entre ses parties, où la coopération est le critère d'évaluation et de transformation de l'organisation courante. Cette théorie est présentée dans la deuxième partie. Nous indiquons ensuite dans la troisième partie comment les techniques multi-agents peuvent implanter ces principes pour réaliser des systèmes artificiels auto-organisateurs convergeant vers l'adéquation fonctionnelle. La quatrième partie est une application de ces techniques multi-agents à la recherche d'information dans les supports électroniques. La dernière partie analyse comment ces concepts d'auto-organisation pourraient être appliqués dans des organisations humaines en vue d'assurer leur adaptation à des environnements dynamiques.

     
Abstract

The purpose of this paper derives from three convergent observations emphasized by many authors : the necessary adaptation ability of a system when its environment is dynamic, the deciding role of the internal organization between components for the global behavior of a system, the performance improvement occurring at the society level when cooperation is observed at the agent level.

From these three observations, we have defined an adaptation process for artificial systems based on self-organization between its parts (agents) where cooperation is the criteria to evaluate and reconsider the current organization. This theory is presented in the second part. We show then how a cooperative self-organization process can be implemented in using a multi-agent approach. The fourth part is an application of these technics for searching information on electronic supports. The last part analyze how these self-organizing concepts could be used in human organizations allowing their adaptation to dynamic environments.







Introduction

Les supports électroniques d'information sont aujourd'hui des média incontournables. Ils permettent de produire une plus grande quantité de documents et de réduire le délai de leur accessibilité, notamment par le biais des réseaux. Il est naturel de penser que cela peut faciliter l'accès au savoir du plus grand nombre et donc améliorer les connaissances individuelles (démocratisation), mais aussi favoriser considérablement les progrès scientifiques. Mais l'histoire des sciences et des technologies montre que les avancées produites ne sont pas obligatoirement concomitantes (intentionnellement ou pas) avec ce qu'il serait convenu d'appeler des progrès, surtout pour le plus grand nombre. Nous considérons que notre ère de l'information électronique est à une croisée des chemins où d'énormes potentialités de progrès s'ouvrent, sans que cela puisse devenir une réalité certaine. S'il est tentant d'employer les nouvelles technologies de l'information comme moyen supplémentaire de normalisation sociale autoritaire, ce n'est pas notre point de vue car nous montrerons qu'elles peuvent au contraire donner plus de marge de manoeuvre à tous les acteurs humains.

L'information est toujours située dans l'entre-deux : entre celui qui la produit et qui la considère comme intéressante et celui qui peut en bénéficier. La difficulté est que la notion d'information fait toujours appel de manière implicite ou explicite à la notion de croyance. La croyance de celui qui produit l'information sur celui qui est d'après lui censé l'exploiter et qui va conditionner le contenu et la forme de cette information. La croyance de celui qui l'exploite et qui va en tirer une interprétation, fonction de ses propres croyances sur l'émetteur et de ses connaissances présentes, n'étant pas obligatoirement celle présupposée par l'émetteur. C'est cela qui fait dire à Searle qu'un dialogue n'est jamais totalement terminé et que le sens n'est pas chez l'un ou l'autre mais émerge dans les actes de langage. Nous considérons que cette vue est aussi applicable à des interactions non langagières, c'est-à-dire pour toute interaction d'un système plongé dans un environnement.

Les vitesses de transmission accrues, ainsi que l'accroissement de leur couverture spatiale donne plus clairement conscience que notre société humaine n'est pas seulement constituée d'individualités, mais qu'elle possède une identité en tant que système ayant sa propre logique. Cette logique, qui n'est pas totalement connaissable de l'intérieur du fait de sa complexité intrinsèque, peut néanmoins émerger si les acteurs de ce système que nous sommes tous peuvent agir de manière autonome mais cohérente. La diversité des supports et des sources d'information peut être un facteur de créativité et d'adaptation permanentes pour cette construction sociale. Nous aborderons cette problématique dans ce papier par le biais d'une théorie générale d'apprentissage dans les systèmes artificiels qui, appliquée au domaine de l'information, pourrait permettre ce passage des potentialités à la réalité. Elle va poser des questions comme celles d'émergence et d'auto-organisation. Cette théorie aurait aussi la propriété de pouvoir s'appliquer à des systèmes impliquant des individus comme des organismes sociaux (entreprises, collectifs de travail, ...).




2 La théorie de l'auto-organisation par coopération

Ce chapitre porte sur une théorie de l'auto-organisation pour des systèmes complexes immergés dans un environnement dynamique, entraînant une impossibilité d'appréhender dès la conception toutes les situations (les états du monde) auxquels sera confronté le système. Il faut donc leur donner la possibilité de s'adapter aux imprévus de manière autonome : nous proposons l'auto-organisation des parties d'un système comme étant ce moyen d'adaptation. Ces parties vont tenter de transformer l'organisation à partir du seul point de vue local de leurs interactions et sans aucune connaissance de la fonction globale à réaliser : le phénomène global émerge véritablement du couplage entre le système et son environnement.


