Chronologie des supports, des dispositifs spatiaux, des outils de repérage de l'information

Sylvie FAYET-SCRIBE


Maître de conférences, Université Paris 1


Septembre 1997


Résumé

Cet article consiste à présenter un tableau chronologique (compris entre la préhistoire et le XXe siècle), et son commentaire qui donnent à voir l'histoire des "techniques intellectuelles" permettant le repérage de l'information. C'est-à-dire les méthodes et les outils ayant la capacité de repérer et de retrouver l'information: indexation, classification, activité résumante, encyclopédies, dictionnaires et outils de recensement: répertoires, annuaires, chronologies; ainsi que les moyens de retrouver les références du document (et non l'information elle-même) : bibliographies et catalogues.
Ce travail consiste à pointer, outre les temps propres à chaque technique intellectuelle, certaines caractéristiques de ces outils : leur perfectionnement, leur coexistence, leur additivité, leur disparition, leur transfert sous d'autres formes, leur changement d'échelle (de l'unité : le livre au fonds documentaire), leur appartenance à un modèle d'organisation plutôt hiérarchique ou plutôt associatif.

Abstract

This article present a chronology from prehistory to the XXe century and a comment on the history of the "intellectual techniques" of information retrieval including methods and tools. The explored methods are: indexation, classification and abstracting. The main tools are: checking-tools like lists, repertories, yearly directories and also indexes, encyclopedias and dictionaries. Furthermore the tools applied to retrieve documents like bibliographies and catalogues are examined.
This work shows the «intellectual techniques» as they progress over time and some characteristics of their tools: their improvements, their coexistence, their addition, their disappearance, their transfer to other forms, their change of scale from the book to the documentation centre and their relationship to hierarchical, rather associationist organisation model.


[Introduction] - [Tableau] - [Commentaires] - [Bibliographie]





          

Introduction

Cet article présente un tableau chronologique compris entre la préhistoire et le XXe siècle, accompagné d'un commentaire sur l'histoire des "techniques intellectuelles" d'accès à l'information. Les "techniques intellectuelles" sont des méthodes et des outils ayant la capacité de repérer et de retrouver l'information. Les méthodes retenues sont l'indexation, la classification, et l'activité résumante. Les outils principaux sont les outils de recensement: listes, répertoires, annuaires; ainsi que les index, les encyclopédies et les dictionnaires. Les bibliographies et les catalogues qui permettent de retrouver les références du document et non l'information elle-même sont aussi examinés.

Ce travail se situe d'emblée à deux niveaux : sur l'unité, le livre (par exemple l'index d'un livre) et sur des ensembles : indexation de plusieurs unités (par exemple, le fonds documentaire, la bibliothèque, le réseau électronique). C'est pourquoi le repérage ne peut pas être qu'un moment de l'acte de lecture : il va en amont et en aval de l'acte de lecture. De même les outils de repérage sont la fois à usage personnel et à usage collectif.

L'accès à l'information écrite est dans cet article privilégié, l'image fixe puis animée n'est pas prise en compte. De même, les supports de l'écrit retenus sont ceux les plus usités au cours du temps : papyrus, papier, etc...et non les corps, le tissu, etc... qui n'apparaissent pas, ainsi que d'autres supports d'informations éphémères : sable mouillé, craie et tableau noir, etc...

Suivre les "techniques intellectuelles" sur un temps long donne une vision "internaliste" du temps propre au type d'outils étudiés, notamment dans leur développement et leurs apparitions successives; il demande à être complété par une série de "micro-histoires", où chaque outil nouveau est précisément resitué dans son contexte culturel, économique, politique et social. En cela, une présentation plus "externaliste" du temps est proposée: elle nécessiterait que chaque historien spécialisé dans une période donnée puisse amener des éclaircissements sur l'homme et l'outil. Nous proposons que ce travail prenne ensuite la forme d'une exposition, on peut consulter le projet de cette exposition (Fayet-Scribe et Leroy, 1996). A titre indicatif, cet article présente à la fin de l'introduction, une liste d'individus qui ont inventé ou exploré un moyen d'accès sur un outil particulier dans chaque grande période historique.

