Scientométrie, infométrie :
Jean-Max NOYER
Maître de conférence de Rennes II
Professeur invité, Université Libre de Bruxelles
URFIST de Rennes. Tél. : 99 14 14 46 - Fax : 43 36 20 47
![]() | Nous essayons ici de mettre en évidence les points de passage ou points de couplage entre un certain nombre de problématiques à l'oeuvre dans les champs des sciences sociales et humaines, et l'émergence de nouveaux outils visant à utiliser les traces et indices produits par des "actants" extrêmement divers au cours de leurs pratiques, de leurs interactions, et ce afin de faire apparaître de nouveaux objets à l'analyse. Ces nouveaux outils s'appuient entre autres sur les nouvelles mémoires électroniques, sur les capacités offertes par le vaste processus de numérisation du signe et la plasticité qui en découle. |
Il y a un cheminement qui nous conduit de la Bibliométrie à l'Infométrie en passant par la Scientométrie. De ces "métriques", il nous faut dire quelques mots afin de mieux rendre compte de l'univers théorique qui est constitutif du développement de la Scientométrie, de l'Infométrie et des méthodes qui vont avec.
Loin de nous la prétention de faire, en quelques phrases, l'historique de ces "Méthodologies". Et ce d'autant que dans ce même numéro, l'article de X. Polanco (qui s'intéresse à la place occupée par Derek De Solla Price ) entame d'une manière très intéressante cette histoire qui de toute façon, sinon reste à faire du moins se doit d'être continuée.
Je rappelle donc brièvement, à partir de la définition de A. Pritchard, ce que l'on entend par "Bibliométrie", à savoir : l'ensemble des méthodes et techniques quantitatives -- de type mathématiques / statistiques -- susceptibles d'aider à la gestion des bibliothèques et d'une manière très générale des divers organismes ayant à traiter de l'information. Dit d'une autre façon, les outils statistiques utilisés par la Bibliométrie visent avant tout à élaborer des indicateurs concernant les outputs (publications) des diverses pratiques de recherche. Ce qui est visé : la classification, les fréquences et les types de distribution... bref, tout ce qui peut permettre d'aider à définir par exemple de nouvelles stratégies en matière d'acquisition, de mise à jour, de gestion des bibliothèques ou des bases de données. La Bibliométrie engendre donc des indicateurs d'activités qui ne nous renseignent guère sur les pratiques, les usages, les modes de problématisations à partir desquels les dispositifs de la science et de la technique se donnent comme pouvant être pensés, au moins en partie.
De ce point de vue, si l'on vise la mise à jour des dynamiques, des flux, des relations à l'oeuvre dans le champ scientifique, des outils et des méthodes différents doivent être mis au point et exploités.
Tels sont, par exemple, les outils scientométriques qui aident à faire émerger avec plus ou moins de succès et de précision les frontières d'un champ de recherche, les limites d'une discipline, la ou les variations qui les affectent, les relations d'influence, les médiations qui concourent à l'élaboration d'une information, d'un dispositif cognitif quelconque. Tels sont les outils qui aident à faire émerger à partir des traces, des indices produits, laissés par les acteurs au cours de leurs pratiques, les réseaux constitutifs des champs de force de la science et ce, quels que soient les états d'échelles considérés.
A l'origine, les techniques fondées sur l'analyse des co-citations (d'auteurs et/ou de revues), puis des techniques proches de celles mises au point par le Centre de Sociologie de l'Innovation de l'Ecole des Mines [1] et le CERESI [2], se sont attachées à faire apparaître les acteurs-réseaux hétérogènes (et leurs réseaux hiérarchiquement enchevêtrés de manière plus ou moins dynamique), à cartographier ces derniers et ce afin d'exhiber les Agencements Collectifs d'Énonciation, les Équipements Collectifs de Subjectivation [3], expression et exprimé des domaines, des problèmes qu'ils inventent, développent, perturbent, stabilisent ...
Ces techniques scientométriques (qui ne vont pas sans poser de sérieux problèmes) sont l'expression de ces tentatives qui ont une longue histoire et qui consistent à lier inputs (comme éléments constituant les conditions d'émergence, de production) et outputs (comme éléments-expression du mouvement d'actualisation des premiers), plus précisément qui consistent à établir entre eux un couplage structurel singulier et à tenter de déterminer les conditions qui président à l'inversion de leur statut (les outputs devenant inputs pour d'autres réseaux).
Bien sûr, analyse des co-citations et analyse des mots associés soulèvent un certain nombre de problèmes ; et l'associationnisme qui les porte, dans son radicalisme même, est parfois irritant !
Quoi qu'il en soit, elles visent : à rendre compte dans toute sa positivité du processus continu et simultané de production, circulation, consommation des savoirs ; à rendre compte des pragmatiques qui concourent dans un champ d'immanence et sans faire de distinctions ontologiques a priori entre les actants ; à produire des effets, des champs de forces ; à engendrer des dynamiques plus ou moins complexes...
Pourquoi "actants" ? Nous suivons là, la position exprimée par M. Callon, F. Bastide, S. Bauin, J. P. Courtial, W. Turner : "Les sémioticiens nomment actants ce que nous proposons d'appeler entités agissantes. Sans vouloir entrer dans les profondeurs conceptuelles de la sémiotique, il suffit de dire ici que les actants sont tous les éléments qui accomplissent ou qui subissent les actions faisant progresser le récit. Le concept d'actant est infiniment préférable à ceux d'acteurs ou d'agents, utilisés par les sociologues, car il recouvre non seulement les êtres humains, mais aussi les animaux, les objets, les théories... Simplifions à l'extrême : les sémioticiens nous apprennent, comme les chercheurs eux mêmes, qu'un électron, une molécule peuvent faire avancer une histoire, modifier des situations qui semblaient acquises, au même titre qu'un directeur de marketing ou que la classe ouvrière" [4].
A partir d'un point de vue plus concret et pragmatique, il s'agit donc de
dégager, de représenter les rapports de force, leurs dynamiques
et les acteurs-réseaux dont ils sont l'expression et l'exprimé
dans le but de favoriser l'interprétation et la prise de décision
dans le cadre des politiques scientifiques et techniques à mettre en
oeuvre. (Le secteur scientifique et technique ayant été à
cette occasion le secteur privilégié d'expérimentation de
ces métriques.)
Il convient toutefois de constater que l'approche scientométrique, telle qu'elle s'est développée jusqu'à présent, ne prend pas suffisamment en compte les nouveaux modes de production des savoirs, les nouveaux comportements, systèmes de régulation, de gestion et de validation des flux émergeant à travers les réseaux, les espaces-temps électroniques et leurs actants. Dans ce contexte, saisir les dimensions socio-cognitives de cette production passe par le développement d'une approche infométrique intégrant bibliométrie et scientométrie.
Cette approche représente d'une certaine manière une tentative d'élargir les approches émergentes au vaste domaine des dispositifs cognitifs impliquant les flux numériques et leur traitement, les systèmes hommes-machines complexes, les interfaces, les nouveaux outils intellectuels, les nouveaux modes d'écritures, ainsi que les agencements désirants et modes d'intelligibilité qui en découlent.
Il s'agit donc de prendre en compte l'extension considérable (complexification-différenciation) du procès socio-logique (et de ses dimensions socio-cognitives) de production des savoirs, des techniques, de prendre en compte la nature de plus en plus hétérogène, hybride, des médiations et des dispositifs socio-cognitifs [5].