2.1 Un système et son environnement

La biologie nous apprend que des systèmes complexes peuvent se constituer par l'agrégation d'entités beaucoup plus simples. A moins de supposer une certaine téléologie dans l'activité de la nature (ce que nous ne ferons pas ici), les entités élémentaires constituantes ne peuvent pas maîtriser consciemment le devenir des systèmes complexes dans lesquels ils sont partie prenante. C'est typiquement le concept d'émergence qui est toujours une attribution faite par un observateur, conceptuellement extérieur au système et au milieu dans lequel il est plongé.

Dans le monde réel, un système perçoit et agit localement dans l'environnement dans lequel il est plongé. Son comportement modifie l'état du monde qui exerce en retour une pression sur le système. D'une manière générale, les échanges système-environnement entraînent des influences réciproques conduisant à un ajustement mutuel. Ce processus a été observé depuis longtemps et modélisé avec des systèmes artificiels par exemple dans la boucle de rétroaction en cybernétique (Von Foerster, 1962).

C'est un observateur hypothétique omniscient qui peut à la fois attribuer à quelque chose dans le monde la notion de système et affirmer les changements dans son comportement correspondent à un processus d'adaptation.

Généralement, l'adaptation est un processus d'ajustement mutuel qui s'opère aussi dans le système que dans son environnement. Sans perte de généralité dans l'approche, nous ne nous intéressons ici qu'aux seules conditions de transformation du système qui conduisent à un accroissement de son adaptation au milieu.

Nous considérons un système S comme une concrétisation, le support physique d'une fonction fs qu'il réalise. L'activité du système S dans son environnement sera notée de la manière suivante :

[[si votre visualisateur ne prend pas en compte la police "symbol", cliquez ici]]
Wa et Wb sont deux états particuliers de l'environnement. Wa est l'état courant que S considère pour réaliser sa fonction et ainsi aboutir à Wb. Ew est l'ensemble de tous les états possibles du monde : Wa appartient à Ew et Wb appartient à Ew. Même si un système réel n'a pas la possibilité d'appréhender la totalité d'un état du monde particulier, il agit seulement avec une connaissance partielle de l'état du monde car il a une rationalité limitée.

La permanence du processus de couplage

Le support physique peut dans certaines situations ajouter des contraintes à la fonction réalisée. C'est par exemple le cas lorsque le temps de réponse est un critère de jugement de l'adéquation : la vitesse de traitement et l'aptitude physique du système sont des éléments qui entrent en jeu dans la réalisation de la fonction. Entre le moment où le système considère l'état du monde Wa et le moment où il agit dans le monde, celui-ci peut avoir changé permettant ainsi d'intégrer les temps de traitement et d'action du système. Wb est la résultante de ces changements et de la transformation opérée par le système.


2.2 L'adéquation fonctionnelle d'un système

Les échanges entre un système et son environnement ont souvent pour conséquence des influences réciproques générant un processus d'ajustement mutuel dû à leur couplage structurel. À une action du système pour transformer l'environnement, celui-ci répond en retour par un "Feed-back" : c'est la pression exercée sur le système qui peut l'amener aussi à se transformer. La question est de savoir quand et comment un système peut se transformer pour tendre vers l'adéquation fonctionnelle.

Apprendre pour le système S consiste à transformer sa fonction fS de manière autonome afin de s'adapter à un environnement, considéré comme une contrainte qui lui est donnée. Bien que l'environnement puisse changer au cours du temps, le problème de l'adaptation reste identique pour le système. Un système est fonctionnellement adéquat si son activité est "correcte" dans l'environnement dans lequel il est immergé, il s'intègre ainsi durablement dans le monde ou en façonne un nouveau (Maturana, 1980). L'activité correcte n'est décidable que par un observateur extérieur jugeant les interactions et connaissant la fonction que le système doit réaliser dans son environnement.

Par exemple, si vous jouez régulièrement au tennis avec un partenaire qui est de force équivalente, vous pouvez vous estimer fonctionnellement adéquat. Vous arrivez en effet à vous adapter dans votre environnement (principalement constitué ici du partenaire, de la balle et du terrain de tennis) parce que vous ne perdez pas trop souvent de points. Vous réalisez une bonne fonction en faisant les bons gestes au bon moment. Mais si avec cette même fonction (la compétence que vous avez actuellement au tennis), vous changiez d'environnement en vous confrontant au premier du classement ATP, vous ne seriez plus de manière évidente fonctionnellement adéquat. Vous seriez en effet très souvent loin de la balle ou avec un temps de réaction trop important bien que vos mouvements techniques soient corrects.

Cet exemple montre que l'adéquation fonctionnelle est toujours une notion située pour un système relativement à un milieu donné.


2.3 L'adaptation par auto-organisation

L'imprévu étant inhérent à la vie de ces systèmes, l'auto-organisation, qui correspond à un changement décidé de manière autonome, devient un moyen pour parvenir à surmonter les perturbations éventuelles de l'environnement (Marcia, 1996). Par le biais de l'auto-organisation, un système doit conserver son adéquation fonctionnelle malgré les variations de son environnement.

Dans notre théorie, l'apprentissage porte sur l'amélioration de l'organisation, tant il est vrai qu'il n'existe pas de bonne organisation dans l'absolu, mais qu'elle est toujours contextuelle (Ashby, 1962). L'auto-organisation consiste en une modification des liens existants entre les parties réalisées de manière autonome et qui devrait permettre au système d'être plus performant dans le sens où la coordination et/ou la coopération s'améliore(nt) au cours de sa vie. Ceci est réalisé en recherchant une meilleure organisation pour qu'une partie soit au bon endroit, au bon moment.