Cet article s'inscrit dans un travail de recherche plus large consacré à l'histoire des techniques intellectuelles de repérage de l'information et à leur professionnalisation dans la première moitié du XXe siècle (1895-1937) : en effet, cette chronologie sur une longue durée et son commentaire sont un préalable indispensable qui permet d'étudier comment les techniques intellectuelles de repérage de l'information ont été explorées, utilisées, innovées et revendiquées dans la formation de documentaliste durant la période 1895-1937 au sein de leurs associations telles que le Bureau Bibliographique de France (BBF), la Fédération Internationale de la Documentation (FID), l'Association de Développement de la Lecture Publique (ADLP), l'Union Française des Organismes de Documentation (UFOD).

Ajoutons d'emblée que ce ne sont pas seulement des outils mais aussi des méthodes et des concepts qui ont été revendiqués lors de la naissance des formations. Ces associations seront examinées à partir de leurs sources primaires (archives) qui permettront la constitution de monographies et la prosopographie des acteurs. Un travail préliminaire a été effectué pour présenter le champ des associations de documentalistes durant la première moitié du XXe siècle (Fayet-Scribe, 1997). Ces associations évoluent autant dans le monde du savoir scientifique que dans le monde du savoir industriel et technique. Plus globalement, ces recherches s'insèrent dans mes travaux antérieurs sur l'histoire des associations et de la professionnalisation (Fayet-Scribe, 1990).


Définitions

Il faut tout d'abord poser les différentes définitions car il y a un problème de polysémie des termes se rattachant aux divers concepts d'information, de document, de connaissance. Méthode, outil, technique intellectuelle, sont les termes que nous avons adoptés au cours de ce travail. Il faudrait construire un lexique historique qui comprendrait par famille les outils étudiés, les outils consacrés au Moyen-Âge pourraient constituer à eux seuls un lexique (ainsi, par exemple, je ne dirais rien sur les sommes, les florilèges, les abrégés, ainsi que sur les "questiones, disputatae", "quodlibeta", "postilles", "compilacio"). Pour la terminologie actuelle de ces techniques, on peut se référer à l'ouvrage de Claire Guinchat et Yolande Skouri (Guinchat et Skouri, 1996) qui, bien souvent reprend les définitions qui sont données par l'AFNOR. Il est à remarquer que les outils étudiés ont des appellations particulières pour chaque époque, et les spécialistes d'une période ne font pas toujours de gros efforts pour traduire clairement les fonctions et significations des mots!

Définitions adoptées dans ce travail : la conception de l'information spécialisée, telle qu'elle est définie actuellement, délimite fortement le domaine investi par cette notion : "L'information spécialisée est une information destinée aux spécialistes (industriels, chercheurs, enseignants) qui leur est nécessaire dans leur activité professionnelle et qui conditionne une prise de décision ou une action particulière. Il faut la différencier de l'information pour le grand public notamment par la nature des informations transmises ainsi que le canal de communication emprunté." (Chartron, 1992, p.351).

Historiquement, la définition est plus large car l'information, plus globalement est liée à la connaissance, et à des formes de connaissance diverses : théologique, mythique, philosophique, technique, scientifique... que vont s'approprier divers individus qui n'ont pas encore de statut professionnel dans la société, tout en étant liées à des lieux privilégiés de la connaissance : bibliothèques, monastères, corporations, universités, laboratoires, académies, entreprises... Peu à peu se formera "une information scientifique et technique" (IST), de portée internationale, indépendante d'une culture particulière et validée par l'ensemble d'une communauté. A ce titre, les prémices de l'IST sont sans doute à voir au XVIIe siècle, moment où naissent tout à la fois les périodiques scientifiques, les laboratoires et des individus qui ont pour objectif l'étude scientifique et/ou technique; de plus, la communauté internationale scientifique a une activité sans frontière.