La difficulté est de faire apparaître les actants constitutifs des divers agencements, les modes de coexistence de ces derniers (les rapports différentiels qu'ils entretiennent), et ce afin de mieux penser et utiliser l'ouverture processuelle introduite par la "brisure numérique".
Il apparaît ainsi que l'Infométrie, dès lors qu'elle prétend se mesurer de plus en plus profondément à la description et à la compréhension des processus socio-logiques, socio-cognitifs mobilisant des acteurs-réseaux, des actants de plus en plus hétérogènes et différenciés, se doit d'élargir le spectre des traces produites qu'elle entend analyser.
Allons plus loin, elle doit réfléchir à la manière dont, par exemple, au niveau des modèles mathématiques qu'elle promeut, elle va rendre compte des modes de co-fonctionnement, de symbiose des éléments constitutifs des agencements qu'elle va ainsi dévoiler.
C'est ce que visent en particulier les promoteurs de métriques appliquées aux pratiques complexes en oeuvre sur les réseaux électroniques.
Ces "netometrics" [6] devant, par exemple, servir à appréhender, à décrire la "science in action" [7] sur le réseau Internet. Certains travaux ont déjà mis en évidence le brouillage des frontières entre les divers modes de circulation des informations, les divers modes de négociation entre les problématiques, le caractère de plus en plus intensif/distribué des espaces-temps des laboratoires, le renouvellement des pratiques de citation, de référence, d'annotation, de commentaire..., l'usage combiné et parfois complexe d'écritures non exclusivement linguistiques à partir des potentialités de la "matière numérique" [8]. Décrire, penser les processus de différenciation qui se déploient au sein de ces "collaboratoires" [9] est aujourd'hui une tâche très importante.
Il y a cependant d'autres manières de s'interroger sur la place de ces métriques. Parmi celles-ci, celle qui fait face au devenir en partie commun des recherches, des travaux qui tentent de faire passer la grande tension de l'immanence au coeur même des problématiques déployées ici et là dans le domaine des sciences humaines et sociales (en particulier dans les domaines de la socio-logie des sciences et des techniques) et des nouvelles manières de traiter, de représenter les données numérisées/numérisables et des nouveaux modes d'intelligibilité qui vont avec, nous semble importante. Cette co-évolution nous allons, non pas la retracer dans le détail, mais en indiquer les points de couplage essentiels.
Notre premier contact avec ce devenir a été plutôt heureux! Mais à l'époque, nous ne l'avons pas perçu comme tel.
C'est en effet en même temps que nous avons reçu, au début des années 80, une version du livre de B. Latour, Irréductions et eu accès au logiciel LEXIMAPPE développé principalement par J-P Courtial, J. Juan, P-O Flavigny [10]. Puis quelque temps après, au travail de M. Callon : " Éléments pour une sociologie de la traduction : la domestication des coquilles st-jacques et des marins pêcheurs dans la baie de St-Brieuc" [11].
Le responsable de cette effraction, de cette "disruption" dans notre univers de recherche a été J-P Courtial. Nous devons admettre que nous primes à partir de ce moment là un certain temps, pour traduire, plier, trahir, altérer, reconstruire, bref pour commencer à pouvoir faire fonctionner à notre manière, certains des dispositifs majeurs et leurs actants constitutifs de cet autre monde qui nous était "tombé dessus".
De notre côté, nous étions engagés dans des travaux concernant : dans un premier temps, à la suite de Leroi-Gourhan et Simondon, le devenir biotechnique des systèmes d'armes et le développement de la Machine de Guerre, ses diverses incarnations, actualisations ; puis dans un deuxième temps et ce à partir d'une problématique générale suggérée par les travaux d'A. Joxe [12], la question des rapports entre production de stratégie(s) et production(s) de systèmes d'armes. D'autres problèmes nous préoccupaient (qui étaient rattachés pour parler rapidement au domaine de la pensée stratégique), mais ils avaient tous ceci en commun de renvoyer à l'évolution des techniques, des artefacts cognitifs, aux conditions de leur apparition, au statut, plus précisément aux rapports différentiels des acteurs, des dispositifs, par eux impliqués.
Et à dire vrai, en dépit de quelques résultats locaux intéressants, concernant principalement la question des artefacts cognitifs au coeur de la pensée stratégique confrontée à des processus de différenciation complexes, et une meilleure prise en compte des multiples agencements concourant au développement des dispositifs militaro-politico-stratégiques ainsi que des modes de gestion de la relation structurale d'hostilité dans le champ international, nous sentions que notre approche ratait l'essentiel.
En effet, non seulement, nous ne parvenions pas à saisir l'émergence même des dispositifs guerriers, des agencements conflictuels, et ce en suivant au plus prés les comportements des acteurs (dans le contexte d'un processus d'innovation technique forte), mais nous ne parvenions pas à rendre compte des diverses manières dont des sémiotiques, des acteurs, des processus, des systèmes marqués par une profonde hétérogénéité et renvoyant à des temporalités tout aussi hétérogènes, étaient en mesure de coexister, de se traduire, de se mettre en mouvement de manière convergente ou divergente.
Nous ne parvenions pas à rendre compte de ces hybrides plus ou moins stables qui participent de l'invention de ces mondes guerriers, des dispositifs stratégiques, économiques, des événements politiques... Cela restait, malgré les passages en force les plus audacieux et parfois astucieux, énigmatique. La question était et reste celle-ci : comment donc décrire des agencements toujours recommencés, des traductions, des transformations qui non seulement les font communiquer entre eux, mais participent de leur co-émergence, de leur co-actualisation?
Si le stratégique est essentiellement, pour parler comme Machiavel, intégration de moyens visant à forcer la nature des choses, auto-simplification créatrice (surtout lorsque le succès valide l'épreuve des forces et des alliances), manière molaire de se donner à soi-même de la Durée pour en priver d'autant les autres, alors le stratège sait, que loin des équilibres il va, durant le temps -- indéterminé à l'avance -- que va durer l'actualisation de son mouvement, devoir habiter la co-émergence, incertaine à jamais, du monde qu'il promeut et a promis et du système des forces, des acteurs qu'il a mobilisés selon d'autres temporalités! Car le travail du temps est là -- et peut-être plus qu'ailleurs -- à l'oeuvre, "aucun mouvement stratégique ne pouvant continuer, s'actualiser indéfiniment, au bout du compte sans changer de nature" [13].
Nous sentions donc qu'il fallait penser les processus, les événements autrement, mais nous ne savions comment rentrer dans ce champ d'immanence, comment l'habiter. Cela était particulièrement gênant car nous croyions alors, (et nous le pensons toujours) que pouvoir exhiber la ou les façons dont se constituent les choses, les mots, les énoncés, les objets, les mouvements, les frontières, les forces, à des échelles différentes de l'activité ; politico-stratégique, comprendre comment en s'exerçant, à travers ses modèles mentaux, ses artefacts cognitifs, ses armes, ses agencements désirants, ses chaînes de commandements, ses procédures de légitimation, ses artifices, ses mises en scènes, ses revues et ses "mémoires" ... pour elle-même autant que pour les autres, une institution militaire fonctionne, produit, de la paix et/ou de la guerre, des bonnes et/ou mauvaises machines de guerre, des flux de violence plus ou moins bien orientés, était essentiel à une refondation de la critique politique! Vaste tâche !