La composition des fonctions partielles

Pour reprendre les notations précédentes, chaque partie pi du système S réalise une fonction partielle fpi. L'environnement d'une partie pi est constitué des autres parties du système ainsi que de l'environnement de S. La fonction globale de S notée fs est le résultat de la composition de ces fpi. La composition est déterminée par les relations -- c'est-à-dire l'organisation, représentée par les liens dans la figure jointe -- qui relient les parties. Ainsi, sans changer les parties, transformer l'organisation interne du système conduit à un changement de la composition des fonctions partielles et donc à une transformation de la fonction globale fs.

Nous appelons milieu intérieur, l'ensemble des parties, ainsi que les supports physiques nécessaires à leurs interactions.


2.4 Un système adaptatif fonctionnellement adéquat

La théorie que nous étudions et employons indique pourquoi certains systèmes particuliers sont fonctionnellement adéquats. Elle permet aussi de guider un système pour s'adapter à un environnement dynamique (il n'est donc actuellement pas fonctionnellement adéquat), même si ce système ignore la fonction qu'il doit réaliser.

De manière intuitive nous pouvons admettre qu'un système fonctionnellement adéquat n'effectue jamais d'action qui empêche son environnement de continuer son activité. Si le système est un professeur de tennis, son milieu contient en particulier l'élève. Si le professeur retourne la balle de manière à ce que l'élève ne puisse jamais la reprendre, il ne réalise pas une "bonne" fonction d'enseignement dans son environnement.

Considérons maintenant l'élève comme le système à étudier. Au fur et à mesure des cours, il s'est amélioré dans le sens où il est devenu plus performant dans son milieu du tennis. Que s'est-il passé, alors que c'est le même individu que le novice de départ et qui possède toujours les mêmes aptitudes sensori-motrices ? Cet individu est un système composé de parties plus élémentaires en interactions : particulièrement les membres, la raquette, les yeux et les oreilles. Il a seulement appris à mieux les coordonner en s'en forgeant une meilleure représentation, ainsi qu'en modélisant mieux le comportement de son milieu (l'adversaire, le terrain et la balle).

THÉORÈME : Pour tout système fonctionnellement adéquat, il existe un système à milieu intérieur coopératif qui réalise une fonction équivalente dans le même environnement.

Ce théorème exprime simplement le fait que tout système composé de parties en interactions coopératives permanentes soit fonctionnellement adéquat et que partout où l'on souhaite trouver un système fonctionnellement adéquat, un système à milieu intérieur coopératif convient.


2.5 Les propriétés de la théorie

Cette méthode d'adaptation possède plusieurs caractéristiques :


2.6 Les comportements coopératifs de base

Il découle immédiatement du théorème que la coopération sera à la base de tout processus d'auto-organisation.

Tous les systèmes - même artificiels - interagissent dans notre monde physique. Pour cette raison, leur adéquation fonctionnelle est fortement dépendante de la définition que nous donnerons à la coopération pour juger si une interaction est coopérative. Nous parlons de coopération idéale dans le sens où elle ne peut pas être observée globalement et en permanence dans notre monde physique. Elle est seulement localement et ponctuellement approchée par des écosystèmes ou des entités vivant en symbiose. Les caractéristiques de la coopération idéale que nous explicitons ci-dessous sont aussi celles d'une coopération totale où la moindre activité est bénéfique pour autrui :

Toute autre situation sera jugée comme non coopérative, par exemple lorsqu'une situation jamais observée rencontrée auparavant survient ou lorsqu'une activité antérieure "erronée" du système entraîne un retour de son environnement. Ces situations sont associées à l'inadéquation fonctionnelle du système. Elle justifie aussi pourquoi ces caractéristiques doivent être celles de chacune des composantes pour obtenir un système fonctionnellement adéquat. Dans notre approche, une partie autonome considère qu'il a trouvé la bonne place au sein de l'organisation s'il interagit coopérativement avec autrui. Dans le cas contraire, il agira pour chercher une place plus adaptée en tentant à chaque instant de revenir à un comportement coopératif (de son point de vue), guidé par ses compétences et croyances courantes. Les conditions de non-coopération conduisant au processus de réorganisation dérivent immédiatement de la définition de la coopération idéale :

La perception de situation non coopérative n'est pas un moyen de gommer les problèmes comme les conflits ou la concurrence à l'intérieur du système ; c'est une alarme qui indique que l'état actuel du système est inadéquat avec les potentialités de certaines de ses parties. S'il ne tient pas compte de ses alarmes, cela pourra entraîner une altération interne voire une remise en cause de son intégrité en tant que système (la mort pour les systèmes biologiques). Le "bruit" local devient un moyen d'améliorer le fonctionnement global dont on postule qu'il n'est jamais parfait du fait de la connaissance incomplète que le système possède de son environnement dynamique.