Quant au mot information, au sens étymologique du mot "in-former" signifie "donner une forme", or la matière première à mettre en forme est bien la connaissance. Connaître signifie à la fois savoir et comprendre, c'est-à-dire être capable d'expliquer le rapport de l'objet de connaissance avec les autres choses déjà sues.

Cette mise en forme de la connaissance se fera d'abord par le langage, puis par l'écriture, et celle-ci s'inscrira dans le document. Le document écrit imprimé (mais aussi le document électronique, photographique, vidéographique... ou autre) peut être défini selon l'indication de l'Organisation Internationale de Normalisation (ISO-TC 46) comme un :"Ensemble formé par un support et une information, généralement enregistrée de façon permanente et tel qu'il puisse être lu par l'homme ou la machine"; Ce que traduit bien la définition proposée par J. Meyriat et R. Estival : "Toute connaissance mémorisée, stockée sur un support, fixée par l'écriture ou inscrite par un moyen mécanique, physique, chimique, électronique, constitue un document. Dans la chaîne primaire de création, tant que le document est créé mais n'est pas encore utilisé par un récepteur, il reste un document virtuel. Dès lors qu'il est employé et décodé par un récepteur, le document devient réel : il a trouvé son utilisateur" (Meyriat et Estival, 1981, p.84).

Utiliser un document, y puiser une information est un acte fondamental. Il y a des documents qui ont été produits pour être porteurs d'informations, c'est ceux que nous examinerons. Il existe des connaissances difficilement transmissibles par le langage écrit, mais nous ne traitons ici que de la connaissance explicitée. Nous avons pour objectif d'étudier les voies d'accès à l'information, via le document et son support, à travers des outils qui sont capables de fournir les références du document, voire les informations elle-mêmes.


Méthode

                  

En fait au cours de ce travail, je me suis progressivement détachée des cinq grandes périodes définies par Leroi-Gourhan, notamment des deux premières (transmission orale et transmission écrite avec table et index). En effet, pour cet auteur, la période de la transmission orale doit être comprise dans un sens très large, puisqu'elle engloberait les premières écritures, et se prolongerait jusqu'à l'apparition de l'imprimerie. Il s'agirait plutôt d'une longue période de transmission linéaire, représentée notamment par le volumen "Jusqu'à l'apparition de l'imprimerie, en Occident comme en Chine, la séparation se fait difficilement entre la transmission orale et la transmission écrite" (Leroi-Gourhan, t.2, 1988, p.63). La période de transmission écrite avec table et index ne commencerait, quant à elle, qu'avec l'apparition de l'imprimerie. Or, je fais commencer la transmission écrite avec listes et tableaux dès l'Antiquité. On peut aussi considérer que la préhistoire à travers la disposition topographique des fresques pariétales, suggère elle-aussi un certain type d'organisation spatiale et peut-être sémantique; de même la transmission orale présente, à travers les caractéristiques du mythe, un certain mode d'organisation de l'information (Lévy, 1990).

Le découpage opéré par Leroi-Gourhan, en étant trop large, ne permet pas de bien faire ressortir les premiers signes d'une organisation non-linéaire de l'information, tels que les premières listes, catalogues, ou les premiers dictionnaires. Néanmoins, notre choix présente aussi des inconvénients: la deuxième période de la mémoire collective, celle de la transmission écrite avec tables et index, pleinement ouverte par l'imprimerie ne se détache peut-être plus suffisamment de la première. De plus, elle est minorée. Il n'y a plus de coupure ou de rupture. Une vision non linéaire du temps historique est donc nécessaire pour aborder l'histoire des «techniques intellectuelles».

