Revue SOLARIS
Décembre 1999 / Janvier 2000
ISSN : 1265-4876
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Les enjeux de la normalisation à l'heure du développement de l'information "dématérialisée"

Giuliani Élisabeth


Présidente de la CN 6 (AFNOR, CG 46)
Bibliothèque Nationale de France


logo Solaris Résumé

A l'heure où se développe la diffusion en ligne des documents et des informations, les principaux organismes de normalisation font preuve d'une grande activité de réorganisation et l'on assiste, notamment, à l'explosion des entreprises visant à identifier et marquer par des numéros, cette information volatile. Il n'est qu'à considérer, par exemple, la multiplication des groupes de travail sur l'identification et la numérotation au sein de l'ISO et de l'AFNOR.

Certes l'élaboration de numéros standards internationaux n'est pas une nouveauté. Les premiers numéros ont été définis dans les années soixante-dix avec l'ISBN et l'ISSN. Toutefois, d'une part, on observe une tendance à multiplier et diversifier les entités documentaires ainsi numérotées ; d'autre part, on note une certaine inflexion dans les fonctions assignées à ces identifiants et donc, parfois, à une modification de leur structure. Ces développements renseignent sur les mutations que connaît, dans ses concepts et ses méthodes, la gestion de l'information documentaire qui met de plus en plus en relation différents secteurs professionnels.

     
Abstract

In today's context of prodigious development of on-line and automatic dissemination of information, standardization bodies invest a lot of energy in their reorganization, and we are witnessing a veritable explosion of enterprises endeavouring to track this information through numbering methods.

This tendancy is borne out by a considerable increase in activity within the different organisations, be they in ISO or in the French AFNOR, whose task it is to develop schemes for identification and numbering of documentary objects.

Indeed, the development, promulgation and revision of internationally standardized numbers, is not a new idea. Such standardized numbers have been with us since the nineteen-seventies, and the advent of the ISBN and ISSN. What we do observe, however, is on the one hand a multiplication of the number of documents deserving such identification, and on the other hand an evolution of the desired performance criteria of such systems, to be acheived through structural modifications of the numbering scheme. These developments give rise to a significant transformation in the definitions governing the management of documentary information, as well as in the professional practice of such management, and the relations between professional sectors.







Michel Melot qui présidait alors la Commission générale "Information et Documentation" (CG 46) de l'AFNOR entreprit, au cours de l'année 1995, de la réorganiser. En particulier, il redéfinit la commission de catalogage, désormais investie de la modélisation conceptuelle des données bibliographiques, et constitua une nouvelle commission de normalisation "Numérotation et Identification", tant s'exprimaient les besoins de "marquer" les documents dans l'environnement électronique en réseau [1].

En mai 1998 lors de sa réunion annuelle à Athènes, le Comité technique "Information et documentation" de l'ISO (ISO/TC 46) était à son tour engagé par son sous-comité 9, "Présentation, identification et description des documents", à se réformer.

Cependant, au sein de l'IFLA s'étaient déjà constitués, en 1993 un "Universal dataflow and telecommunication core programme" (UDT), chargé notamment d'administrer le site IFLANET, en 1995 une section "Information technology"... et, en 1999, la table ronde audiovisuelle devenait "Section on Audiovisual and Multimedia" et se constituait un nouveau groupe de travail sur les autorités (FRANAR) envisageant aussi leur gestion et leur identification numériques.

Toute cette activité d'administration interne des institutions qui réglementent la normalisation documentaire, répond sans doute à une évolution réelle dans le champ de l'information bibliographique. C'est celle-ci que nous voudrions suivre et examiner plus précisément à travers le cas particulier de la définition des identifiants des objets de l'information.




Prise en compte dans les instances de normalisation internationales et françaises

C'est progressivement et sous des formes diverses que les instances de normalisation du domaine de la documentation se sont ouvertes à la problématique de l'informatique et des documents électroniques. Un mouvement très pragmatique et le plus souvent réactif visait à fournir des réponses ponctuelles au fur et à mesure qu'émergeait un problème ou que se manifestait un blocage. Les risques d'incohérence d'une telle démarche sont seulement relevés aujourd'hui pour inciter à une réflexion globale sur l'ensemble des concepts bibliographiques et documentaires et sur des modèles pour leur articulation. Car l'informatique après avoir été traitée comme une technique de présentation et une méthode de gestion des données bibliographiques (indexation puis accès) était devenue le mode de structuration des documents eux-mêmes. Mais c'est avec l'étape de leur "dématérialisation" ou plutôt de la "médiatisation" généralisée de l'information que disparaît nécessairement la frontière, jusque là opérationnelle dans le traitement documentaire, entre production et présentation de données constituant un objet documentaire premier fini d'un côté, description et indexation c'est-à-dire extraction et construction d'un "document" secondaire (la notice bibliographique) de l'autre.