3 Les systèmes multi-agents adaptatifs

L'intelligence artificielle distribuée et les systèmes multi-agents étudient des techniques de résolution collective de problèmes par des entités appelées agents et situées au sein d'un même système. Ces logiciels sont notamment employés pour simuler le comportement d'une collectivité naturelle (cellules, insectes,...) ou pour créer des systèmes artificiels réalisant une fonction globale dans lesquels les connaissances, les traitements et le contrôle sont distribués. Avec le recul, nous savons aujourd'hui caractériser plus nettement les logiciels informatiques multi-agents :


3.1 L'évolution des recherches dans les SMA

La problématique de l'intelligence artificielle distribuée (IAD) et des systèmes multi-agents (SMA) a été prise en compte au milieu des années 1970. A cette époque, les potentialités des systèmes à base de connaissances étaient beaucoup freinées par la centralisation des connaissances. Ainsi, cette limitation des systèmes à base de connaissances a été un des points de départ de l'IAD. La plupart des systèmes d'IAD de la première génération étaient conçus dans le but de résoudre un problème de manière distribuée. Pour cela, le point central était la distribution de la connaissance. C'est cet axe de recherche qui est appelé la résolution distribuée de problèmes. La connaissance ainsi que les traitements sont distribués mais ces systèmes ne sont pas ouverts et peu ou pas réutilisables. Les principaux systèmes de première génération sont basés sur l'architecture du tableau noir parmi lesquels : Hearsay II, système de reconnaissance de la parole d'Erman et Lesser, Crysalis, système de reconnaissance de structure de protéines, d'Engelmore et Terry.

Dans ces systèmes le contrôle était centralisé soit sous la forme d'un programme complexe, soit comme un module particulier souvent appelé superviseur. Par conséquent, il existe dans ces systèmes une entité qui explicitement ou implicitement a une vue globale des activités.

La réalisation de générateur de SMA et la distribution du contrôle au sein des agents sont les principales caractéristiques des systèmes de deuxième génération durant les années 1980-1990. Aucune entité n'a le contrôle des autres et n'a une vue globale du système. Les tableaux noirs sont toujours très employés mais ils ont évolué vers des architectures génériques (BB1 de Hayes-Roth, Atome de Haton, ...), des blackboards distribués (DVMT de Lesser) ou parallèles. De véritables multi-agents apparaissent dans lesquels les agents sont autonomes et interactifs en décidant quand intervenir dans la résolution. La connaissance et les traitements sont toujours distribués. Ils peuvent déléguer des tâches (Réseau contractuel de Davis&Smith) ou s'échanger des résultats. Les interactions se font sous la forme de communications : les acteurs envoient des messages à leurs accointances (Mering de Ferber, Mace de Gasser).

Actuellement, des concepts comme l'autonomie, l'émergence, l'interopérabilité, l'hétérogénéité, sont de plus en plus pris en compte pour la définition et la conception des SMA. Mais la troisième génération de systèmes se focalise surtout sur la notion d'interaction et est moins centrée sur la notion d'agent en tant qu'entité. Ce n'est plus l'activité d'un agent qui est contrôlée, mais c'est l'agent qui tente d'agir sur son extérieur (l'environnement et les autres agents) pour le transformer selon ses besoins spécifiques. C'est pourquoi l'interaction, dont les principes sont présentés par Yves Demazeau, est au coeur de la problématique de la génération actuelle des systèmes multi-agents. C'est l'agent en relation avec d'autres agents et/ou avec son environnement qui est à l'étude. La manière dont le comportement d'un agent est guidé par ses interactions avec l'environnement est plus particulièrement vue dans le principe de l'éco-résolution de Ferber. La notion d'accointances ou de croyances sur les autres et sur soi se retrouve dans beaucoup de systèmes (Archon-Grate de Jennings, Synergic de Gleizes...), les notions de dépendance et de pouvoir entre les agents sont implémentées (DepNet de Sichman). Le contenu des informations échangées concerne non seulement le domaine d'application mais aussi guide la résolution. C'est en ce sens que le contrôle est dans l'interaction, il apparaît au travers d'un métalangage de communication. Les travaux sont orientés vers la définition de ces métalangages ou langages d'interaction.


3.2 L'auto-organisation par coopération

Il existe toujours un agent virtuel implicite dans les systèmes multi-agents : le concepteur. Il est indispensable pour assurer la cohérence globale du système car il connaît les caractéristiques de l'environnement d'un agent et lui confère donc les propriétés pertinentes pour l'atteinte des objectifs individuels et collectifs. Ainsi, ces logiciels restent encore dans une large mesure dans le cadre d'une conception globalisante et descendante traditionnelle.

Pour nous résumer, les multi-agents prouvent que l'on sait construire des systèmes artificiels dans lesquels l'activité collective observée n'est décrite dans aucune de ses parties. Mais ces techniques ne permettent pas au système de se contrôler pour définir sa propre activité globale en fonction des compétences dont il dispose dans ses agents et de la pression exercée par son environnement. Pourtant nous sommes de plus en plus confrontés à des situations dans lesquelles les traitements sont distribués et parallèles mais surtout où il n'existe pas de solution algorithmique préalable connue : elle doit se construire en dynamique. Ainsi, le concepteur du système ne peut plus intervenir pour programmer dans les agents des critères de viabilité dépendant de la fonction globale à réaliser. Il ne peut que donner aux agents artificiels le moyen d'agir dans leur environnement et avec autrui.