Et bien que nous nous donnions des acteurs en très grand nombre, bien que nous disposions d'outils conceptuels non négligeables, les choses paraissaient toujours trop nombreuses, trop séparées, les processus trop fluides ou trop visqueux ou trop compacts, "nos" acteurs toujours trop plein de préjugés, d'intentions incontournables, toujours déjà occupant ou se donnant à eux-mêmes des places, des positions "évidentes", sans parler des incessants tours de magie, de sauts --que nous étions conduits à faire-- au-dessus de grands précipices afin que des chars puissent non seulement "côtoyer" des énoncés stratégiques ou des civils, ou bien encore des budgets ou des résolutions de l'ONU, des hôpitaux... mais puissent être pensés ensemble, car étant "couplés" en quelque(s) manière(s) !
Alors donc Irréductions, et une lecture avec les lunettes de ma propre lecture de Spinoza ! A son "Nous ne savons pas ce que peut un corps" répondait d'une certaine façon le "Nous ne savons pas ce que peut une force" [14]. A son " Tout être ne se définit que par sa capacité d'affecter et d'être affecté" répondait d'une certaine manière le "Aucune chose n'est par elle-même égale ou différente d'aucune autre chose. Autrement dit, il n'y a pas d'équivalence, il n'y a que des traductions".
Et puis la découverte d'un grand souffle par lequel il nous semblait que l'on donnait les moyens d'arriver un peu plus prés de cette liberté de la raison dont parle Nietzsche. Plus précisément que l'on donnait là dans ces pages, quelque chose comme le moyen de se placer en situation de voir l'émergence des choses et de se voir (au moins en partie) émergeant soi-même aux (et grâce à eux) points de couplage par lesquels tout actant, toute entéléchie [15] advient finalement comme étant ce qu'il ou elle peut faire de ce que l'environnement (son environnement) peut faire de lui ou d'elle.
Chaque entéléchie définissant "a) ce qui lui est extérieur et ce qui lui est intérieur ; b) quels acteurs elle croira pour décider de ce qui lui appartient et de ce qui ne lui appartient pas ; c) par quelle suite d'épreuves elle pourra décider si elle doit les croire" [16]. Sur ces couplages et les formes infinies qu'ils prennent nous reviendrons.
Voir donc l'émergence des choses et notre émergence (comme une co-émergence) dans la manière dont les mots, les concepts, les outils, les divinités, les oppositions, les frontières... adviennent tantôt au devant ou derrière ou à côté de nous, tantôt comme milieu associé au milieu de nous, contre et tout contre nous, mais au terme toujours provisoire de circulations, de déplacements, de transports, d'altérations, de traductions, de pliages et de dépliages, de captures et de répulsions, de convergences subtiles et/ou grossières en divergences étranges et/ou prévisibles...
Voir l'émergence des choses, des différences, des forces, voir l'émergence de la répétition et de la différence dans le travail des forces, voir les frontières apparaître, les espaces, les temporalités, se déployer selon les manières qu'ont les actants, les entéléchies de courber, capturer, traduire, de percoler au milieu d'autres actants, d'autres entéléchies ! Association - Capture - Altération - Invention....
Et puis tout aussi radicalement, se mettre en situation d'ouvrir (ne serait-ce que partiellement et d'une certaine manière toujours leurrée !) les boîtes noires, les points de fermeture, les points fixes endogènes et/ou exogènes, les procédés auto-simplifiants sans lesquels tout système complexe ne saurait être l'instance de ses propres opérations ; se mettre en situation d'accéder à ce qui est constitutif des épreuves et "il n'y a que des épreuves parce qu'une chose n'est par elle-même irréductible à aucune autre et que ce qui n'est jamais ni réductible, ni irréductible, il faut bien l'éprouver, le rapporter, le mesurer constamment" [17]. Bien évidemment beaucoup de problèmes surgissaient et la force décapante de la posture nous irritait par son efficace !
Pourtant cela nous permettait de respirer ! Nous commencions à regarder l'émergence des dispositifs les plus complexes comme pouvant être pensés sans a priori quant à la nature, à la force des actants, des entéléchies passant alliance(s), accord(s), compromis, et se faisant, créant d'autres actants, d'autres champs de force, en altérant d'autres encore. La suite des travaux allait amplifier cette respiration.
En nous invitant à quitter les terres des grandes oppositions, des
grands partages, des "gros concepts", afin de penser les manières dont
s'engendrent la richesse du monde, son
hétérogénéité profonde, B. Latour
indiquait aussi (et ce en prenant pour exemple le domaine de la socio-logie
des sciences) l'importance cruciale des pratiques d'écriture et
d'imagerie, "les explications les plus fortes, c'est-à-dire celles qui
engendrent le plus à partir du moins", étant par ces
dernières produites. Pourtant, ajoutait-il, "ces pratiques sont si
simples, si répandues, si efficaces que c'est à peine si nous
sommes encore capables de les éprouver" [18].
De plus, il suggérait avec force tout l'intérêt qu'il pouvait y avoir à étendre le principe de symétrie de D. Bloor [19] à l'ensemble des dispositifs impliquant éléments humains / non-humains, bref des dispositifs constitués par les éléments les plus distants, les plus hétérogènes.
Ce souci de montrer, tout ce que l'on pouvait tirer "à rejeter --ainsi-- a priori tout grand partage a priori" et à "rassembler les études qui expliquent les vastes effets des sciences par des pratiques simples d'inscription, d'enregistrement, de visualisation" de telle sorte qu'à "la place du grand partage nous avons maintenant une multiplicité de petites distinctions qui sont pour la plupart imprévues et très modestes", bien qu'il fût exprimé d'abord dans le cadre d'une socio-logie des sciences profondément transformée, ouvrait la possibilité de voir se développer plus ou moins rapidement des procédés d'écriture, d'analyse donnant de la chair par exemple au-delà des acteurs-réseaux à l'oeuvre dans les domaines de la science et de la technique, à des agencements plus complexes encore [21]. Des Actants, des Entéléchies, des chaînes de traductions, des modes de déplacements, des hybrides de Latour, puis comme on le verra plus avant, des acteurs-réseaux de Callon, Law, Courtial, Turner aux "Agencements" deleuziens, la sympathie nous semblait évidente.
En effet, la proposition deleuzienne concernant le statut de l'agencement et disant qu'il est bien "l'unité réelle minima" [22] à partir de laquelle sont engendrées, produites les sémiotiques, les énoncés les plus divers, et non pas le Mot, l'Idée, le Concept, le Signifiant, l'Objet, quand bien même un mot, un concept, une idée, un objet, un artefact... participe à un titre quelconque des dites productions, avait déjà au début des années 70, suggéré l'importance de tous les modes d'Écritures inscrivant "la versatilité de l'être dans le tissage, le feutrage, les textures des déplacements infinis des procédures combinatoires idéelles et matérielles".
(Les ACE et les ECS de F. Guattari approfondissant peut-être de façon plus extensive et à partir des nouvelles technologies informationnelles-communicationnelles, la problématique) [23].