L'histoire "administrative" des organismes de normalisation, internationaux ou français, montre un processus lent dont l'accélération est manifeste depuis 1995. Parallèlement les textes (normes et standards) qu'ils produisent s'ouvraient à l'informatique sans longtemps constituer d'ensembles spécifiques. L'évocation de quelques unes des étapes de cette émergence d'une problématique liée à la documentation électronique ou à l'informatique documentaire, au sein de l'IFLA, de l'AFNOR ou de l'ISO devrait suffire à tracer ce mouvement [2].

En 1990, à l'occasion de la révision de l'ISBD (NBM), le groupe de travail de l'IFLA choisit de détacher de l'ensemble "indifférencié" des "non book", les "Computerized Files" (devenus, dans la seconde édition en 1997 "Electronic Ressources"). Toutefois, le modèle est encore fortement copié de l'ISBD M et reste peu adapté, en terme de contenu (et accès propres) aux médias autres que textuels d'une part, aux modes de publication en flux d'autre part. Parallèlement, d'autres groupes de réflexion entreprennent des travaux sur la modélisation des données bibliographiques (1992-1998) relayés aujourd'hui par l'établissement d'un modèle des données d'autorité (1999-). Par ailleurs l'IFLA s'implique dans la réflexion sur les métadonnées et la Section des bibliothèques nationales entreprend une étude sur les modalités d'un dépôt légal des documents électroniques.

A la réunion annuelle de mai 1996 à Oslo, Michel Melot présentait donc la restructuration de la Commission de normalisation française comme une réponse durable et réfléchie au "développement rapide des échanges électroniques. Délibérément, il s'est agi, au-delà d'une actualisation de ses tâches, de mener une réflexion prospective sur la place et la politique des bibliothèques dans la normalisation internationale, à l'heure où la normalisation des échanges s'est généralisée, contrôlée par les secteurs économiques de l'informatique, de l'électronique, de l'audiovisuel et des télécommunications." [3]

La refonte des groupes de travail au sein de la CG 46 prétendait d'une part redonner de la vigueur à certains secteurs "en crise" du fait de l'épuisement de leur matière à normaliser (les ISBD pour la commission Catalogage) et, en revanche, développer de nouveaux domaines appelant une activité de standardisation : ceux des documents et procédures électroniques notamment.

Cette structure prend acte en outre qu'il existe plusieurs niveaux de normalisation : celui de l'aspect physique des données (de leur stockage et de leur transmission), celui de leur aspect logique, celui enfin de leur définition même : concept d'une part, identifiant de l'autre.

Des priorités communes sont enfin données à ces commissions de normalisation neuves ou rénovées, pour garantir le risque d'émiettement : définir des modèles conceptuels de données propres aux usages documentaires des bibliothèques ou en bibliothèques, veiller à la prise en compte des structures électroniques des documents, associer les partenaires de la chaîne documentaire : auteurs, producteurs, réfléchir aux nouveaux modes d'accès à l'information dans un contexte électronique.

En mai 1998, lors de la réunion annuelle du Comité technique "Information et documentation" (TC 46) de l'ISO, c'est au tour du sous-comité sur la "Présentation, identification et description des documents" (SC 9) de présenter un projet de réorganisation. Là encore, il s'agit de rendre plus autonomes les groupes qui travaillent en prise directe avec les problèmes nouveaux : la modélisation physique et logique des données ou l'identification et la numérotation des objets d'information, et de les dégager ainsi du poids de la maintenance des normes "classiques" liées encore à la logique de présentations figées sur des supports matériels.

Dernier signe de l'évolution des organismes de la normalisation documentaire aux impératifs de l'environnement électronique, l'ouverture de sites sur Internet et, surtout, des directives prônant le travail en ligne des groupes et la disparition progressive des supports papier [4].