La théorie précédente de l'auto-organisation par coopération est totalement adaptée aux systèmes multi-agents où l'on considère chaque agent comme une partie du système global. Dès lors, il ne devient plus nécessaire de connaître la finalité d'un système particulier avant sa conception, mais de savoir que toutes ses parties doivent coopérer. Le concepteur doit seulement spécifier les comportements d'un "agent coopératif" générique pour être assuré que le système multi-agent réalisera la fonction qu'il souhaite.

Un agent est coopératif si son comportement conduit le système multi-agent global à devenir un membre de l'ensemble des systèmes à milieu intérieur coopératif. L'agent réalise en permanence sa fonction partielle, mais il agit simultanément sur l'organisation interne du système s'il détecte des situations non coopératives. La conception d'un système multi-agent coopératif consiste ainsi en la définition pour chaque composant - les agents - pris isolément de tous les états non coopératifs et les activités associées pour les supprimer. Quand le système est plongé dans un environnement dynamique, l'observateur peut analyser un processus interne au système conduisant à la modification des relations entre les agents. Ainsi, la recomposition des fonctions partielles réalisées par chaque agent amène une transformation de la fonction globale du système et les états non coopératifs dus aux situations imprévues sont progressivement supprimés.


3.3 Travaux à la frontière de l'auto-organisation par coopération

Hogg et Huberman ont montré que lorsque des agents coopèrent pour un problème de recherche distribuée, ils peuvent le résoudre plus rapidement que n'importe quel agent travaillant isolément [Hogg & Huberman, 1992]. Un résultat similaire a été obtenu par Mataric avec un groupe de robots mobiles fourrageant pour ramener des briques à la "maison" [Mataric, 1994]. Elle a observé que lorsque le groupe est constitué de robots individualistes en nombre croissant, les performances diminuent par la faute d'interférences trop nombreuses de leurs activités. Pour elle, un résultat idéal aurait été obtenu avec des robots ayant des comportements altruistes.

L'apprentissage multi-agent peut bénéficier de, ou même nécessite, la présence de multiples agents et de leurs interactions. Plusieurs auteurs du domaine [Goldman & Rosenschein, 1994], [Sekaran & Sen, 1995], [Sen & Sekaran, 1995], [Weiß, 1993] ont étudié le rôle du comportement social des agents sur la performance globale. Ils ont montré que la coopération améliore les résultats. Si nous considérons chaque agent du système comme un granule de connaissance, ces travaux signifient que la connaissance est bien apprise lorsque les granules sont agencés de manière coopérative. C'est un critère indépendant de la signification (la sémantique qui est nécessaire comme connaissance commune), et qui peut ainsi devenir une bonne approche pour une théorie générale de l'apprentissage.

Steels a montré l'intérêt de l'auto-organisation dans deux applications [Steels, 1996]. La première porte sur le fourragement de plusieurs robots dans une zone géographique. Le mécanisme auto-organisateur est similaire à celui de fourmis qui cherchent de la nourriture : le dépôt de phéromone est simulé par le dépôt de miettes qui guident d'autres robots. La seconde application concerne l'élaboration autonome d'un vocabulaire par un groupe d'agents situés dans un même environnement. Chaque agent peut réaliser son association personnelle entre des mots et leur signification dans le réel. Mais il expérimente aussi de trois manières les associations réalisées par les autres robots : soit en propageant les associations qu'il possède déjà, soit en créant une nouvelle association ou par auto-organisation fondée sur un mécanisme de rétroaction adaptant le degré de confiance qu'il possède sur une association déterminée.

Bollen and Heylighen veulent concevoir un algorithme permettant à un réseau hypertexte distribué de s'auto-organiser en fonction de la connaissance de ses utilisateurs afin d'améliorer la recherche [Bollen & Heylighen, 1996]. La méthode proposée consiste en l'application de trois règles d'apprentissage (fréquence, symétrie et transitivité) jusqu'à l'atteinte d'un état stable qui représente la connaissance répartie chez les participants. Cette méthode a été appliquée à un réseau associatif composé de noms qui s'auto-organisent eux-mêmes reflétant la sémantique intuitive des personnes qui les emploient.




4 L'application dans les systèmes d'information

Chercher, trouver et intégrer de l'information à partir de ressources de données dispersées géographiquement est un problème difficile auxquels se trouvent confrontées de nombreuses organisations. Au cours de ces dernières années, la taille et la variété des données des réseaux ont considérablement augmenté. De nouvelles solutions sont devenues nécessaires pour manipuler l'information issue de ressources dynamiques comme le World Wide Web où l'information est mise à jour de manière continue, autonome et locale rendant impossible tout contrôle global.

Trouver des documents pertinents dans un système hypertexte distribué comme le World Wide Web est une opération très difficile. Un utilisateur novice n'obtiendra un document qu'après de nombreux "tâtonnements", allant de lien hypertexte en lien hypertexte. Après plusieurs tentatives, il construira un répertoire contenant les adresses des serveurs pertinents pour un domaine donné. Ce problème a généré une demande grandissante d'outils pour rassembler et pour filtrer l'information sur Internet, d'où l'apparition d'outils comme les spiders ou les robots. Certains d'entre eux tentent de présenter une vue globale d'Internet, mais les plus communs se déplacent sur le réseau et rapportent ce qu'ils y trouvent.