"L'énoncé est le produit d'un agencement, toujours collectif, qui met en jeu, en nous et hors de nous, des populations, des multiplicités, des territoires, des devenirs, des affects, des événements". Nous ne cessons d'inventer quels que soient les lieux que nous habitons "des agencements à partir des agencements qui nous ont inventé, nous faisons passer une multiplicité dans une autre. Le difficile, c'est de faire conspirer tous les éléments d'un ensemble non homogène, les faire fonctionner ensemble. Les structures sont liées à des conditions d'homogénéité, mais pas les agencements. L'agencement, c'est le co-fonctionnement. C'est la "sympathie", la symbiose". C'est "encore une multiplicité qui comporte beaucoup de termes hétérogènes, et qui établit des liaisons, des relations entre eux, à travers des âges, des sexes, des règnes -- des natures différentes (...)". Ce qui est important, ce ne sont jamais les filiations, mais les alliances et les alliages ; ce ne sont pas les hérédités, les descendances, mais les contagions, les épidémies, le vent [24].
Et d'ajouter un peu plus loin, refusant déjà à sa manière "le Grand Partage" (qui consiste à se donner de la Pensée, sous forme d'oppositions abstraites entre deux ou trois Concepts, Notions, Outils, Objets) : "il n'y a pas d'infrastructure ni de superstructure dans un agencement ; un flux monétaire comporte en lui-même autant d'énoncés qu'un flux de paroles, pour son compte, peut comporter d'argent. Les énoncés ne se contentent pas de décrire des états de choses correspondants : ce sont plutôt comme deux formalisations non parallèles, formalisation d'expression et formalisation de contenu, telles qu'on ne fait jamais ce qu'on dit, on ne dit jamais ce qu'on fait, mais on ne ment pas pour autant, on ne trompe et on ne se trompe pas pour autant, on agence seulement des signes et des corps comme pièces hétérogènes de la même machine." [25]
Il s'agissait donc bien d'indiquer qu'il faut rendre compte des modes de co-fonctionnement d'éléments hétérogènes et mettre à jour ce qui préside à l'établissement du dispositif machinique "comme ensemble de voisinage entre termes hétérogènes indépendants (le voisinage topologique est lui-même indépendant de la distance ou de la contiguïté)".
La machine impliquant ces éléments étant " première par rapport à eux, puisqu'elle est la ligne abstraite qui les traverse, et les fait fonctionner ensemble. [...] La machine, dans son exigence d'hétérogénéité de voisinages, déborde les structures avec leurs conditions minima d'homogénéité. Il y a toujours une machine sociale première par rapport aux hommes et aux animaux qu'elle prend dans son "phylum"." [26]
De quoi est faite cette machine? Tout ce que l'on peut en dire pour l'instant, c'est qu'elle est l'expression et l'exprimé de l'activité de tous ces intermédiaires, des déplacements dont ils sont le siège et/ou les relais, de ces artefacts matériels et/ou idéels qui composent ensemble, qui ne cessent de s'entre-exprioer pour reprendre un terme de Leibniz, tout en les surplombant tel un virtuel qui ne s'actualiserait que de manière locale et fragmentaire.
Dit autrement encore, elle est donc pour partie l'expression et l'exprimé des processus variés qui participent de la "stabilisation conjointe de tels ou tels arrangements hybrides dans lesquels éléments dits techniques et éléments dits sociaux, éléments dits humains et éléments dits non-humains etc....sont indissociablement entremêlés" [27].
Dans ces conditions, comment se mettre en situation de suivre l'émergence des réseaux, des acteurs-réseaux, des entéléchies en négociation, interaction, de considérer le champ d'immanence constitué par l'activité des actants les plus hétérogènes, leurs pratiques, comme "un tissu sans couture" siège sans fin de processus de différenciation et d'équivalence ... et -- nous verrons cela plus loin -- comment élargir sans cesse la gamme des matériaux, des traces, des sémiotiques analysés ?
De son côté, à partir de son étude : Éléments pour une sociologie de la traduction : la domestication des coquilles st-jacques et des marins pêcheurs dans la baie de St-Brieuc, puis dans deux articles importants, "Éléments pour une sociologie de la traduction" [28] et "La protohistoire d'un laboratoire" [29], M. Callon mettait en place les principales dimensions de la notion de traduction. D'une part écrit-il, elle "établit une équivalence toujours contestable entre des problèmes formulés par plusieurs acteurs dans des répertoires différents", d'autre part "en mettant en équivalence ces problèmes, l'opération de traduction identifie et définit les différents acteurs humains et non-humains concernés par la formulation de ces problèmes et par leur résolution..." [30].
On le voit, la sociologie de la traduction place au centre de son dispositif les notions d'intermédiaire, de relais, de déplacement. Dans un article publié quelques années plus tard [31], ("La dynamique des acteurs-réseaux techno-économiques"), après avoir mis en évidence le caractère extensif de la catégorie d'intermédiaire et montré que ces derniers ne se réduisent "ni à des biens matériels, ni à des biens marchands" quand bien même on peut en distinguer quatre grandes catégories à savoir : "les textes ou plus généralement les inscriptions littéraires de toutes sortes (...), les objets techniques ... qui sont des groupements organisés et relativement stables d'entités non-humaines qui coopèrent..., les êtres humains et les compétences qu'ils incorporent, la monnaie sous ses différentes formes". M. Callon insiste sur le fait que "partir de ce qui circule, nous conduit à ce qui est décrit par ce qui circule... aux deux sens du verbe décrire". D'un côté "description littéraire du réseau inscrit dans l'intermédiaire considéré, qu'il s'agisse de textes, de dispositifs, de compétences incorporées, de l'autre description-circulation de l'intermédiaire, dans le sens où l'on dit d'un missile qu'il décrit une trajectoire".
Suivre les longues chaînes de traduction qui constituent la base de description des réseaux et leur transformation, la manière dont les choses et les intermédiaires vont percoler, s'agréger, se renforcer et/ou s'affaiblir, converger ou diverger, exigeant de prendre en considération une quantité de plus en plus importante d'indices, de signes, d'inscriptions mises en branle par des sémiologues, des sémiotiques variés.
Ces sémiologies, ces sémiotiques, entretiennent des rapports différentiels complexes, jouent à des niveaux d'échelles variables, hiérarchiquement, dynamiquement, culturellement enchevêtrés, coproduction complexe de pragmatiques... De plus elles engendrent des temporalités multiples, et là encore composent, mélangent diagrammes des mémoires courtes, diagrammes des mémoires longues, pratiquent l'oubli selon des logiques variées.
A la suite de F. Guattari, nous pouvons les subsumer sous deux ensembles. Tout d'abord, celui des "encodages a-sémiotiques qui tel l'encodage génétique fonctionne indépendamment de la constitution d'une substance sémiotique. Ces modes d'encodage formalisent le champ des intensités matérielles (...) sans recourir à une écriture autonome et traductible", et celui des sémiologies de la signification qui sont "fondées sur des systèmes de signes, sur des substances sémiotiquement formées et qui entretiennent des rapports de formalisations sur le double plan du contenu et de l'expression".