Toutefois la prise en compte fondamentale des enjeux de l'informatisation n'est pas toujours réalisée : c'est ce que révèlent d'une part les hésitations de la terminologie (work/oeuvre, manifestation, item, ressource remplaçant édition, support pour identifier un document), d'autre part la diversité voire l'incohérence des structures de travail.

Accumuler ou juxtaposer des dispositifs concurrents sinon contradictoires (maintenir au sein de sous-comités du TC 46 de l'ISO des règles de translittération ou de codage des caractères, quand s'élaborait depuis les États-Unis un code "universel" Unicode, par exemple) ou intégrer de force (sous forme d'annexes, notes, suppléments) de nouvelles données aux modèles antérieurs créés pour le support imprimé, ont été les moyens couramment utilisés pour prendre en compte, au fil de l'eau, les questions inédites. Depuis quelques années des réflexions (et groupes) se développent en marge des anciennes structures avant, parfois, d'en prendre le relais complet et de les réduire à l'obsolescence. Mais faute d'adaptation, les instances de la normalisation documentaire sont vite concurrencées par des standards élaborés à l'extérieur du monde de la documentation, livrés clés en mains par les producteurs et pourvoyeurs de l'information qui dominent donc de plus en plus le marché de l'ingénierie documentaire. Car "le marché demande des normes afin d'assurer l'ouverture et l'interopérabilité des systèmes." (Fontaine, 1998).

L'évolution impose à la fois un décloisonnement des instances et des champs de la normalisation et un effort de mise en cohérence avec des schémas de pensée et à travers des structures de travail renouvelées. Les outils et méthodes sont non seulement désormais multimédias (c'est-à-dire "a" media) mais aussi multifonctionnels intégrant production, description et accès aux données bibliographiques d'un côté, aux données primaires elles-mêmes de l'autre (Desrichard, 1998). Par ailleurs à la "dématérialisation" l'information électronique ajoute l'instabilité permanente et la nécessité d'identifier un "état" du document avant même de le décrire. La hiérarchie tend à (tente encore de ?) s'inverser au profit du document logique sur le document physique (l'édition et le support, ces fondements des ISBD), une stratégie des liens (qui eux-mêmes de hiérarchiques deviennent hypermedia) à remplacer la seule indexation.

Paradoxalement, c'est en suivant les avancées et résistances qui se manifestent autour de la numérotation internationale (sujet de détail apparemment et strictement technique) qu'on peut mesurer l'étendue et la profondeur de ces révisions.




L'exemple de la numérotation standardisée des objets documentaires

A l'heure du développement des modes de diffusion électronique de l'information, on constate une explosion des entreprises visant à la fixer ou du moins la pister au moyen de numéros.

Cette tendance peut se mesurer au considérable regain d'activités que connaissent les commissions chargées, à l'ISO et à l'AFNOR notamment, de l'identification et de la numérotation des documents.

Car l'élaboration, la promotion et la maintenance de numéros standards internationaux, ne sont pas des missions récentes. Elles sont entrées dans le monde de la documentation dans les années 70, avec la mise en place de l'ISBN et de l'ISSN. Mais on constate, d'une part, une multiplication des objets réclamant une identification, d'autre part, une évolution dans les objectifs assignés à la numérotation et partant une modification des structures de numéros.

De ces évolutions ressortent des mutations majeures dans la définition et la gestion de l'information documentaire ainsi qu'une transformation des "métiers" de l'information et de leurs rapports.




Historique et évolution de la démarche de numérotation standardisée

Le 17 avril 1969, l'avant-projet de recommandation pour une numérotation normalisée internationale du livre, proposait de "coordonner et de normaliser sur le plan international l'usage des numéros de livres, de sorte qu'un numéro normalisé international de livre (ISBN) identifie chaque titre, ou chaque édition d'un titre, d'un éditeur donné, et soit le seul pour ce titre ou cette édition."

Près de trente plus tard, les promoteurs d'un DOI (Digital object identifier) reprennent en partie l'objectif initial d'identification internationale univoque des éditions mais l'élargissent à tout "digital content" et le complètent par celui d'offrir un moyen sûr pour suivre et régler la circulation et l'usage de ces objets d'information, se référant explicitement au commerce électronique.

