Présentation : Pourquoi poser la question de l'histoire de l'accès à l'information dans différentes disciplines et dans différentes temporalités ? Sylvie FAYET-SCRIBE
Maître de conférences, Université Paris 1
Décembre 1997
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Le premier volume de la collection Solaris avait formulé un certain
nombre de questions et esquissé quelques propositions à propos de
l'émergence d'une Nouvelle Économie du Savoir. Le deuxième
avait examiné la dimension particulière des outils d'analyse, de
représentation et d'interprétations des données que sont
la scientométrie et l'infométrie. Le troisième
s'était interrogé sur les nouveaux modes de médiations
scientifiques à travers les réseaux électroniques.
Le mot information est un terme polysémique. A ce propos, il faut
préciser l'historicité du terme "information", car on risque
l'anachronisme en projetant dans le passé un concept créé
seulement dans les années 50. La définition envisagée ici
est large car l'information, d'un point de vue historique est globalement
liée au savoir, à la connaissance, et à des formes de
connaissance diverses : théologique, mythique, philosophique, technique,
scientifique... que vont s'approprier divers individus qui n'ont pas encore de
statut "professionnel" dans la société, mais qui exercent des
fonctions dans des lieux privilégiés du savoir et de la
connaissance : bibliothèques, monastères, corporations,
universités, laboratoires, imprimeries, maisons d'édition,
académies, entreprises, etc...
L'information est envisagée aussi du point de vue du document, c'est-à-dire que sa mise en forme se fera par l'écriture, et que
celle-ci s'inscrira dans le document. Le document écrit a
été privilégié dans ce numéro, il faudrait
sans nul doute consacrer un autre numéro de Solaris à l'image.
Seul, l'article de Pascal Sanson nous introduit à la naissance de la
donnée iconique dans le domaine de l'architecture et de l'urbanisme.
Il semble que l'on puisse saisir l'origine, sinon l'élaboration puis
l'expansion d'une discipline scientifique dans le domaine des sciences exactes
comme dans celui des sciences humaines et sociales à travers ses
pratiques d'informations. C'est-à-dire à travers l'histoire des
outils, systèmes et produits d'informations que ses acteurs mettent en
place, et l'usage qui en est fait.
Mettre en évidence historique, le rôle de l'information dans
l'expansion des disciplines scientifiques, c'est s'affronter, étant
donné la place limitée accordée à l'information en
histoire des sciences et des techniques, à un domaine mal connu en
France. Toutefois, des études poursuivies actuellement portent de plus
en plus sur les caractéristiques propres à chaque discipline
scientifique dans leur processus d'élaboration de l'information
scientifique (sur ce point, on peut utilement se rapporter aux articles
"Applications spécifiques" du dictionnaire encyclopédique de
l'information et de la documentation (Cacaly, 1997), et sur leurs usages (Le
Coadic, 1997).
Soulignons qu'en histoire, pour travailler sur le thème retenu ici, la
bibliographie est très dispersée et à la frontière
de plusieurs champs : histoire culturelle (du livre, des bibliothèques,
de la lecture, de l'édition, de l'écriture, de l'enseignement, de
l'éducation, des intellectuels, etc...), mais aussi histoire
économique, sociale et politique. De plus, les interrogations actuelles
de la sociologie des usages, de l'anthropologie, de la philosophie, des
sciences cognitives, de la médiologie, nous interpellent aussi.
Dans ce numéro, il s'agit tout d'abord de décrire sur un temps
long, l'histoire plurielle des méthodes et des techniques
intellectuelles ayant la capacité de repérer et de retrouver
l'information via les documents (S. Fayet-Scribe).
Pour comprendre l'enjeu de l'histoire d'une structure informationnelle (G.C.
Bowker), il faut au-delà de la typologie et de l'analyse des
modèles et des outils d'accès, se poser la question de leur
construction complexe, de leur fonctionnement politique, de leurs
retombées sociales.
Comment les phénomènes de collecte, de stockage, de traitement
et de diffusion sont-ils visibles dans la durée au sein d'une discipline
aujourd'hui constituée? Comment une discipline scientifique peut-elle
être aussi examinée comme un système spécifique
d'informations? Différents auteurs ont relevé le défi et
répondent à ces questions pour différentes disciplines, en
explicitant plusieurs phénomènes ou en se focalisant sur un seul,
au sein d'une discipline : ainsi, pour les mathématiques (C. Goldstein),
la philosophie (G. Varet), les sciences médicales ( N. Pinhas, S.
David), l'histoire ( C. Amalvi), les sciences de l'éducation ( H.
Rigot), les sciences religieuses ( M. Albaric). La présentation du texte
de Michel Albaric est faite par Jean-Max Noyer, qui avait introduit Michel
Albaric lors du séminaire du GIRSIC (Groupe Interuniversitaire de
Recherche en Sciences de l'Information et de la Communication) qui avait eu
lieu en mai 1995. Précisons que ces textes ont été
rassemblés depuis 1995, et que certains ont été l'objet de
l'un des séminaires du GIRSIC.
Une autre voie pour mettre en perspective ces questions, est de regarder
comment ces outils d'accès s'organisent et s'articulent lors de la
naissance d'une grande institution scientifique comme celle du Centre National
de la Recherche Scientifique en France (C.N.R.S.) (J. Astruc, J. Le Maguer,
J.F. Picard); ou encore de les envisager dans l'axe des pratiques
individuelles d'un usager-chercheur qui a laissé de nombreuses traces
informationnelles de son travail intellectuel : Voltaire (F. Picot).
Les textes du quatrième volume de Solaris sont là pour faire la
démonstration que les modes de production, d'accès et de
circulation de l'information sont au coeur du savoir occidental, et pour
prouver leur visibilité historique.
Bibliographie
© "Solaris", nº 4, Décembre 1997.