Ce deuxième ensemble comprend "les sémiologies pré-signifiantes qui mettent en jeu plusieurs types de substances... par exemple gestuelle, inscription sur les corps...., les sémiologies signifiantes dont à l'opposé les substances d'expression (sonores, visuelles....) sont centrées sur une seule substance signifiante". Ce que F. Guattari nomme ailleurs la "dictature du signifiant". "Cette substance de référence se différenciant du concept d'archi-écriture de Derrida à partir duquel s'origineraient toutes les organisations sémiotiques". Enfin il comprend les "sémiotiques a-signifiantes comme les machines de signes mathématiques, les complexes technico-scientifiques, musicaux... Ces machines a-signifiantes continuant de s'appuyer sur les sémiotiques signifiantes mais s'en servant plus comme des outils, des instruments de déterritorialisation sémiotique qui permettront aux flux sémiotiques d'établir des connexions nouvelles avec les flux matériels les plus déterritorialisés." [32]
Rentrer dans les jeux de conspiration, de traduction oblige donc à n'accorder aucun privilège, aucune position dominante a priori à telle ou telle sémiotique, à tel ou tel régime de signes. Prolongeant et critiquant l'intuition de Hjelmslv d'une forme commune à l'expression et au contenu, comme "machine formelle transversale à toute modalité d'Expression comme de Contenu", F. Guattari indique combien il serait judicieux là aussi de sortir des oppositions issues de la linguistique, et par là même du primat du signifiant et donc "d'intégrer aux agencements collectifs d'énonciation un nombre indéfini de substances d'expression" [33].
La Pragmatique est donc là bien mise au fondement de toutes les dimensions sémiotiques, elle s'insinue partout. Il s'agit "de faire éclater de façon pluraliste le concept de substance, afin de promouvoir la catégorie de substance d'Expression non seulement dans les domaines sémiologiques et sémiotiques mais aussi dans des domaines extra-linguistiques, non humains, biologiques, technologiques, esthétiques, etc" [34] et de déployer une hyper-sociologie de la traduction comme "hyper-pragmatisme".
Il s'agit de déterminer les régimes de signes (les machines sémiotiques) déjà pliés-courbés-traduits-précipités selon des lignes d'attraction plus ou moins nombreuses et qui s'expriment pour partie à travers les traces, les indices, les saillances et les prégnances qu'ils re-émettent, déplacent, transportent et se faisant transforment, ainsi que les régimes en voie d'être courbés-pliés etc... selon d'autres lignes d'attraction, de capture, alimentant une négociation quasi-permanente entre processus d'internalisation et processus d'externalisation mis en oeuvre consciemment ou inconsciemment par une entité quelconque.
Cela nous conduit à préciser la notion d'acteur-réseau.
Certes, "la notion d'acteur-réseau est bien une notion clef pour l'étude du changement, (...) un acteur étant simplement une entité à laquelle sont prêtées des associations et n'ayant de sens qu'en fonction de l'ensemble des associations qu'il crée de proche en proche, et de l'ensemble des réseaux créés par les autres acteurs parmi lesquels il s'inscrit" [35]. Toutefois, si elle permet d'analyser celui-ci sans a priori quant au statut ontologique et si "l'interaction ne suppose ni identité, ni langage commun au sens où, à la façon des mathématiques, chacun prêterait le même sens aux mots", si "les acteurs utilisent cette structure pour mener à bien leurs projets, sans qu'il soit pour autant nécessaire de définir précisément ceux-ci", si "il en résulte un ensemble de représentations partagées (lire un texte pour le comprendre, c'est se laisser parcourir par les mêmes associations suscitées par le texte, quels que soient les chercheurs) conduisant à un scénario global des rôles entre acteurs créés par les chercheurs à mesure qu'ils élaborent des théories scientifiques" [36], la question du plissement, du pliage et du dépliage (qui est aussi la question des processus d'altération-création qui en découlent et qui se manifestent entre autres dans le surgissement infini des événements, des singularités...), reste entière ! La prolifération ontologique, les processus d'hétérogénéisation, d'altération, sont toujours en excès au coeur même des dispositifs les plus totalitaires, les plus identitaires, les plus violemment réducteurs !
"Ça" aurait pu plier autrement, "Ça" va bifurquer ailleurs, "Ça" est localement, très localement, prévisible (question d'échelle, d'état du substrat, etc...), "Ça" est imprévisible, "Ça" fait changer certains des régimes de fonctionnement et de visibilité et "Ça" ne le sait pas, mais "Ça", dont la croyance a percolé et capturé d'autres "Ça", s'en fiche qui voit de partout miroiter et se multiplier les forces qui l'alimentent et se courbent en lui .... [37]
C'est la raison pour laquelle, les problématiques développées, dès la même époque par H. von Foerster et H. Maturana, puis F. Varela [38] présentent un intérêt majeur. En effet, si l'on conserve notre langage initial, elles permettent de poser autrement la question des processus de pliage et de dépliage, de traduction et de constitution de boîtes-noires, d'identification, de mises en relations d'actants et d'intermédiaires par d'autres actants et d'autres intermédiaires... ainsi que les processus d'individuation et de différenciation dans les termes d'un processus de couplage de niveau supérieur entre des unités, des systèmes autopoïétiques, conçus comme systèmes opérationnellement clos. "Nous dirons d'un système autonome qu'il est opérationnellement clos si son organisation est caractérisée par des processus : a) dépendant récursivement les uns des autres pour la génération et la réalisation des processus eux-mêmes, et b) constituant le système comme une unité reconnaissable dans l'espace (le domaine) où les processus existent." [39]
La clôture opérationnelle n'étant qu'un des processus par lequel une opération peut être spécifiée afin de constituer tel ou tel système. En fait "elle surgit de la concaténation circulaire de processus constituant un réseau interdépendant. Une fois la circularité installée, le processus constitue une organisation qui se calcule elle-même et qui obtient sa cohérence de sa propre opération, et non par les effets provenant de l'environnement. Ainsi les frontières de l'unité, quel que soit l'espace où les processus existent, sont-elles indissolublement liées à l'opération du système ? Si la clôture opérationnelle est interrompue, l'unité disparaît. C'est la caractéristique des systèmes autonomes" [40].
L'intérêt de cette approche dite "de l'autopoïèse" consiste en ce qu'elle offre un cadre intéressant, un nouveau formalisme : pour penser les rapports entre acteurs et intermédiaires, ou plus précisément les processus de distinction entre acteurs et intermédiaires ; pour penser la question des frontières de manière plus fine ; pour penser à toutes les échelles, les physiques (et leurs rapports) à l'oeuvre lorsque des acteurs-réseaux interagissent avec d'autres acteurs-réseaux au milieu de plus ou moins longues chaînes d'intermédiaires. C'est là une question cruciale "dès lors que l'on refuse le discours des essences, dès lors que la terminologie utilisée (dans le cadre de la sociologie de la traduction) pour les acteurs, groupement d'éléments hétérogènes dont la liste est la même que celle utilisée pour classer les intermédiaires ne permet pas d'établir une frontière marquée" [41].
De même qu'est cruciale la question des conditions qui entraînent le changement d'état d'un acteur, d'un intermédiaire et ce en fonction de la position d'observation, de la longueur du réseau, des types de plissements, des substrats, des champs de force impliqués, des temporalités engendrées ... En effet, à chaque fois qu'il y a pliage et dépliage, nous devons pouvoir, ne serait ce que dans une certaine mesure, avoir accès à ce qui est activé comme état interne d'une entité quelconque par les "forces du dehors".