"Publishing on the Internet requires new tools for managing content. Where traditional printed texts such as books and journals provide a title page or a cover for specific identifying information, digital content needs its own form of unique identifier. This is important for both internal management of content within a publishing house and for dissemination on electronic networks." [5]

Entre ces deux dates, on retrouve des éléments permanents mais aussi de constantes évolutions.

Dès l'ISBN, entrepris sous l'impulsion de libraires-éditeurs britanniques en 1965, un certain nombre de points sont mis en avant qui seront repris dans tous les projets suivants : l'unicité et la permanence du lien entre le numéro et l'objet qu'il identifie ; l'organisation pyramidale de la gestion des numéros attribués ; le souci d'efficacité satisfait à la fois par la structure numérique (et un algorithme de contrôle) de l'identifiant et des directives sur son inscription physique sur le support identifié.

En revanche d'autres éléments ont varié au fur et à mesure que de nouveaux identifiants se mettaient en place. L'objet documentaire identifié bien sûr (livre, publication en série, partition, enregistrement sonore, etc.) mais surtout la classe-même d'objet documentaire à identifier. Dès l'ISSN (dont la réflexion fut amorcée en 1969 sous l'égide de l'Unesco et du C.I.U.S.(Conseil international des unions scientifiques), l'objet à identifier a changé : il ne consiste plus en un support matériel unitaire mais déjà en un ensemble générique dans lequel s'inscrivent des publications multiples. L'ambition affichée aussi : moins qu'à rationaliser et donc promouvoir le commerce, elle s'applique à favoriser la diffusion scientifique et veut fédérer les usages universitaires et commerciaux.

L'ISRC (engagé dès 1972 mais abouti seulement en 1985 à l'initiative des organismes représentatifs des producteurs phonographiques) marque une étape supplémentaire. L'objet qu'il identifie est une fixation matérielle mais indépendante d'une édition et d'un support ; en outre son objectif sous-jacent est la garantie des droits et d'ailleurs l'élaboration de ce nouvel identifiant est contemporaine de l'évolution des législations sur les droits voisins (loi de 1985 en France). Les sociétés d'auteurs sont mentionnées parmi les bénéficiaires de l'entreprise.

L'ISRN (discussions entamées en 1989) innove quant à lui en prévoyant d'identifier aussi bien des objets documentaires publiés que des objets à usage interne, diffusés sous forme imprimée ou "non imprimée".

Biblid (système de numérotation valide entre 1987 et 1996), relayé en 1991 par SICI (Serial item and contribution identifier), est le premier identifiant d'objet documentaire "composant".

Enfin, depuis 1997, avec les projets de l'ISAN et, plus encore, de l'ISWC, c'est à identifier des objets de l'esprit et à assurer la gestion de droits d'auteur ou de copyright qu'on s'applique.

"Inversement", ancrés sur la pragmatique du contrôle de la circulation des informations sur Internet, sont élaborés dans le même temps des identifiants de ressources documentaires sous forme d'adresses informatiques. La conjonction des ces deux démarches aux logiques antinomiques : un identifiant attaché en permanence à un objet, une adresse liée de manière éphémère à une ressource, se fait avec l'URN ou le PURL qui, tous deux, mettent en place la logique de liens entre identifiants et construisent des outils de concordance.

En ce sens, le DOI enrichit ce dispositif d'identifiants "à étages" et propose un modèle de "méta-numéro".

Sensiblement dans les mêmes bornes chronologiques, les structures mises en place, pour décrire l'information contenue dans ces objets identifiés et les moyens d'y accéder connaissaient les mêmes évolutions et variantes. La famille des ISBD comptait des membres "monographiques", en série, parties composantes mais s'articulait avant tout sur des présentations et modes de diffusions éditoriaux; elle s'ouvre aujourd'hui aux éléments de données.




Diversification des objets documentaires numérotés

De cet aperçu historique ressort un certain nombre de tendances dans l'évolution des objectifs de numérotation.

En premier lieu, l'élargissement de la typologie des objets documentaires identifiés, et parallèlement la nécessaire refonte terminologique.

Objet ou item, l'élément identifié est d'abord simple ou complexe, contenu ou contenant. De ce fait il sera homogène ou composite voire multimédia. En cours d'élaboration existe même un identifiant des bibliothèques et collections de documents (ISIL International standard identifier for libraries and related organisations).