Il existe de grandes similitudes entre les contraintes inhérentes à la recherche d'information dans un environnement distribué et celles qui participent à la définition des systèmes multi-agents. Toutefois, au-delà de l'apparente ressemblance les réponses apportées par les systèmes multi-agents reposent sur des philosophies différentes. Nous présentons ici les principes d'un système de recherche d'information fondé sur la théorie précédente d'auto-organisation par coopération.


4.1 L'architecture fonctionnelle

Le principe de base est simple : à chaque individu ou site d'information est attaché un agent d'information qui va les représenter. L'objectif de chacun de ces agents est d'arriver à des interactions coopératives permanentes avec autrui. Cela permet de garantir à chacun qu'il connaîtra les sources d'information pertinentes pour lui et que toute information est diffusée à ceux qui peuvent en tirer profit. Les agents du Système d'Information Réparties (SIR) possèdent tous les mêmes éléments :

Toute l'activité réorganisatrice des agents est fondée sur la recherche permanente de la coopération avec autrui. Elle débute par l'interprétation des messages reçus consistant en un appariement entre la requête exprimée et ses compétences. Ses actes qui s'ensuivront sont simultanément guidés par l'atteinte de ses objectifs individuels en recherchant toujours à coopérer avec les autres.

La réorganisation est fonction de la mise à jour des croyances qu'un agent possède sur autrui. Cet apprentissage est réalisé en temps réel lors du feed-back de l'environnement. Ce feed-back est le jugement de la pertinence d'une information qu'il transmet à l'usager ou au service qu'il représente. Comme les agents sont coopératifs, ces croyances se propagent dans le réseau selon les besoins et tous les agents participent donc à leur amélioration. La seconde conséquence de la coopération est le phénomène de communication spontanée implicite des agents [Jennings, 1994]. Cela leur permet de se communiquer des messages même si l'usager ou le service ne l'a pas explicitement demandé, tout simplement parce que l'agent croit qu'autrui est intéressé. Bien entendu, la confidentialité est garantie par le fait qu'un message dont le destinataire est précisé ne sera reçu que par celui-ci. Ainsi, toute la puissance de la coopération entre les agents n'est véritablement mise en oeuvre que lorsque les messages ne sont pas ciblés.


4.2 Les niveaux de systèmes multi-agents

En raison de la dynamique inhérente au système (création/suppression de sites, services et usagers), l'adaptation ne peut être réalisée que de manière autonome. Le SIR est donc constitué de deux niveaux, chaque niveau correspondant à un système multi-agent auto-organisateur dont les critères d'auto-organisation sont guidés par une recherche permanente de coopération avec autrui. Une structuration du SIR en deux niveaux permet de simplifier la fonction de recherche, en lançant une première exploration au niveau local pour localiser l'agent pertinent, mais si la recherche n'aboutit pas d'élargir son champ en passant au niveau global.

Cette adaptation se fait par auto-organisation des agents la constituant. En effet, chaque système multi-agent devra avoir une organisation coopérative dans laquelle tout signal perçu par un agent est compris par celui-ci de manière non ambiguë, entraîne chez lui un certain raisonnement lui permettant de déduire des informations qui doivent être utiles à d'autres agents.

L'agent associé à chaque usager et service existant est appelé AdT (Agent de Transaction) et est chargé de les représenter dans l'activité interne du réseau. Il est sédentaire ou mobile selon les besoins et possède une certaine autonomie qui décharge l'usager ou le service des activités de recherche et de transaction. Les AdT interagissent en fonction des croyances qu'ils possèdent sur les compétences des autres. Comme une connaissance globale de tous les autres AdT est impossible et que le système à une forte dynamique, les croyances sont partielles et partiales : d'où la nécessité de leur révision.

Les usagers et les services étant très dispersés géographiquement et pouvant être plusieurs milliers ou millions, les AdT ne peuvent pas être regroupés sur un unique site. Le système d'informations réparties est composé d'AdM (agents de médiation). Un AdM est sédentaire et c'est un système multi-agent d'AdT qui a pour rôle de contrôler les créations, suppressions et migrations des AdTs qu'ils contiennent. Les AdMs ont la faculté de contrôler les motivations des AdTs qui arrivent chez eux ce qui permet notamment d'éviter des dégâts dans le cas d'agents malveillants.

Les AdM sont amenés à communiquer entre eux lorsqu'une requête d'AdT ne peut pas être satisfaite sur son site d'origine ou qu'un message est destiné à un AdT d'un autre AdM. Tout comme les AdT, chaque AdM interagit avec les autres par le biais de ses croyances. Comme il est impossible de contrôler la globalité de l'organisation du SIR pour qu'elle soit en permanence optimale, les AdM composent entre eux un système multi-agent auto-organisateur selon les principes précédemment évoqués.


4.3 L'adéquation fonctionnelle dans la recherche d'information

Au début des années 1980, l'accès aux banques de données disponibles sur des serveurs et gérées par des "brokers" était devenu une préoccupation importante pour les utilisateurs finaux. Il aura fallu plus d'une décennie pour réaliser des outils moyennement satisfaisants incluant notamment des langages d'interrogation plus performants et génériques ainsi que des méta bases de données.