Penser les processus d'attraction, d'irréversibilisation, de stabilisation au milieu des réseaux d'acteurs, d'actants et qui conduisent à la formation d'acteurs-réseaux, suppose, on l'a déjà vu, la notion d'agencement, ce dernier étant à la fois conditionné-conditionnant et émergeant à partir de micro-pôles opérant comme "attracteurs, principe d'organisation à portée limitée : plus on s'en approche et plus les activités et les intermédiaires s'homogénéisent, plus on s'en éloigne et plus l'hybridation devient la règle. Ce mouvement contradictoire pose le problème de nouvelles régulations conçues pour gérer cette tension entre autonomie et hétéronomie, entre homogénéité et hétérogénéité" [42]. Il nous semble toutefois que cette manière d'aborder les processus d'homogénéisation et d'hétérogénéisation est un peu trop abstraite ou dérivée.
En effet, processus d'homogénéisation et processus d'hybridation, hétérogénéisation ne cessent eux-mêmes de se diviser, les processus d'homogénéisation devenant aussi condition de possibilité de la différenciation et siège d'une altérité dérivée, les processus d'hétérogénéisation créant aussi, de manière locale et fragmentaire, les conditions de possibilité d'un réarrangement homogène ! Comment en effet les mouvements d'homogénéisation et les procès d'hétérogénéisation ne seraient-ils pas relatifs, perpétuellement en prise les uns sur les autres ? Il n'y a que de la Pragmatique et différentes instanciations de cette Pragmatique.
Et si les mises en réseaux et leurs dynamiques impliquent un "alignement" entre acteurs (déjà acteurs-réseaux sous la forme de systèmes opérationnellement clos) par "intermédiaires interposés" (actants, entéléchies, alliés, dispositifs quelconques...) -- alignement qui peut prendre "deux configurations élémentaires : complémentarité et substituabilité" -- l'agrégation "qui n'est pas une procédure inventée par l'observateur pour simplifier la complexité du réel, mais bien le mouvement de la vie sociale" [43] et qui est donc au coeur de la constitution du réseau, n'est possible que parce que, de l'actant le plus élémentaire à l'acteur-réseau le plus massif, une pragmatique interne est à l'oeuvre qui renvoie à leur propre clôture opérationnelle et qui permet l'articulation sur une pragmatique dite externe d'autres actants, d'autres acteurs-réseaux, d'autres entéléchies.
Le concept de clôture opérationnelle semble donc pertinent, et ses implications pour explorer le phénomène de l'autonomie à partir de la sociologie de la traduction et de la philosophie des entéléchies de Latour, importantes. Et cela d'autant plus, qu'est toujours latent le risque de tomber à nouveau dans une espèce d'interactionnisme réductionniste où opéreraient des réseaux d'acteurs "séparés", sous des conditions socio-techniques déterminées (comme nous l'avons entr'aperçu plus haut), alors qu'il s'agit de donner aux événements, aux procès, aux récits, aux narrations et aux actions et actants qui les portent le statut de "médiation". C'est-à-dire, pour reprendre les termes de B. Latour "d'occurrences qui ne sont ni tout à fait une cause, ni tout à fait une conséquence, ni complètement un moyen, ni complètement une fin" [44].
Revenons à Varela. En fait "si nous pouvons légitimement dire d'une organisation sociale qu'elle est opérationnellement close, nous retrouverons alors dans son domaine phénoménal le même mécanisme de conservation de l'identité. [...] Les conséquences pratiques de cette approche des situations sociales étant, selon Varela, relativement importantes, car elle nous force à opérer une distinction rigoureuse entre l'organisation d'un système et la finalité qui lui est assignée. Si un organisme est opérationnellement clos, notre description de la finalité de ce système importe peu, car son comportement est tel que toutes les transformations et tous les changements qu'il peut subir sont subordonnés à la conservation de son identité" [45].
Cela signifie que le pliage des longues chaînes de traduction, d'intermédiaires, d'alliances passées, etc... opère de manière enchevêtré et simultané créant par différenciation spécifique et fermeture :
La dynamique des acteurs-réseaux, la mise en réseau se doivent dans cette perspective de considérer les processus de traduction comme des altérations-créations, des perturbations se développant et se propageant le long des chaînes d'intermédiaires, de médiations, jusqu'au sein des processus qui définissent les systèmes opérationnellement clos, eux-mêmes produits de traductions bouclées sur elles-mêmes.
Notons au passage que, de ce point de vue, les techniques d'inscription, les modes d'écritures, les dispositifs communicationnels, tout ce qui relève des interfaces se trouve plus que jamais occupant une place stratégique au coeur même des multiplicités de "couplages structuraux ontogénétiques" entre des entités, des organismes.
En s'inscrivant dans la perspective associationniste et à partir des séries, des multiplicités de couplages structurels "système-environnement" où les uns et les autres se différencient ensemble d'un même mouvement, on dira " qu'un réseau se constitue en tant que réseau doué d'une certaine autonomie, c'est-à-dire se découpant sur un fond d'acteurs et de relations qui se constituent en contexte ou en environnement du réseau, dès lors qu'une discontinuité apparaît dans le régime des mises en relation" [46]. On peut appeler cela "degré de convergence du réseau" et y voir une définition de la frontière comme bord interne d'un processus d'internalisation-externalisation [47]. On peut aussi décrire cette stabilisation à partir de l'examen : "a) du domaine des changements d'états. Ce domaine ne pouvant cependant, jamais être connu absolument. Le critère permettant d'en déterminer l'étendue étant déduit de la stabilité au moins apparente de l'identité, de sa conservation (Spinoza : " Chaque individu tend à persévérer dans son être") ; b) du domaine des changements destructifs ; c) du domaine des perturbations de toutes les interactions pouvant déclencher des changements d'états" (Spinoza : "accroître ou diminuer ma capacité d'affecter ou d'être affecté") ; d) enfin le domaine des interactions destructrices" [48].
Accéder aux jeux des interactions entre ces domaines, créer et inventer à partir de cet accès, réclament donc de nouveaux modes d'écritures opérant aux niveaux d'échelles les plus divers.
Si l'on souhaite en effet pouvoir opérer de manière transversale au milieu d'un ensemble, le plus souvent comportant un nombre très grand d'acteurs, d'actants hétérogènes, (ce qui signifie donc un ensemble de "matières expressives hétérogènes"), si l'on désire accéder, ne serait-ce que dans une certaine mesure, aux agencements, aux chaînes de traduction, aux systèmes médiologiques [49] qui participent aux processus de pliage et de dépliage, de capture, d'agrégation, il nous faut explorer les possibilités qui se sont développées entre autres à partir du développement des bases de données et de leur exploitation en vue de faire émerger certains, parmi les plus importants des réseaux d'influence, de propagation constituant par exemple les domaines de recherches.
Au-delà de l'intérêt qu'il y a, à chercher des moyens nouveaux d'évaluation des activités des chercheurs et des laboratoires et au-delà des limitations largement débattues de ce genre d'entreprise, la constitution des bases de l'ISI [50] (SCI et SSCI) et leur choix de privilégier les citations (d'auteur à auteur, de revue à revue...) comme traces majeures, a représenté un pas important pour ce qui est de ces tentatives de faire émerger à partir des productions mêmes des acteurs, les réseaux plus ou moins convergents/divergents à l'oeuvre dans le champ du savoir.
Le développement de logiciels utilisant des méthodes probabilistiques, les moyens de numérisation des données de plus en plus facilement disponibles et de qualité croissante ainsi que les nouveaux moyens de stockage des données numériques n'a fait que renforcer ces tendances.