Ensuite, on peut avoir affaire à des produits matériels (item : ISBN, ISMN), à des entités intellectuelles (works : ISWC, ISAN) ou à des catégories intermédiaires parfois difficiles à distinguer d'expressions ou de manifestations (ISRC, ISAN).

Enfin l'objet identifié peut être intangible (ce qui signifie que toute modification entraîne un nouvel identifiant) ou évolutif. A cet égard, il convient de remarquer l'ampleur que prend, dans les discussions visant à élaborer de nouveaux identifiants ou à faire évoluer les anciens numéros, la notion de version ou d'adaptation, etc. On sait que la notion de sérialité est elle aussi atteinte par l'aspect de plus en plus interactif ou volatile de l'information disponible en ligne.

On voit aussi l'infléchissement des objectifs assignés à l'identification, et parallèlement la diversification des communautés professionnelles actives dans son élaboration et son suivi.

Les objectifs furent et demeurent d'abord commerciaux et les responsables des agences contrôlant les numéros internationaux sont surtout les organismes contrôlant ces commerces : éditeurs, producteurs. Le DOI est dans le droit fil de l'ISBN, de ce point de vue.

Plus tardive la référence à la gestion des droits de propriété intellectuelle domine aujourd'hui. En France, une convention liait le Ministère de la Culture, l'AFNOR et un ensemble d'organismes représentatifs des ayants droit, pour développer et promouvoir la normalisation.

La composante documentaire, seconde, est toutefois apparue dès l'origine et la participation au processus des organisations professionnelles de la documentation scientifique ou des bibliothèques fut très précoce. Moins évidemment rentable, c'est elle qui souffre des évolutions présentes.

L'exhaustivité de sa couverture qui longtemps fut présentée comme la composante nécessaire de l'universalité de l'identification est ainsi remise en cause, au profit d'une conception plus malthusienne : seuls seraient à identifier les objets porteurs de revenus. De même les informations liées à ces identifiants sont revues à la baisse en étendue et qualité, quand elles ne sont pas négligées ou, plutôt, gardées secrètes.

On constate enfin la diversification des structures et des technologies d'inscription des identifiants sur les objets.

Très tôt deux logiques ont cohabité : celle d'identifiants significatifs (l'ISBN) et celle d'identifiants muets (l'ISSN). Les évolutions technologiques (la gestion automatique de ces identifiants notamment sous forme de codes à barres ou de flux binaires) inciteraient à simplifier les modes de numérotation, mais on constate un mouvement inverse. D'une part continuent d'être élaborés de nouveaux numéros significatifs (ISWC), d'autre part la répartition des informations entre segments de numéro continue de varier et de croître.

Comme déjà Biblid ou SICI, le DOI prend ainsi le parti d'être une structure gigogne assurant une identification par citation de numéro. Pour répondre au même paradoxe d'une complexité croissante des notions représentées dans les identifiants à l'heure d'une gestion strictement numérique des échanges d'information, la norme MPEG a défini un double niveau d'identification : celui de la pertinence ou non de l'identification pour les données circulant, celui de l'identifiant proprement dit dans toute sa complexité.

Inversement l'aspect, apparemment strictement technique, de la structuration des identifiants peut recouvrir de véritables enjeux de pouvoir quand il s'agit d'identifier ou non, l'origine et la durée de droits d'exploitation [6].




Conclusions : analyse des enjeux

Ces évolutions renseignent sur les développements et les enjeux de la société de l'information.

Ils impliquent d'abord de redéfinir les objets et les médias de l'information : la fin de la suprématie d'un modèle, formé sur l'imprimé et édité en nombre, qui associait contenu de l'information, mode de présentation et même support. Aujourd'hui pourrait se dessiner une totale anarchie et concurrence des identifiants qui ruinerait les ambitions initiales d'universalité et d'unicité. Pour s'en garantir on voit, plutôt qu'une véritable harmonisation des entreprises de numérotation (voir ainsi la complémentarité recherchée entre ISRC et ISAN pour les vidéomusiques), une tentative pour garantir la compatibilité des modes d'identification et la construction de modèles fédérateurs : liant ou articulant les identifiants.