Par la diversité des sources et le volume des données, les réseaux mondiaux ont rendu ce problème extrêmement plus difficile. C'est pourquoi nous avons décidé de l'aborder d'un point de vue totalement différent en acceptant au départ l'impossibilité d'une vue exacte et centralisée de son contenu. L'erreur et le tâtonnement sont ainsi des activités courantes et ce sont leurs traitements qui permettent d'enrichir collectivement l'organisation. Ce processus d'auto-organisation est totalement transparent à l'utilisateur alors que les moteurs de recherche sont une couche d'accès supplémentaire et explicite.

Le projet ARCADIA (ARchitecture pour la Coopération d'Agents d'Information Autonomes) s'inscrivait dans le cadre d'un contrat entre le CNET (Centre National des Télécommunications), le CERT (Centre d'Études et de Recherches de Toulouse) et l'IRIT (Institut de Recherche en Informatique de Toulouse). L'objectif de ce projet était d'élaborer une méthode basée sur des techniques multi-agents permettant d'accéder à l'information pertinente dans un réseau de ressources d'informations, où les ressources sont géographiquement distribuées, hétérogènes de par leur contenu et en constante évolution.

Le projet ABROSE (Agent-based Brokerage SERvices in electronic commerce) est un projet européen impliquant notamment France Telecom, Deutsch Telekom, plusieurs universités européennes (espagnole, grecque et Paul Sabatier à Toulouse), ainsi que des sociétés roumaines, anglaises et françaises. C'est une suite d'Arcadia à plus grande échelle car les théories et techniques sous-jacentes en sont directement issues.

L'enjeu des nouvelles technologies de l'information n'est pas seulement technologique, mais aussi social car il peut accroître encore l'écart entre ceux qui ont les moyens de rechercher l'information pertinente au bon moment dans une masse gigantesque de documents produits et ceux qui n'auront pas les moyens financiers et humains de faire ce "data mining". Concevoir des outils qui garantissent à chacun la connaissance utile à tout moment pour lui est un moyen d'éviter cette fracture. Nous disposons aujourd'hui des concepts scientifiques et des supports techniques pour assurer cela.




5 L'application dans les organisations humaines

C'est le type d'organisation dans laquelle certaines parties sont des individus comme des entreprises, des collectifs de travail, des associations, ...

L'habitude est d'avoir pour ces organisations la même approche de conception descendante globale que pour la conception des systèmes artificiels. Un groupe d'individus qui sont désignés comme les "concepteurs" vont tenter de spécifier totalement les composantes de l'organisation, compte tenu de la finalité qui lui est assignée et du milieu dans lequel elle sera immergée. Il faut notamment définir l'ensemble des compétences humaines nécessaires, leurs rôles respectifs et les moyens matériels utiles pour leur activité. Cette approche de systèmes humains est viable lorsque la dynamique de l'environnement est faible ou bien dans une échelle de temps suffisamment grande relativement à la durée de vie espérée de l'organisation.

Cela n'est plus le cas dans bien des secteurs d'activité où les techniques, les échanges et les besoins évoluent très rapidement.

Nous allons voir comment il serait possible d'appliquer la théorie de l'auto-organisation à ce type de système.


5.1 L'homme, l'environnement et le système

Le système est bien entendu l'organisation socio-technique étudiée qui est plongée dans un milieu constitué principalement des ressources qui sont nécessaires à son activité (l'achat de matières premières, de machines, ...) et aussi des autres systèmes qui seront les consommateurs de ses produits. Si par exemple l'action du système consiste à mettre à disposition dans son environnement des produits qui n'intéressent pas son milieu alors son action aura tout au plus été indifférente au sens de la théorie. Dans un autre cas, il pourrait percevoir dans son milieu des matières premières qu'il ne sait pas traiter et cela correspond à une incompréhension.

L'on conçoit aisément que la théorie puisse affirmer que le système socio-technique est fonctionnellement adéquat lorsque ses échanges avec l'extérieur sont tous coopératifs. Mais la théorie indique aussi comment aboutir à cette coopération. En effet, le système est constitué de parties que sont les individus possédant une certaine compétence (la fonction qu'il réalise) avec les moyens matériels (machine notamment) qui sont nécessaires à la réalisation de son activité. Le milieu intérieur est constitué de toutes ces parties, mais aussi des supports physiques nécessaires à leurs échanges. C'est ici qu'interviennent les moyens sensoriels des individus mais aussi des media de communication (documents papiers ou électroniques, téléphones, objets techniques).

À tout instant de manière locale, autonome et asynchrone chacun dans la société peut être apte à juger si les informations perçues s'intègrent dans des activités coopératives ou pas. Il n'est plus nécessaire de connaître parfaitement la finalité globale de la société et de se cantonner à un rôle fixe assigné une fois pour toutes à chaque individu pour participer au nécessaire processus permanent d'adaptation. Cela permet en étudiant les interactions non coopératives de voir l'adéquation fonctionnelle globale de l'organisation. Nous avons reporté sur le graphique ci-dessous la manière d'effectuer ce jugement.

Ce graphique montre différentes possibilités d'évolution d'un système à travers ses interactions avec l'environnement. L'abscisse représente l'écoulement du temps durant lequel s'effectuent des échanges avec l'extérieur. L'ordonnée indique le pourcentage de situations coopératives qui ont lieu durant les N (constant) derniers échanges. La limite sur la courbe est l'adéquation fonctionnelle du système, bien que ce qui soit évalué est la situation interne du système. La pente de chaque courbe est une indication de la vitesse d'adaptation d'une organisation à des situations imprévues.