Et les travaux effectués dans le cadre du Centre de Sociologie de l'Innovation de l'École des Mines, de l'ex CDST du CNRS, du CERESI, de l'INIST / CNRS autour de la question du traitement de "gros corpus documentaires" (Méthode Leximappe, Méthode Neurodoc...), et dans la perspective théorique indiquée plus haut, sont comme les premiers éléments (qui peuvent parfois apparaître rudimentaires) d'une lignée de systèmes d'information riches, sous les conditions d'une différenciation-complexification des systèmes d'Écriture, de Représentation, de Navigation, de Déplacement, impliquant la matière numérique et ses flux. Complexification-différenciation car il s'agit bien de penser ces dispositifs en terme de coexistence (fut-elle conflictuelle) et non en terme de substitution ! [51]
Cette lignée est très importante qui cherche à déployer des outils, des modes d'écritures qui favorisent des lectures différentes, tenant compte entre autres du caractère processuel et hétéroclite des nouveaux "objets" qui apparaissent à l'analyse, qui, par de-là l'émergence des choses, des diagrammes qui les font conspirer, vise la manipulation intelligente des points de vue, de leurs variations.
L'élaboration de "cartographies nouvelles" exprimant les flux, les lignes médiologiques, les mondes conceptuels, les divers dispositifs collectifs, de production et d'énonciation de tel ou tel domaine, est de ce point de vue intéressante.
Ces cartographies et les modes d'écritures hypertextuels qui leur sont associés, fonctionnant alors comme outil d'exploration et d'interprétation d'univers complexes, suscitant la prise en considération de point d'entrées, de points de vue, d'états d'échelles multiples sur le ou les domaines, champs de forces considérés.
Cette lignée est très importante qui promeut une sorte de "métaphysique de l'indice" et donne à la recherche des traces, indices exprimant les conditions d'énonciation, permettant la mise en évidence des réseaux d'influence, des voies de circulation --presque de percolation-- des concepts, notions, relais, objets, systèmes hommes-machines, un statut majeur, puisque en fonction de ces dernières nous aurons accès à un nombre plus ou moins grand de diagrammes dynamiques à deux, trois voire n dimensions, et aux jeux de leur co-détermination, aux rapports de transparence-opacité qui vont avec... étant entendu, et il serait peut-être temps de l'écrire dans le contexte de cet article, que l'obscurité la plus grande est toujours sous la lampe !
Cette possibilité de traiter, d'examiner de gros corpus documentaires,
des données hétérogènes, rend possible entre
autres, le développement "d'analyses relationnelles qui consistent
à imaginer des indicateurs fournissant la morphologie des interactions
et qualifiant les éléments en interaction".
"Au texte clos sur lui-même et auquel on opposerait de manière classique son contexte, il faut (donc) substituer ce texte, sans intérieur ni extérieur mais ramifié, feuilleté, opérant des branchements et des mises en relation, dispositif définissant des entités hétérogènes et les associant d'une manière particulière" [52]. Et nous avons vu que nous entendions "Texte" de manière très extensive [53].
Nous allons donc ici nous arrêter un instant sur la méthode dite des "mots associés" (co-words analysis) qui co-émerge au début des années 80 dans le contexte du Centre de Sociologie de l'Innovation de l'École des Mines et qui est à sa manière "capture du sein d'une autre strate (analyse statistique des données) de l'autre devenir (celui d'Irréductions et de la Socio-logie de la Traduction)".
"Devenir statistique de la philosophie des Entéléchies de Latour" et "devenir associationniste-néo-connexionniste de l'analyse des données" pris l'un dans l'autre, se branchant de manière inégale au gré d'alliances par exemple passées avec d'autres acteurs et sous d'autres conditions, le processus de numérisation étant un des "actants" intermédiaires important, parmi d'autres.
Cette méthode s'inscrivant donc à la suite des travaux réalisés dans le cadre du traitement des citations, développe l'idée que l'on peut faire émerger, d'abord dans le domaine scientifique et technique, les acteurs-réseaux, les entéléchies, les chaînes de traduction qui vont avec, en s'appuyant sur les mots-clés utiliser pour indexer les documents des bases de données. Plus précisément en calculant des fréquences de cooccurrences de ces mots sur l'ensemble d'un corpus, il s'agit de faire apparaître des agrégats, des agencements, des dispositifs plus ou moins convergents-stabilisés, plus ou moins reliés entre eux. Elle permet d'exprimer les convergences d'intérêts entre acteurs, actants (au sens le plus extensif de ces termes), de faire apparaître des agrégats, des agencements, de les hiérarchiser selon la nature et la taille du corpus sur lequel on travaille, corpus qui, rappelons-le, doit être validé, clôturé. La question des traces et de leur pertinence est plus que jamais essentielle, le mot, comme expression et exprimé d'un actant quelconque impliqué dans le domaine tel que ce dernier est à son tour exprimé par le corpus de documents analysé, étant ici la trace minimum considérée comme pertinente.
Brièvement donc cette méthode est fondée sur la cooccurrence des termes indexés. L'association de deux mots-clés (i, j) -- dont l'occurrence (Ci, Cj) est égale ou supérieure à 2 -- est mesurée en fonction de leur nombre d'apparitions communes (co-occurrence) dans les documents qu'ils indexent (Cij).
L'indice statistique qui mesure la valeur de l'association entre les mots clés est le coefficient d'équivalence. Si l'on note Cij la co-occurrence entre i et j, et Ci, Cj leur occurrence, l'indice peut s'écrire sous la forme suivante :
Eij = (Cij / Ci) x (Cij / Cj) = Cij2 / Ci x Cj.
Les associations sont ainsi affectées d'une valeur. Tous les couples de termes obtenus sont triés par valeurs décroissantes. Ensuite, on parcourt séquentiellement la liste classée des couples pour construire les clusters (en agrégats). Tous les éléments à clusteriser (agréger) forment initialement un seul grand réseau d'associations. Il s'agit d'un réseau valué, c'est-à-dire, d'un système de relations dans lequel les mots sont reliés par des liens plus ou moins forts.
Le découpage du réseau d'associations en clusters se fait en fonction d'un critère de lisibilité, à savoir la taille : fixant le nombre maximal et minimal de composants et le nombre de liens. Si un couple de termes appartient au même cluster, le lien entre ces termes est considéré comme lien interne au cluster. Si les termes d'un couple appartiennent à deux clusters différents, leur lien est considéré comme lien externe, c'est-à-dire un lien entre clusters. Sont ainsi exprimées la position respective des agencements les uns par rapport aux autres, la stabilité plus ou moins grande de ces mêmes agencements et leur capacité "d'affecter ou d'être affecté". Les clusters sont donc situés dans un espace à deux dimensions, et sont situés dans un plan défini par un coefficient de cohérence interne du thème et par un coefficient de centralité. La "cohérence interne" d'un agencement est ici la moyenne des valeurs des associations "internes". Cette valeur est notée sur l'axe vertical y de la carte. Plus la moyenne est élevée, plus il est considéré comme étant un agencement bien structuré et reconnu. La "centralité" d'un agencement (cluster) dans le réseau est mesuré par la moyenne du nombre total d'associations externes qui existent entre l'agencement donné et les autres. Cette valeur est notée sur l'axe horizontal x de la carte. Plus la moyenne est élevée, plus l'agencement en question est considéré comme un point de référence (centralité) pour l'ensemble. D'autres éléments d'informations sont produits qui concernent par exemple le profil d'association de chaque actant dans l'ensemble du réseau, les valeurs moyennes de centralité et densité pour chaque clusters, le nombre de documents ayant permis l'élaboration du cluster...