Dans le domaine, nécessairement lié, de la description et de l'accès aux objets d'information, on constate une même désintégration du modèle de la monographie imprimée et à la fin programmée des ISBD. Contre un semblable risque d'éclatement, d'atomisation et de bruit, les recherches sont entreprises pour une nouvelle structuration de l'information et l'élaboration de plate-forme compatible de métadonnées.

Ils témoignent d'une mutation des métiers et d'une réorganisation de leurs rapports. On constate l'accroissement jusqu'à l'hégémonie du rôle des producteurs et des fournisseurs de l'information et à un effacement relatif des intermédiaires de la médiation aussi bien éditeurs que bibliothécaires et documentalistes.

Inversement on assiste à la valorisation des compétences liées aux nouvelles technologies dont témoigne, dans le monde de la documentation, la considération nouvelle accordée aux spécialistes de l'audiovisuel et de l'information électronique.

Contre les risques importants d'une "privatisation" des circuits de l'information (comme des technologies de sa production et de sa diffusion), le rôle des instances internationales de normalisation est renforcé pour préserver un accès ouvert à l'information.




Table des sigles




top Notes

1
En 1993 déjà, c'est lui qui ouvrait le dossier sur la Normalisation réuni par le BBF, sur les nouveaux enjeux de l'électronique pour la normalisation documentaire (nº.5, p. 10-12), ( 1993).

2
[IFLA] - [ISO] - [AFNOR]
-- L'IFLA (Fédération internationale des associations de bibliothèques) , <http://www.ifla.org> est structurée en divisions, sections, tables rondes et organise un travail transversal par programmes et ou groupes de travail. Citons, parmi les instances intéressées à la documentation électronique :

Les programmes:

Les divisions:

Les sections

Quoique n'étant pas un organisme de normalisation, elle entretient avec ceux-ci, et notamment avec l'ISO, des rapports conventionnels qui lui reconnaissent une mission de régularisation des méthodes de traitement bibliographique.
Sur le plan national, l'AFNOR adapte, dans ces mêmes domaines, les recommandations émanant de l'IFLA : les ISBD sont la base des fascicules de documentation élaborés par la CN 3 (ex CN66).


-- L'ISO (International standard organisation) <http://www.iso.ch> créée en 1947 compte 218 comités techniques dont :


-- L'AFNOR (Agence française de normalisation), <http://www.afnor.fr> est le comité membre français de l'ISO. Sur les domaines de la documentation et de l'informatique, signalons:

3
Melot Michel, La restructuration de la Commission de normalisation française CG 46 : communication au Congrès du TC 46 à Oslo (7-10 mai 1996).

4
Cf. Recommandations prises à la réunion de l'ITSCG (Groupe de coopération ISO/CEI/UIT sur les stratégies en matière de technologies de l'information), les 30 et 31 mars 1995 à Genève

5
Introduction to the Digital Object Identifier, < http://www.doi.org>, 18 septembre 1998.

6
Ce tableau résume l'état actuel des identifiants

identifiant

date

Type d'objet identifié

type d'identifiant

communauté de contrôle

ISBN

1972

item unitaire

signifiant

édition ou documentation

ISSN

1974

item générique

muet

documentation

ISRC

1986

expression

signifiant

production

SICI

1991

contribution

signifiant

documentation

ISMN

1993

item unitaire

signifiant

édition

ISRN

1994

item unitaire

signifiant

documentation

URL

1994

adresse

signifiant

diffusion

PURL

1995

ressource

signifiant

documentation

URN

1996

ressource

signifiant

diffusion

DOI

1998

donnée "méta"

signifiant

édition

ISAN

2000

oeuvre & expression

muet

production

ISWC

2000

oeuvre

signifiant

auteurs

ISIL

2000

bibliothèque ou collection

signifiant

documentation




Bibliographie

retour
Bulletin des Bibliothèques de France, 1993, nº5, Normalisation <http://www.enssib.fr/Enssib/bbf/bbf.htm>

retour
FONTAINE, Bruno (1998), "Les grands programmes de normalisation : enjeux et stratégie", dans Enjeux, 1998, nº188 <http://www.afnor.fr/activites/normalisation/gpn/gpn22.htm>

retour
DESRICHARD, Yves (1998), "Les formats et normes de catalogage : évolution et perspective", dans BBF, 1998, nº3, p. 56-65. <http://www.enssib.fr/Enssib/bbf/bbf.htm>


© "Solaris", nº 6, Décembre 1999 / Janvier 2000.