En effet, les repères chronologiques habituels bien souvent politiques ou militaires sont souvent insignifiants pour ce type d'histoire. De plus, chaque technique a son temps propre, sans forcément engendrement ou rupture. Seule une notion non-linéaire du temps peut rendre compte de l'évolution de la vie, Michel Serres propose dans sa préface d'Eléments d'histoire des sciences des modèles pour comprendre l'écoulement du temps (Serres, 1989): réseaux routiers, de neurones, d'autoroutes, de rues, de circuits imprimés... Cependant, la logique du texte nous impose le "fil habituel du temps", tout en restant vigilante sur les lieux d'émergence, les carrefours d'engendrement, les routes parallèles, et les bas-côtés des chemins.


Présentation du tableau

Pour suivre l'histoire des outils de repérage de l'information, il faut devant l'éparpillement bibliographique et parfois sa relative pauvreté (cf. critique des sources), constituer un tableau chronologique récapitulatif (mais certainement pas exhaustif) des outils d'accès à l'information.

Le tableau s'inscrit dans une longue tradition méthodologique, il est une des premières techniques intellectuelles de disposition graphique et sémantique. Il est déjà présent à Sumer et accompagne l'homme de la Grèce au Moyen-Âge et bien après. Condorcet, dans son ouvrage Esquisse d'un tableau historique de l'esprit humain décrit les tables et les tableaux comme des "méthodes techniques" qu'il définit comme " l'art de réunir un grand nombre d'objets sous une disposition systématique, qui permette d'en voir d'un seul coup d'oeil les rapports, d'en saisir rapidement les combinaisons, d'en former plus facilement de nouvelles" (cité par Roger Chartier, dans Tous les savoirs du monde 1996, p.484).

Cinq colonnes ont été distinguées : temps/lieu, support, dispositif spatial, outils et repérage de l'information, remarques (pour comprendre, en particulier, le repérage, le stockage, la collecte, la diffusion ou l'usage de l'information). Le tableau ayant été constitué à partir de sources diverses, on se rapportera à la bibliographie générale de l'article, chaque donnée ne pouvant être référencée individuellement.

On remarquera que l'histoire de l'écrit a été volontairement privilégiée par rapport à l'oral et à l'image car jusqu'à présent l'homme s'est plus préoccupé de retrouver l'information écrite et parfois orale que l'information en image fixe ou animée qu'il avait du mal à stocker. Toutefois, nous n'avons pas totalement abandonné l' image et l'oralité, puisque nous avons décidé de ne pas exclure la préhistoire du tableau. Cette période était importante à re-situer dans la mesure où elle nous plonge dans un monde dominé par l'oralité et l'image, et comme l'a bien montré Leroi-Gourhan, le passage de la pensée mythologique à la pensée rationnelle, par l'écriture, est aussi la perte d'un pouvoir de symbolisation individuel. La conscience de cette perte permet peut-être ainsi de relativiser nos acquis, et de prendre conscience que la voie du symbole reste toujours inachevée.

                  


Présentation d'une liste d'itinéraires biographiques : un accès, un homme.

Le tableau sera complété d'une série de courtes biographies de personnes, simplement mentionnées dans le tableau, qui ont inventé, explicité ou tout simplement pratiqué avec zèle un système d'accès, dans un des outils retenus. Au XXe siècle, se sont bien sûr, plus des équipes que des individus qui inventent des outils. Il s'agit de donner ainsi une seconde série de repères, sans prétention, mais qui en se situant au niveau biographique et de l'utilisation de l'outil permettront de mieux cerner la complexité du repérage de l'information dans le temps court d'une époque et d'une vie. En ce sens, on peut consulter, le projet d'exposition : "La conquête du savoir : repérer et diffuser la connaissance" (Fayet-Scribe, Leroy, 1996) qui montre les outils et les hommes (parfois les femmes, mais seulement au XXe siècle) retenus. L'exposition semble être dans ce cas, un bon moyen de communication car elle permet de montrer les outils et leur fonctionnement. Ce projet d'exposition sera mis en ligne en 1998 sur le site de la revue Solaris.


Liste des biographies : un outil d'accès, un homme.

Suite


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© "Solaris", nº 4, Décembre 1997.