Nous ne pouvons nous attarder ici sur le développement des données qui résultent de l'approfondissement des méthodes d'analyse, d'écriture, de navigation et de mise en connexion des différentes strates de documents, textes, fragments impliqués dans tel ou tel domaine ou par telle ou telle problématisation.
Qu'il nous soit permis cependant d'insister sur le processus de réduction qui, de la constitution du corpus documentaire représentant le champ à étudier au dévoilement des actants et de leurs agencements, est effectué.
Rappelons que ce nouveau type d'outillage instrumental prend son essor à partir du traitement d'entités linguistiques, et pour l'instant (à l'exception de trop rares cas) néglige les potentialités d'analyse de type probabilistique ou autres qui pourraient, exploitant le processus en cours de numérisation des images et des sons, bouleverser profondément l'approche de la "morphogenèse", le problème de la signification et de l'expression, la fondation d'une "topologie phénoménale" [54] prenant en compte le vaste domaine de l'émergence des formes (visuelles, sonores, plastiques), susciter des approches non-exclusivement linguistiques, des explorations inédites du côté par exemple des énergétiques à l'oeuvre dans le jeu des Formes, venir encore troubler les modes traditionnels de la narration à propos des images (des plus anciennes aux virtuelles...), des sons.
Revenons donc au processus de réduction. Ce processus comporte plusieurs étapes.
Tout d'abord :
A partir de ce processus de réduction, les analyses de cooccurrences permettent, en caractérisant les pratiques lexicales, de s'attacher aux seules connaissances présentes dans le corpus et qui nous parlent des choses. On ne cesse, de ce point de vue, passer de l'ordre des mots à l'ordre des choses dans une pratique interprétative renouvelée concernant l'émergence des phénomènes, des interactions, des problématisations... et leur enchevêtrement [55].
Un certain nombre d'outils ont été développés, autour de logiciels d'analyses statistiques, d'indexation, de cartographies, de navigation et d'écriture hypertextuel, constituant des modèles embryonnaires de ce que pourrait être le noyau dur des stations de travail exploitant l'ouverture numérique, la différenciation des espaces-temps de la recherche et de leurs pratiques, dans le domaine des sciences humaines et sociales [56].
Nous ne pouvons rentrer ici dans le détail des problèmes soulevés par la construction de tels dispositifs, dans le détail des expérimentations requises afin d'appréhender la richesse des comportements émergents, des nouvelles intelligences.
Nous souhaiterions toutefois indiquer pour terminer, un certain nombre de connexions avec des problématiques où l'usage de ces procédés d'analyse et d'écriture pourraient engendrer des effets particulièrement intéressants, opérer des déplacements novateurs, affecter la manière d'habiter les variations réglant les points de vue et ce qui les fondent, et permettent d'accéder aux événements qui ne cessent de surgir dans les brisures des processus assurant l'infatigable réversibilité entre "l'immanence de l'expression dans ce qui s'exprime et de l'exprimé dans l'expression", au milieu des médiations assurant la continuité de la "conversion topologique cerveau-monde" [57].
Ainsi, bien au-delà des travaux engagés par l'analyse des co-citations, il nous semble que de tels systèmes d'écritures permettent d'appréhender, ou de donner à voir, plus profondément, pour reprendre l'expression d'E. Alliez, "le statut éthologique du concept", ce dernier venant à la croisée toujours instable d'une "triple genèse : comme multiplicité ouverte, consistante et intensive". Multiplicité ouverte, "chaque concept à des composantes qui peuvent être à leur tour prises comme concept...". Multiplicité consistante, "le propre du concept est de rendre les composantes inséparables en lui : distinctes, hétérogènes et pourtant non séparables"... Multiplicité intensive, "ne cessant de les parcourir (ses composantes) suivant un état de survol par rapport à ses composantes" [58].
Rendre donc d'un côté, plus lisible les trajectoires nomades des concepts (avec leur processus de pliage et de dépliage, de traduction et d'altération-création), et de l'autre permettre une écriture conceptuelle plus riche opérant à l'intérieur même des concepts comme "montage(s) au sens actif des liaisons", pli se pliant et se dépliant sans cesse, "chaque concept ayant des composantes qui peuvent être à leur tour prises comme concept... les concepts vont donc à l'infini" [59].
De la même manière, si l'on veut rentrer au coeur de "l'individuation psychique et collective", connaître l'individu à travers le processus d'individuation comme résolution locale et singulière (par résonance interne) d'un système métastable allant du virtuel à l'actuel et qui le surplombe [60], avoir accès à l'individuation sous forme de collectif qui fait "de l'individu un individu de groupe, associé au groupe par la réalité pré-individuelle qu'il porte en lui et qui, réunie à celle d'autres individus, s'individue en unité collective (...) les deux individuations, psychique et collective (réciproques l'une par rapport à l'autre) permettant de définir une catégorie du transindividuel qui tend à rendre compte de l'unité systématique de l'individuation intérieure (psychique), et de l'individuation extérieure (collective)", alors il faut trouver le moyen de développer ces modes d'écritures du côté par exemple de "l'idéographie dynamique" [61], et étendre (du côté des systèmes de la mémoire) les notions de documents, de diagrammes complexes, de traces.
Plus précisément encore si le psychisme se constitue aux frontières du couplage complexe d'un dedans et d'un dehors, couplage où le dedans "se constitue par le plissement du dehors, à l'intérieur de l'extérieur et inversement", et où le dedans "se trouve activement présent au-dehors (...) topologiquement en contact avec l'espace du dehors" [62], si l'inconscient est ainsi dilaté, de telle sorte que ses diagrammes internes-externes, expression et exprimé des agencements collectifs d'énonciation, des équipements collectifs de subjectivation, ne cessent de s'entrecorrespondre en circulant et se déplaçant le long et à travers ces derniers, alors le renouvellement de l'approche psychanalytique [63], les propositions de l'ethnopsychiatrie [64] peuvent trouver là des alliés puissants. Et il en est de même dans bien d'autres domaines : Relations Internationales, Sociologie, Histoire, Littérature etc...
Les traitements probabilistiques, fractals des gros corpus documentaires, les Écritures Hypertextuelles, les outils de navigation, l'extension de la numérisation et le développement de systèmes d'écritures, de mémorisation qui permettent de prendre en compte et de mettre en jeu les dimensions non-exclusivement linguistiques des sémiotiques, convergent d'une certaine manière vers l'exploration des mouvements de différenciation qui ne cesse de se produire au cours du processus illimité de conversion topologique cerveau-monde [65].
Les modes d'Écritures et les enjeux socio-cognitifs, socio-politiques qu'ils génèrent sont donc plus que jamais, milieux au milieu des modes d'actualisation de la Pensée et les "Systèmes Virtuels" [66] sont à présent comme l'expression concrète, la plus avancée et la plus problématique de l'involution-implication des frontières à l'intérieur d'espaces-temps intensifs hypercomplexes.
© "Les sciences de l'information : bibliométrie, scientométrie, infométrie". In Solaris, nº 2, Presses Universitaires de Rennes, 1995