La courbe 1 est proche de l'idéal car elle aboutit rapidement à une totale adéquation fonctionnelle. Cette situation ne pourrait survenir que dans un monde clos, car au-delà d'un certain nombre d'interactions toutes les réponses sont adéquates. Cela signifie certainement que l'environnement est très stable et ne met plus l'organisation face à des situations imprévues.

                  
  • Trajectoires possibles de l'adaptation d'une organisation

    La courbe 2 indique des oscillations du système plus ou moins brutales, selon les variations de l'environnement. Dans ce cas le système a des difficultés à s'adapter. A chaque moment des situations non coopératives sont détectées, mais le changement d'organisation permet d'y répondre momentanément. Cette courbe est certainement plus proche du fonctionnement acceptable d'un organisme social dans un monde changeant. Ce mode de fonctionnement indique aussi qu'une organisation pourra être remise en cause sans que les éléments qui la composent aient besoin de l'être.

    La courbe 3 indique que l'organisation converge vers un attracteur local qui est loin de l'adéquation fonctionnelle. Il reste en effet un ensemble toujours non résolu de situations non coopératives au sein du système, signifiant certainement que des compétences pour les résoudre sont totalement absentes. Le système ne trouvera jamais la "bonne" fonction quelle que soit la solution organisationnelle adoptée.


    5.2 Le rôle nouveau de l'individu dans l'organisation

    Il est tentant de considérer qu'un individu en tant que partie est devenu inutile dans le système que constitue l'organisation. La conséquence évidente en étant son exclusion pour que l'adéquation fonctionnelle (la performance, la compétitivité redémarre). Selon notre théorie c'est une erreur car ce raisonnement se situe toujours --comme à l'habitude -- au niveau d'un observateur qui saurait par principe ce qui est la finalité définitive de cette organisation ; et nous savons que cela ne peut pas être le cas du fait de la rationalité nécessairement limitée de chacun. La théorie si elle était appliquée aux sociétés humaines aurait permis d'observer depuis longtemps des dysfonctionnements dans les relations de cet individu particulier avec le reste du collectif. La réponse à faire pourrait être de plusieurs ordres :

    La réponse habituelle du licenciement est surtout un constat d'échec et d'imprévoyance, d'autant que ce qui est définitivement perdu c'est bien sûr la compétence de l'individu mais aussi sa connaissance des interactions avec les autres qu'il avait pragmatiquement acquise et qui est au moins aussi importante que sa compétence intrinsèque.

    Mais il faut souligner que ce genre de questionnement peut survenir à n'importe quel niveau et à n'importe quel moment dans l'organisation. Cela entraîne un changement profond de la conception des hommes dans les systèmes socio-techniques notamment par le fait que le rôle dans l'organisation n'est plus immuable, mais que c'est la plus importante source d'adaptation du système. Il faut y apprendre à chaque individu ce qu'est la signification d'une situation de la coopération, et surtout que tout dysfonctionnement n'a pas à être caché (car souvent perçu comme remise en cause des compétences et rôles individuels conduisant à des sanctions) mais au contraire exhibé et analysé pour devenir la source d'une nouvelle amélioration du collectif en tant que système. C'est aussi un moyen concret de mieux impliquer et responsabiliser chaque individu, même dans de très grandes organisations.




    6 Conclusion

    C'est la nature des échanges jugée localement et subjectivement qui suffit pour servir d'alarme de dysfonctionnements et non pas leur contenu sémantique dans un absolu qui n'existe pas. L'information est bien au coeur de cette technique de l'adaptation par auto-organisation car les échanges d'un système avec son environnement ne sont perceptibles que par le biais de signaux indiquant la nouvelle d'une différence dans l'état du monde. Cette information peut utiliser des supports traditionnels, mais aussi les nouvelles technologies de l'information et de la communication.

    Parce que les échelles de grandeurs spatiales et temporelles sont aujourd'hui grandement modifiées par ces nouvelles technologies, l'adaptation devient une préoccupation dominante. Mais aujourd'hui la complexité des systèmes est tellement importante et leur couplage est tellement fort qu'il n'est pas possible d'appréhender avec une rationalité totale leur finalité et fonctionnement interne. C'est pour cela que des théories comme celle que nous avons présentée prennent tout leur intérêt. Contrairement à l'approche habituelle des systèmes qui est d'autant plus centralisatrice et contraignante pour les parties qui le composent que le système est important, cette autre voie autorise le "bruit" comme source d'amélioration, de richesse et non d'altération.

    Ces systèmes émergents respectent aussi les comportements individuels car ils acceptent mieux la différence et la diversité que ceux qui sont normatifs a priori : ici la norme est dynamique et prend en compte les particularités de chacun. Mais cette conception entraîne aussi un changement profond des rapports sociaux au sein des organismes ou entreprises qui souhaitent s'adapter au mieux à la dynamique de leur milieu que l'on pourrait exprimer ici comme l'expression de nouveaux besoins et l'exploitation de nouvelles techniques. Il faut aussi avoir conscience que l'adaptation peut - et doit - se faire avec les hommes et non à leur détriment, car ils sont aussi des systèmes qui participent du jugement de l'adéquation.




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